dimanche 16 juin 2013

Une collection d'ouvrages sur Notre-Dame-du-Laus

Je viens de compléter ma petite collection d'ouvrages sur le pèlerinage marial de Notre-Dame-du-Laus, dans les Hautes-Alpes. Ce pèlerinage, qui fait suite aux apparitions de la Vierge à la bergère Benoite Rencurel au XVIIe siècle, a donné lieu à toute une littérature édifiante, qui commence par la publication d'un Recueil historique des merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus, près Gap, en Dauphiné, par l'intercession de la sainte Vierge, et des principaux traits de la vie de Benoite Rencurel, surnommée la bergère du Laus, en 1736, premier témoignage imprimé sur ces apparitions.


La carcatéristique de cet ouvrage est qu'il en a été donné 4 éditions, toutes à la même date, avec, comme seule constante, le texte central en 16 chapitres qui décrit la vie de la bergère  Benoite Rencurel, le récit des apparitions et des débuts du culte local autour de ces apparitions.

Ces 4 éditions diffèrent pas les pièces ajoutées (Avertissement, Avis au lecteur, Cantate, Fautes à corriger) et par la présence ou non d'un gravure en frontispice représentant l'apparition de la vierge à Benoite Rencurel.

J'ai commencé à les étudier et en analyser les différences. Si on les appelle a, b, c et d, on constate une grande proximité entre l'édition a) qui ne comporte pas de gravure en frontispice :




et l'édition b) :


qui comporte une belle gravure, signée de F. de Poilly :



L'édition c) diffère par la page de titre, même si l'on trouve encore quelques similitudes avec les deux éditions précédentes, malgré la vignette changée :



et par la gravure, qui semble une copie moins fine et inversée de la précédente. La signature a disparu. Est-ce que cette édition est une contrefaçon ? Est-ce une une édition tardive, car certains exemplaires portent une indulgence datée de 1756 ?  En effet, pour ne rien simplifiée, pour une même édition, il y a des différences minimes entre mon exemplaire et ceux que l'on peut consulter numérisés sur Internet.



Il y a enfin l'édition d) qui a une typographie complétement renouvelée et plus "moderne" :



alors qu'au même moment, la gravure sur bois est franchement naïve :



Sans conteste, par la présence de la même indulgence datée de 1756, cette édition est postérieure à cette date, malgré celle de 1736 marquée au titre.

Cette diversité se retrouve aussi dans les conditions :

a) est brochée.
b) est conservée sous un cartonnage, probablement du XIXe siècle.



c) est reliée dans une modeste basane qui a subi les affres du temps. La reliure doit être d'époque.


Elle porte un naïf ex-libris manuscrit  :



d) est conservée sous une reliure romantique, avec un beau dos lisse orné de fleurons romantiques et des plats en percaline portant un motif (probablement une plaque) estampé à froid.

 J'aime beaucoup ces éditions populaires d'un texte qui ne l'est pas moins. Il m'a fallu plus de 10 ans pour rassembler ces 4 éditions (je ne sais même pas si c'est le terme adapté). Je vais les décrire soigneusement et ainsi publier la première description précise des 4 éditions. Il faudra ensuite que je m'attaque aux nombreuses rééditions du XIXe siècle, qui ont été suivies par de nombreuses études et par de pas moins nombreux ouvrages de piété, en particulier au moment du renouveau de ce culte marial, sous le Second Empire.Ce pèlerinage, toujours vivant, a connu une nouvelle actualité sous l'impulsion de l'évêque de Gap Di Faclo et des fameux prêtres dont les chants doivent servir à financer un nouveau centre.

Rq : depuis la rédaction de ce message, j'ai avancé en faisant une étude comparative précise entre les 4 exemplaires que vous pouvez consulter sur cette page (cliquez-ici) et plus particulièrement dans ce tableau comparatif (cliquez-ici).

Pour finir, quelques images glanées sur Internet :



samedi 8 juin 2013

Le loup dans les Hautes-Alpes ... et dans les livres

Les Loups ministres de la cholere de Dieu, lesquels ces années passées ne couroient aux chairs humaines, que de l'Embrunois sans endommager les voisins ne l'estranger qui y frequentoit, ne mesme sortir des limites de cette principauté là, commencerent enfin de venir faire leurs courses et leurs ravages dans nos terres, s'en prendre aux Chrestiens Briançonois, qui sont deça le Mont-Genevre, et par ainsi du mesme Diocese. Une jeune fille en Queyrieres fut la premiere qu'ils mirent en pieces et emportarent la nuict sur les marches de l'Embrunois. Un loup fut sinon si apprivoisé. Puisque, lupus cicur fieri non potest, dit sainct Basile, du moins si hardy, que de venir le soir dans sainct Martin Queyrieres, mettre sa teste à la fenestre d'un establat pleine de gens, et puis lutter avec une villageoise, laquelle en estant quelques heures apres sortie pour aller où elle estoit requise en personne, il la saisit, et elle, le Loup, et ne sçeut se defendre si bien, ne le soudain secours, qui à son cry accourut, que cet animal n'emportat partie des fesses par où il l'avoit surprinse.
Ces quelques lignes, parfois obscures, introduisent le chapitre Ravages des loups, d'un ouvrage paru en 1639 :
Essais d'Antoine Froment advocat au Parlement du Dauphiné sur l'incendie de sa patrie, les singularitez des Alpes en la principauté du Briançonois, avec plusieurs autres curieuses remarques sur le passage du Roy aux Italies, ravages des loups, pestes, famines, avalanches, embrasements de plusieurs villages, y survenus de suite.
Grenoble, Pierre Verdier, Imprimeur du Roy, M. DC. XXXIX (1639), in-4°, 300 pp.

Je ne cite pas la suite qui n'est qu'une litanie sur les faits et méfaits du loup, qui se poursuit dans ce style indigeste que j'épargne au lecteur, à l'exception de cette petite notation :
Un autre Loup fut si osé et si delicat, que de venir à plein jour presque au mitan dudit village de Chante-Merle, boire à la barbe de la fontaine parer le groin à la cheute de l'eau et s'en retourner hardiment.
Elle m'a remémoré ces deux photos spectaculaires : un loup au Plan-de-Phazy, près de Guillestre. Ces photos, prises par un agent de l'ONF durant l'hiver 2009, démontrent, s'il en était besoin, que le loup est bien présent dans les Hautes-Alpes.


Artistide Albert a republié ce texte en 1868, avec des notes :


Reproduction de la page de titre de l'édition originale de 1639


A propos des loups, A. Albert précise :
Depuis environ trente années, les loups ont presque complètement disparu du Briançonnais. De temps à autre, on en signale quelques-uns dans le canton de l'Argentière, venus du Champsaur ou du Valgaudemard, par la gorge du Fournel.
Dans toute la littérature ancienne, le loup n'est qu'un animal dangereux, nuisible, qu'il faut chasser et exterminer.

On pourrait trouver de très nombreuses citations sur le loup dans les Hautes-Alpes et dans nos montagnes, mais tel n'est pas mon propos aujourd'hui. Comme vous le savez, le loup est revenu dans les Hautes-Alpes, et plus généralement en France. Cela a donné l'idée à Jean-Michel Bertrand de partir à sa chasse, non pas pour l'exterminer comme aimait le décrire nos anciens, mais pour le débusquer dans sa cache et le filmer. Il nous a déjà donné une très belle évocation de l'aigle dans les Hautes-Alpes, dans le film Vertige d'une rencontre. Il part maintenant à la poursuite du loup et, pour cela, il fait appel à l'aide des internautes pour financer une partie de son film, selon le principe du "Crowdfunding", pour ceux qui aiment les concepts modernes et les mots qui les accompagnent.



Si vous êtes tentés d'aider ce projet, rendez vous sur le site de TousCoprod en suivant ce lien : cliquez-ici. (Attention, il reste 12 jours !) Même si vous ne voulez pas participer, vous pouvez y aller pour voir la belle bande-annonce et quelques actualités sur la poursuite du loup.

Pour terminer ce message, juste un commentaire. Dans les Hautes-Alpes, le sujet du loup est extrêmement émotionnel et, comme l'on dit dans le jargon actuel, très clivant. Autrement dit, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Le fait qu'aujourd'hui j'apporte ma modeste contribution à la promotion de ce film animalier ne préjuge en rien de ma position, dans cette échiquier politique (parce que, malheureusement, il s'agit aussi de cela) du sujet.

Pour finir sur un animal plus consensuel, ces quelques photos de bouquetins au-dessus de la route du Lautaret. Je les ai prises il y a quelques semaines pendant mes vacances. La chasse photographique du bouquetin est plus paisible que celle du loup !












 

dimanche 2 juin 2013

Un fou littéraire haut-alpin

Le 2 avril 1808, en fin d'après-midi, la paisible ville de Gap fut troublée par un tremblement de terre qui réveilla tout d'un coup des inquiétudes au sein de la population. Certains se souvinrent alors d'une prophétie de Nostradamus (laquelle ?) qui prédisait une engloutissement de la ville de Gap. En ces temps de prospérité impériale, il n'était pas admissible que la quiétude d'une tranquille préfecture de l'Empire soit perturbée par de tels événements. C'était sans compter sur un juge du tribunal de Gap, probablement légèrement inoccupé, Jacques François Joseph Rochas qui prit aussitôt sa plume et sa science pour rassurer ses concitoyens. A peine un mois plus tard, il produisit des : Observations sur les tremblemens de terre, contenant quelques détails relatifs à la capitale des Hautes-Alpes et aux contrées du département du Pô, dans lesquelles les phénomènes du 2 avril dernier et jours suivants du même mois ont fait éprouver des alarmes, par M. R***.
En 12 propositions, il développa sa démonstration : les tremblements de terre sont provoqués par des feux électriques ou foudres, qui se propagent par des souterrains. Il put donc affirmer : Gap est à l'abri des feux souterrains, ainsi que des inondations.
Je ne résiste pas au plaisir de donner la liste exhaustive des 12 propositions :
1. Ce n'est que depuis le déluge universel arrivé sous Noë , que les tremblemens de terre se sont manifestés sur notre globe.
2. On peut en tout pays parvenir à lever la carte des grottes et souterrains qui ont été le siège des derniers tremblemens de terre, et en tirer des éclaircissemens pour ceux avenir.
3. Route qu'à tenu le feu du tremblement de terre du 2 avril 1808 et jours suivans, dans partie des état de Napoléon et des cantons Helvétiques
4- Jusqu'ici les assertions qu'on a données sur la direction des tremblemens de terre ne sont que des conjectures incertaines. Plan d'une machine fort simple qui doit infailliblement indiquer la direction des feux souterrains toutes les fois qu'on éprouvera un tremblement de terre;
5. Les mouvemens que le tremblement de terre impriment quelquefois aux cloches et sonnettes suspendues, ne peuvent-ils pas être déterminé par toute autre cause immédiate que la secousse qu'éprouvent les édifices ?
6. Gap est à l'abri des feux souterrains.
7. Cette ville est de même à l'abri des inondations aussi bien que peut l'être toute autre ville en général.
8. Les tremblemens de terre arrivent plus fréquemment aux environs des deux equinoxes.
9. L'apparition ou disparition spontanée des sources d'eau commune ne prouve pas la proximité du souterrain qui conduit le feu du tremblement de terre, et encore moins la proximité du foyer.
10. Les tremblemens de terre qui se font ressentir en plusieurs lieux presqu'au même instant et à d'assez grandes distances, ne peuvent avoir que le feu électrique pour agent principal.
11. Les moyens jusqu'ici proposés par les physiciens à l'effet de délivrer certains territoires des tremblemens de terre trop fréquens, en facilitant l'éruption des feux volcaniques, paraissent les uns insignifians, les autres au-dessus des forces humaines.
12. Les tremblemens de terre sont aujourd'hui pour nous des événcmens naturels et l'on ne saurait rien observer dans les météores, ni dans l'instinct des animaux qui soit capable de nous servir de présage à ce sujet.
Ce brave juge aurait pu en rester là. Il faut croire que sa notabilité l'a protégé des quolibets et critiques, car un mois après, il complèta son "œuvre" par un Supplément aux précédentes Observations sur les tremblemens de terre et fit donc paraître anonymement, comme le premier :
Nouveau pas sur les sentiers de la nature. Concernant les causes physiques des secousses réitérées des Tremblemens de terre. Système sur la matérialité de l'axe du globe terrestre; Le tout accompagné de quelques particularités qui ont rapport aux Sciences Physiques, Naturelles, et à l'Antiquité, traits d'Histoire et Réflexions morales.
Ouvrage utile à l'enseignement de la Jeunesse.
Par un habitant des Hautes-Alpes.
Gap, J. B. Genoux, Imprimeur, 5 mai et 25 juin 1808, in-12, [2]-292 pp.

L'ouvrage est indescriptible. Je vous laisse découvrir les sujets qui se suivent sans ordre ni cohérence. Il semble juste avoir une prédilection pour l'antiquité. J'en ai fait une lecture détaillée, que vous pouvez consulter ici : cliquez-ici. Vous penserez peut-être que s'il y a des fous pour écrire de tels livres, il y a aussi des fous pour les lire et passer quelques heures à décrire leur production. Je finis ce message en notant simplement qu'André Blavier, dans son ouvrage de référence Les fous littéraires n'a pas connu cette production de notre province.

Pour terminer ce message, je ne peux que dire, comme l'auteur : "Comme ces conjectures ne peuvent mener à rien de solide, n'abusons pas des momens du lecteur".

Pour atténuer mon propos, et ne pas vexer d'éventuels descendants de ce monsieur qui prirent la particule et la noblesse en se faisant appeler de Rochas d'Aiglun, signalons que son père fut un des premiers historiens de Gap (Joseph Dominique de Rochas, cliquez-ici) et que son petit-fils, Albert de Rochas d'Aiglun, polytechnicien et directeur des études de la prestigieuse école, fut un érudit qui avait tout de même un brin de fantaisie, comme en témoigne cette photographie où on le voit entouré d'un spectre.



Sur les Rochas d'Aiglun : cliquez-ici.