dimanche 26 août 2012

Jean Jacques Rousseau à Grenoble (bis)

Il y a quelques mois, je présentais une plaquette d'Auguste Ducoin sur le (court) séjour de Jean-Jacques Rousseau à Grenoble en 1768 (voir ici). Au passage, c'est un des messages parmi les plus lus. Ce travail était fondé sur un mémoire manuscrit de l'avocat Bovier qui avait accueilli Rousseau à Grenoble et l'avait accompagné tout au long de son séjour, jusqu'au point de l'importuner. Rousseau lui fera un sort en le tournant en dérision, nominativement, dans un passage des Lettres d'un promeneur solitaire. Il l'a pas moins accusé de l'avoir laissé prendre le risque de s'empoisonner avec des baies sur les bords du Drac.

En cette année du tricentenaire, les Presses Universitaires de Grenoble (PUG) ont eu la bonne idée de publier à nouveau ce document, en respectant les règles modernes de la publication des textes manuscrits. L'ouvrage, bien illustré, est présenté et annoté par Catherine Cœuré et Jean Sgard.


Les règles modernes de publication impliquent au moins la fidélité au texte original. C'est ainsi que j'ai découvert que le texte publié par A. Ducoin en 1854 n'était qu'une paraphrase du mémoire de l'avocat Bovier, paraphrase qui était parfois accompagnée de commentaires, voire de jugements de valeur sur ce "pauvre" Bovier. Le texte a même parfois été réécrit, rarement à l'avantage de Gaspard Bovier. La comparaison de ces deux extraits permettra de comprendre mon propos.

Le texte original, tel que donné par l'édition des PUG (p. 30) :

Pour éviter un détour dans les appartements des domestiques et la cuisine, je le conduisis par mon cabinet qui était contigu à l'escalier. En y entrant et voyant une bibliothèque assez considérable, trop peut-être pour un idiot de ma sorte, il fronça le sourcil et me dit d'un ton assez ironique : « Il y a ici bien des mensonges ! » - « Il y a encore plus de belles et bonnes vérités, monsieur, lui repartis-je, je vous montrerai Emile qui me guide ainsi que vous allez le voir, le Contrat social que j'étudie, La Nouvelle Héloïse qui me transporte, plusieurs discours de Jean-Jacques Rousseau et d autres auteurs qui m'instruisent et m'amusent. »
Il balbutia quelques mots et, continuant sa route en donnant la main à la belle nourrice.

La version d'Auguste Ducoin (pp. 19-20) :

On traverse un cabinet occupé par la bibliothèque de Bovier.
- Il y a ici bien des mensonges, dit Jean-Jacques, en donnant cours à ses pensées favorites, aussitôt qu'il apercevait un volume, ou la moindre feuille imprimée.
- On y trouve plus encore de belles et bonnes vérités, s'écrie l'avocat, à l'affût d'une occasion favorable pour glisser un compliment. Voyez l'Emile, qui est mon guide, le Contrat social que j'étudie et la Nouvelle Héloïse qui me ravit d'admiration !
A ce coup d'encensoir où fumait un parfum trop grossier pour son orgueil délicat et raffiné, Jean-Jacques rougit, balbutie quelques mots et s'empresse de gagner une petite cour.
On voit qu'après avoir été ridiculisé par J.-J. Rousseau, Gaspard Bovier se voit mal servi par son compatriote Auguste Ducoin.
Cela m'amène d'ailleurs à revoir ce que j'avais pu écrire sur l'ouvrage d'Auguste Ducoin que je tenais pour un travail de qualité.

Je recommande donc cet ouvrage. Je n'aurais qu'un seul regret à exprimer. A trop vouloir défendre la mémoire de Jean-Jacques Rousseau, fallait-il charger la mémoire de ce "pauvre" avocat Bovier qui, non seulement a été accusé de laisser Rousseau s'empoisonner, mais passe maintenant pour un "notable prétentieux, mais un peu naïf". Preuve, s'il en ait, que la passion que provoque Rousseau n'est toujours pas éteinte au point qu'il y a toujours des personnes pour le défendre même dans les travers de sa personnalité ou de son comportement quotidien. Pourtant, cela n'a pas de rapport direct avec sa pensée, qui, seule aujourd'hui, devrait faire l'objet de débat.

Avant cette édition de 2012, le manuscrit de Gaspard Bovier a été auparavant publié en 1964 dans une édition bibliophilique :
Gaspard Bovier
Journal du séjour à Grenoble de Jean-Jacques Rousseau, sous le nom de Renou, établi d'après le manuscrit 15.282 du fonds français de la Bibliothèque Nationale.
Introduction de Raymond Schiltz. Préface de Jean Guéhenno. Illustration d'Henri Patez.
Grenoble, Roissard, [1964], in-8°, 144-[8] pp., 8 illustrations hors texte : 4 dessins originaux d'Henri Patez, une reproduction de la carte de Cassini et 3 fac-similés.




Cet ouvrage a été publié pour le Cercle des Professeurs bibliophiles de France, à 1000 exemplaires.

L'introduction, qui situe bien le contexte de la visite de Rousseau à Grenoble et les motivations de Gaspard Bovier pour la rédaction de ce mémoire justificatif, insiste cependant beaucoup sur le mariage de Jean-Jacques Rousseau et Thérèse Levasseur, qui a eu lui pendant ce séjour en Dauphiné, à Bourgoin le 29 août 1768.

samedi 4 août 2012

Une plaquette pour une belle amitié alpine

En 1888, Katharine Richardson, une anglaise de 34 ans (elle est née à Edlington en Angleterre le 24 avril 1854) fait la première féminine de la Meije. Ce même jour, Mary Paillon (1848-1936), une autre alpiniste, une des pionnières de l'alpinisme au féminin, se trouve à la Grave. Quelques jours plus tard, elles se retrouvent à la Bérarde et de là naît une amitié entre elles qui ne se terminera que par la mort de Katharine Richardson à Oullins, près de Lyon, le 20 août 1927.

A partir de ce moment-là, les deux femmes parcourront les alpes, en enchainant les premières féminines. Elles sauront aussi se faire simples excursionnistes. C'est ainsi qu'en août 1897, elles rejoignent 3 centres d'excursions alpins qui permettent de découvrir le massif des Ecrins par des abords un peu différents. Ce sont le Désert en Valjouffrey, le Clot en Valgaudemar (refuge Xavier Blanc) et Ailefroide, près de Vallouise. Mary Paillon se fait diariste et Katie Richardson se fait peintre et dessinatrice. De l'association des deux naît un texte d'abord paru dans la Revue alpine, dont un tirage à petit nombre a été fait spécialement pour la section de Gap du Club Alpin Français :
Autour de Trois Nouveaux Centres d'Excursions. Pages de la vie alpine.
Lyon, Imprimerie Vve Mougin-Rusand, 1898


C'est une petite plaquette tout simple, mais on peut en faire son bonheur pour la fraîcheur du récit de Mary Paillon qui sait rendre les péripéties minimes de cette excursion. En digne sœur de son frère (Maurice Paillon, rédacteur des guides Joanne), elle sait aussi apprécier les efforts faits pour aménager le massif afin d'en faciliter l'accès aux touristes.Quant aux dessins de Katie Richardson, ils donnent une touche de légèreté au récit comme ce petit croquis d'une chaussure remplie de paille pour la faire sécher. 


A ses heures, Katie Richardson savait aussi être peintre (aquarelliste semble-t-il), comme dans cette représentation de l'Olan (le style en est peut-être un peu plus lourd) :



Si l'on veut découvrir Mary Paillon et Katie Richardson, rien de mieux que de lire le beau texte que leur a consacré Micheline Morin dans un des premiers essais consacrés à l'alpinisme au féminin : Encordées, paru en 1936. Pour lire ce texte, cliquez-ici.


Témoignage de leur amitié, elles se rendent toutes les deux à la mairie d'Oullins le 21 octobre 1911 pour déclarer le décès de Jane Paillon, la mère de Marie et Maurice Paillon. Leurs signatures se trouvent côte-à-côte dans le registre



Un autre attrait de cette plaquette est qu'elle a été donnée par Mary Paillon au révérend Coolidge (1850-1926), un américain qui a été un des pionnniers de l'alpinisme de l'âge d'or. En particulier, il fut un des artisans de la découverte et de l'exploration du massif des Ecrins dans lequel il a enchaîné les premières. Au début, il était accompagné de sa tante Miss Brevoort et de sa chienne Tschingel !

Il a apporté quelques corrections manuscrites au texte de Mary Paillon.

Cette photo traditionnelle de Coolidge au temps de ses exploits :



peut être complétée par celle-ci, où on le voit âgé. On devine son côté "ronchon" qui le fera se chamailler avec beaucoup de ses contemporains sur des points d'érudition alpine (il se voulait le spécialiste incontestable de l'histoire alpine...).



Pour finir ce message, je ne peux m'empêcher de mettre en rapport ce dessin de Katie Richardson représentant la refuge Xavier Blanc dans le Valgaudemar :


 avec cette photo prise l'année dernière lors d'un séjour dans cette vallée.



Pour finir, une belle vue de l'Olan et du lac des Pétarels dans le Valgaudemar, souvenir des vacances de l'année dernière, toujours dans le Valgaudemar.