dimanche 17 juillet 2011

Un manuscrit du XVIIIe siècle : le Dictionnaire du Dauphiné, de Guy Allard

Guy Allard (1635-1716), célèbre et parfois controversé historien du Dauphiné, entreprit dans les années 1680 de rédiger un dictionnaire historique du Dauphiné. Il voulut le publier et fit paraître un prospectus en 1684, mais les souscripteurs ne durent pas se presser en foule. Il ne parut jamais, mais de nombreuses copies manuscrites circulèrent. Il en fut fait un abrégé, toujours sous forme manuscrite. C'est un de ces exemplaires qui a rejoint ma bibliothèque en même temps que La pastorale de Janin.

La reliure est modeste, mais le manuscrit est d'une belle écriture uniforme et très lisible, quoiqu'un peu chahutée parfois.


La notice sur Zizmi, dernière de l'ouvrage :


La modeste demi reliure en basane :


J'ai essayé de dater un peu plus précisément ce document, malgré mes connaissances très restreintes dans ce domaine. L'écriture me semble plutôt de la deuxième moitié du XVIIIe. En revanche, les filigranes du papier pourraient laisser penser qu'il date d'avant l'arrêt de 1741 sur les marques de papier.



Le premier est formé des initiales "J M". Le deuxième représente une cloche surmontée d'une couronne fleurdelysée. C'est la marque d'un format. Quelqu'un saurait-il m'en dire plus ?


De même, je n'ai pas trouvé beaucoup d'informations sur le propriétaire de cet ouvrage.


Qui était ce Champel ? Certes, j'ai trouvé que le
le 19 janvier 1772, un Champel avait fait partie des souscripteurs pour l'acquisition de la bibliothèque de Mgr Jean de Caulet, base de la Bibliothèque Municipale de Grenoble actuelle. Il existe Pierre-François Champel (1744-1814), avocat à Grenoble, fils d'André Champel, garde du corps sous Louis XV et père d'André Champel, camarade d'Henri Beyle (Stendhal) à l'Ecole Centrale. Il existe aussi Jean Louis Champel, avocat, député du district de Romans lors des Etats-Généraux de Romans en 1788. Il y a parfois une confusion entre Jean-Louis et Pierre-François Champel.

Toue cela est un appel à l'entraide bibliophilique. Si l'un d'entre mes lecteurs sait m'en dire plus, je suis preneur.

Ce
Dictionnaire de Guy Allard est resté inédit jusqu'à sa publication par Hyacinthe Gariel en 1864.

Comme conservateur de la Bibliothèque de Grenoble, il avait obtenu en 1844 du descendant de Guy Allard, Antoine Allard Du Plantier, le don de ses manuscrits à la bibliothèque de Grenoble. Même si cette bibliothèque possédait déjà une copie manuscrite, H. Gariel a pu travailler directement sur la copie originale de ce travail :
Dictionnaire historique, chronologique, géographique, généalogique, héraldique, juridique, politique et botanographique du Dauphiné, publié pour la première fois et d'après le manuscrit original par H. Gariel.
Grenoble, Imprimerie Edouard Allier, 1864, in-8°, 2 tomes


Pour en savoir plus sur ce dictionnaire, cliquez-ici pour le manuscrit et son histoire et cliquez-ici pour l'édition de 1864.

La belle reliure de cet exemplaire :

Pour finir, le témoignage, édifiant, d'H. Gariel sur les manuscrits de Guy Allard :
J'ai eu le bonheur d'obtenir en 1844 de l'amitié de M. Antoine Allard, de Voiron, descendant de Guy, le don pour la Bib. pub. de Grenoble de cette précieuse collection de mss., tous autographes de notre auteur. Malheureusement, aucun d'eux n'ayant été protégé par la moindre reliure, plusieurs se trouvent incomplets de quelques ff., même de cahiers entiers : d'autres sont profondément altérés par ces deux fléaux des bibliothèques, l'humidité et les rats... — Outre les XXIII ouvrages ci-dessus formant 36 vol. ou cahiers, notre Bib. possède encore une quantité considérable de feuilles volantes et de cahiers détachés dont il sera difficile de faire des corps d'ouvrage à cause des nombreuses lacunes et l'absence complète de titres. On ne pourra guère les regarder que comme des recueils de notes. Leur réunion formera environ 15 vol. qui, réunis aux 36 déjà signalés, atteindront un total de 51. Mais ce nombre sera loin de comprendre tous les ouvrages mss. laissés par G. Allard. En effet, plusieurs d'entre eux étaient numérotés, et le plus haut chiffre porté sur les mss. acquis par nous est celui de 82. Or, en l'adoptant comme le plus élevé de la collection, il resterait encore 31 ouvrages ou volumes que l'on doit probablement regarder comme à jamais perdus.
Le jugement sans aménité, voire fielleux, de Joseph Roman, un érudit haut-alpin de la deuxième moitié du XIXe siècle :
C'est, du reste, un mauvais service à rendre à certains historiens que de les remettre en lumière et d'exposer aux regards de tous, en les soulignant, leurs erreurs et leurs lacunes. Guy Allard, avant la publication de son Dictionnaire du Dauphiné, jouissait d'une grande réputation; elle n'a pas survécu à l'apparition de son livre.

samedi 9 juillet 2011

La Pastorale de Janin, Jean Millet, 1700

Il y a deux semaines, je vous présentais un très rare Recueil de poésie, en langage vulgaire de Grenoble, que j'ai acheté sur ordre lors d'une vente aux enchères récente. Après l'avoir reçu et découvert, l'ouvrage contenait une autre bonne surprise, que la description succincte de la vente ne laissait pas deviner. En effet, dans le même ouvrage, relié ensemble, se trouve une édition d'un autre célèbre texte en patois de Grenoble : Pastorale et tragi-comédie de Janin.

Mais, surprise, il n'y a ni faux titre, ni titre, ni permission. L'ouvrage commence un peu abruptement par cette dédicace à Mgr de Pourroy :

Après avoir bien cherché, nulle part n'apparaît une date permettant de la situer dans le temps. Cela rend l'identification de l'édition problématique et atténue le plaisir d'avoir découvert ce texte qui semble, de prime abord, incomplet. Il faut alors lancer l'enquête.

Je découvre d'abord que cet exemplaire est le n° 586 de la vente de la bibliothèque Salvaing de Boissieu, en 1897. Dans la notice précise des experts Emmanuel Pilot de Thorey, archiviste, et Félix Perrin, libraire, l'édition est ainsi identifiée : Pastorale et tragi-comédie de Janin, par J. Millet, s.n.d.l.n.d. (Grenoble, 1700), in-8° de 119 pp.

Je me réfère alors à la première et presque unique bibliographie des éditions de la
Pastorale de Janin par Paul Colomb de Batines dans sa Bibliographie des patois du Dauphiné insérée dans les Mélanges biographiques et bibliographiques relatifs à l'histoire littéraire du Dauphiné, 1837. Il compte 15 éditions de ce texte depuis l'édition originale jusqu'à la dernière édition, une édition de colportage de 1800.

L'édition de 1700 correspond à cette description de Colomb de Batines :
Grenoble, 1700 , in-8° de 119 pag., signé Ah-HZ : "Cette édition est citée par Champollion (
Nouv. Rech., page 198). J'en possède un exemplaire, et un autre se trouve à la bibliothèque publique de Grenoble (Catal., N.° 16510). Ces deux exemplaires sont sans titre et faux-titre."

En effet, Champollion-Figeac, pour la première fois, donne la date de 1700, qui est aussi reprise par Colomb de Batines. Je ne sais pas ce qui leur permet d'affirmer que cette édition date de 1700. Dans notre exemplaire ici décrit, il manque aussi le titre et le faux titre, comme les deux cités par Colomb de Batines. Nulle part il n'apparaît de mention de date d'impression, ni d'édition : pas d'achevé d'imprimer ni de permission. Cette date de 1700 est ensuite reprise par tous les bibliographes postérieurs : Rochas ne fait que recopier Colombe de Batines. E. Maignien, dans :
L'Imprimerie, les Imprimeurs et les Libraires à Grenoble du XVe au XVIIIe siècle, Grenoble, 1884, référence cette édition sous le n° 872 et émet l'hypothèse d'une impression par Faure.

L'enquête est maintenant terminée. Je me range à l'avis des experts, c'est bien l'édition de 1700, qui présente la curieuse particularité de n'avoir ni faux titre, ni titre dans tous les exemplaires connus. Le bibliophile qui est en moi s'avoue rassuré. L'exemplaire est complet. La réunion des deux pièces dans cet exemplaires en fait bien une rareté bibliophilique.



Pour en savoir plus sur cette Pastorale, cliquez-ici. Vous aurez ainsi un résumé de la triste histoire du berger Janin et de ses amours contrariés avec la bergère Lhauda.

On lit ça et là des critiques sur les experts des ventes de livres. J'avoue que la "sobriété" de la description de l'expert de cette vente a été pour moi l'occasion d'une belle découverte. A quelque chose, malheur est bon !

Les recherches sur ce livre ont été l'occasion de me pencher sur le poète Jean Millet. Je m'aperçois que l'on sait fort peu de choses de lui et que les quelques renseignements fournis par les érudits dauphinois sont contradictoires. J'ai tenté d'en faire une synthèse dans la notice que je lui consacre (cliquez ici).

Au passage, autre enquête, pour éclaircir la question de
La Faye de Sassenage, premier ouvrage de Jean Millet, en 1631, dont on parle depuis près de 250 ans, cité par toutes les bibliographies, mais que personne n'a jamais vu.

Tout commence dans le catalogue de la bibliothèque de Falconet, établi en 1763, où ce livre est référencé sous le n° 11704 :
La Faye de Sassonage (sic), Grenoble, 1631, in-4°. Il fait partie des ouvrage qui ont été donnés à la Bibliothèque du Roi.

Dans sa bibliographie de Jean Millet, P. Colomb de Batines le reprend en précisant : "Pièce fort rare, dont je n'ai jamais vu d'exemplaire; elle est citée par Brunet (Nouvelles Recherches, tome II, page 428 ). L'exemplaire de la bibliothèque Falconnet (Catalogue, tome II, N.° 11704) faisait partie de ceux qui furent légués par ce médecin à la bibliothèque royale; mais M. Quérard, que j'avais chargé de m'en envoyer la condition, m'a dit qu'on n'avait pu l'y retrouver." (p. 195). Brunet lui-même dit : "Pièce très-rare, portée dans le catal. Falconet, 11704, mais qui ne s'est pas retrouvée à la bibliothèque impériale, où elle devrait être conservée. Peut-être n'est-ce que le prologue de la pastorale de Janin."

Malgré cela, cette pièce,
La Faye de Sassenage, de 1631 sera citée dans toutes les bibliographies suivantes (Rochas, Maignien), chaque fois en précisant que personne ne l'a vue. Ajoutons que l'on ne trouve évidemment aucune édition de cette pièce au CCFr. Dans la notice de l'édition de 1800 du catalogue Perrin (n° 609), le long commentaire reprend les renseignements de Colomb de Batines et se termine par : "nous n'en connaissons AUCUN EXEMPLAIRE".

Voici comment, à force de démentis, on finit pas faire exister quelque chose qui n'existe pas.

Pour finir, un extrait. Je parle souvent de ce patois ancien de Grenoble, mais je n'ai jamais eu l'occasion de vous en faire lire :

Courageo! me veici u bord du précipicio,
Me veici tot à point de fare sacrificio
De mon corps u courbat. Adieu mondo perver,
Mondo qu'a la consience et l'âma de traver;
Adieu maudit paï que l'Isera partage,
Coulant ainsi que font le serpen din les hage;
Adieu genti tropet que j'ai ben perbocha,
Adieu Lhauda su qui un aze eit abocha;
Adieu à tot jamais, volagi sans cervella !
Te n'auriès de ma mort ni de mon corps novella !..