Poursuivant l’enrichissement de ma bibliothèque avec tout ce qui a pu paraître à l’étranger sur les Alpes dauphinoises, j’ai déniché récemment une plaquette rarissime chez un libraire turinois. J’aurais l’occasion à la fin de ce message de raconter comment je suis arrivé jusqu’à elle.
Rappelons quelques faits pour comprendre tout l’intérêt de ce texte. Jusqu’au début des années 1860, le massif des Ecrins (appelé parfois massif de l’Oisans) était en grande partie inconnu. La seule carte valable était celle de Bourcet, parue en 1758. Aucun des sommets majeurs du massif n’avait été gravi (sauf le Pelvoux, mais personne ne le savait). Pis que cela, le point culminant du massif n’était pas clairement identifié. La carte d’Etat-Major de la région n’avait pas encore été publiée (elle le sera en 1866). On le voit, il y a 150 ans, certaines régions lointaines du monde étaient mieux connues que nos propres montagnes françaises.
Malheureusement pour notre chauvinisme, ce sont d’abord les Anglais qui ont exploré et décrit le massif. Je rappelle juste les noms de Whymper, Tuckett, T. G. Bonney, Mathews, Coolidge, etc. L’existence du premier Club Alpin, fondé en Angleterre en 1857, a été un puissant facteur d’émulation et une tribune indispensable pour partager les découvertes. C’est ce que l’on a vu dans la série des
Peaks, Passes and Glaciers ou dans les premiers volumes de l'
Alpine journal, qui ont fait l’objet du message précédent.
Comme certains des explorateurs anglais, c’est mû par une curiosité scientifique que Martino Barettti (1841-1905), géologue italien, explora le massif des Ecrins en août 1872. Parti de Bardonnèche en Italie, il rejoignit Ailefroide, explora plus particulièrement le secteur du Pelvoux et des Ecrins. Comme les Anglais, il pouvait profiter de la tribune que lui offrait le Club Alpin Italien, tout récemment créé, qui, à l’instar de son aîné, publiait un Bollettino. C’est dans celui de l’année 1872-1873 qui M. Baretti fit paraître le récit de son voyage. Il en a ensuite été fait un tiré à part de 72 pp., paru en 1873 :
Otto giorni nel Delfinato,Torino,
G. Candeletti, successore G. Cassone e Comp., Tipografo-Editore, 1873, in-8° , 72 pp., 4 planches en chromolithographies
in fine hors texte dont 3 dépliantes.
Pour ce que j’ai compris du texte (ma lecture de l’italien reste approximative), il n’y a pas d’apport majeur. Il fait d’ailleurs souvent référence à T. G. Bonney, qui, avec Tuckett, sont ceux qui ont le mieux éclairci la structure interne du massif. Ce qui fait la valeur de cet ouvrage sont les 4 magnifiques planches chromolithographiques qui illustrent l’ouvrage. Elles méritent chacune d’être détaillées.
La première (numérotée VII, pour tromper le bibliophile anxieux d’acheter un ouvrage complet de ses planches), est une carte sommaire du massif, mais dont toute la valeur est dans son aspect esthétique. Certes, elle n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à la carte de T G. Bonney et à la carte d’Etat-Major, mais, pour la première fois, on tente de donner une représentation plus esthétique du massif.
La deuxième est une vue du Pelvoux depuis le refuge Tuckett. Cette vue, une des plus classiques du massif, avait déjà été donnée par Bonney. Historiquement, c’est la deuxième qui a paru (je ne pense pas me tromper, mais je suis disposé à être contredit).
A titre de comparaison, je donne l'autre vue qui l'a précédée.
Troisième planche, un panorama du massif depuis le sud-est et deux des faces des Ecrins, la face nord depuis le col du Glacier Blanc et la face sud-ouest, depuis le glacier de la Pilatte.
Enfin, la quatrième et dernière est un magnifique panorama en couleurs de l’ensemble du massif, sur une grande planche dépliante de plus de 60 cm de long. Cette planche est intéressante à plusieurs titres. C’est d’abord le premier grand panorama du massif, ensuite, c’est le premier panorama en couleurs, enfin, je le trouve beau…
Et maintenant, me direz-vous, où étaient les Français ? Il faut reconnaître qu’ils sont arrivés un peu plus tardivement. Certes, ils étaient déjà présents, explorant le massif, mais ils ne disposaient d’aucune revue ou journal leur permettant de publier leurs observations. Au niveau national, il a fallu attendre la création du Club Alpin Français, en 1874, et la parution du premier annuaire en 1875 pour que l'on puisse enfin lire les textes des Paul Guillemin, Henri Ferrand, Henry Duhamel, etc. Au niveau local, c'est la création de la Société des Touristes du Dauphiné qui a accompagné cette « prise en mains » du massif des Ecrins par les Français.
Pour revenir à l’introduction du message, je voudrais dire en 2 mots comment j’ai découvert cet ouvrage. Auparavant, il faut dire que je ne l'ai jamais vu en 15 ans de chine bibliophilique et surtout que je n'en avais jamais entendu parler dans aucune des bibliographies ni aucun des ouvrages sur les Alpes ou le massif des Ecrins. Au passage, j’espère que je ferais découvrir un livre, indispensable, me semble-t-il, aux quelques amateurs de nos montagnes du Dauphiné.
Pour revenir à ma quête du Graal, je disais que je ne l'avais vu dans aucune bibliographique. C’est vrai sauf… dans un ouvrage de Paul Guillemin, auteur dont on ne dira jamais assez ce qu’il nous apporte encore pour l’histoire des Alpes dauphinoises.
J’avais noté cette référence dans ma bibliographie, mais je n’y avais pas plus porté attention. Il y a tellement de plaquettes… Cependant, profitant d’un passage à Grenoble, j’ai consulté l’ouvrage dans le Fonds Dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble et, là, je suis tombé en arrêt devant ce livre. Il me le fallait ! Ensuite, plus classiquement j’ai lancé une recherche sur internet, ce qui m’a conduit jusqu’à ce libraire italien. Après avoir acquitté un prix italien (si l'Italie est le pays d’une certaine légèreté, ce n'est clairement pas le cas pour le prix des livres anciens…), il est venu rejoindre ma bibliothèque. Après l’avoir ausculté, détaillé, photographié, décrit, je partage avec vous ma découverte.