dimanche 28 juin 2015

Musée Stendhal, Grenoble

J'ai découvert récemment le musée Stendhal de Grenoble.

 Le grand salon, avec une armoire dressoir signée du célèbre ébéniste Thomas Hache de Grenoble.

Il est installé dans l'ancien appartement du docteur Gagnon, le grand-père bien aimé de Stendhal, personnage central de La vie de Henry Brulard. Ce sont d'ailleurs les notes et dessins de cet ouvrage qui accompagnent le visiteur dans les quatre pièces qui forment cet appartement. Sur ce dessin extrait du manuscrit du livre, Stendhal lui même nous croque un plan de cet appartement.


L'appartement  se prolonge par la fameuse terrasse couverte d'une treille, construite sur l'ancien rempart romain, qui donne sur le jardin de ville :



La terrasse de l'appartement Gagnon.
Aquarelle de Pierre Vignal, Pèlerinages dauphinois, Gabriel Faure, Grenoble, 1920.


Un petit livre très bien fait permet de prolonger la visite et fournit tous les éléments sur la vie de Stendhal à Grenoble.



L'appartement Gagnon /Musée Stendhal

Adresse

20 Grande Rue
38000 Grenoble

Horaires d'ouverture

Ouverture aux individuels :
mardi, mercredi, et vendredi de 14 h à 18 h,
samedi de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h,
dernier dimanche de chaque mois de 14h à 18h

Ouverture aux groupes constitués et aux groupes scolaires (sur inscription à l’appartement Gagnon)
mardi, mercredi et vendredi de 9 h à 12 h
jeudi de 9 h à 12h et de 14h à 18h

Téléphone

04 76 86 52 08

dimanche 21 juin 2015

Un chevalier de Molines-en-Queyras aux Croisades !


Il est étonnant de voir des familles de bonne noblesse, reconnue et estampillée, s'exposer publiquement en publiant des documents manifestement faux tendant à donner encore plus d'éclat à leur famille.

C'est ce qui s'est passé avec le famille dauphinoise des Emé de Marcieu.


En 1889, Humbert Emé de Marcieu (1858-1947), avocat à la cour d'appel de Paris publie la transcription d'un texte qui se trouve dans les archives de la famille :
Saincte vie et glorieux trespassement de Jehan Esmé, sire de Molines, 1307-1359
Valence, imp. Jules Céas et fils, 1889, in-8°, 38 pp.

Immédiatement, l'authenticité du texte est mise en doute.

Léopold Delisle, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, utilise des clauses de style qui n'empêchent pas de découvrir le fond de sa pensée : « Nous ne sommes pas en mesure de discuter l'authenticité de la Vie de Jean Esmé ; mais nous craignons fort que ce document ne puisse pas résister à l'examen d'experts versés dans l'histoire du Dauphiné, dans celle de l'Orient latin et dans la connaissance du français du XIVe siècle. »

Joseph Roman, érudit haut-alpin, a aussi apporté son point de vue dans une plaquette qu'il a publiée :
La saincte vie et glorieux trespassement de Jehan Esmé, sire de Molines, chronique de la deuxième moitié du XIVe siècle, est-elle un document authentique ? Voiron, Baratier, 1890. La réponse est dans la question.

Ce texte ayant été exploité une première fois par un érudit local en 1856, cela avait déjà permis en 1860 à Adolphe Rochas de l'étriller dans sa Biographie du Dauphiné avec sa verve caustique : « Mais nous craignons bien que ce soit plutôt une sorte de roman de chevalerie qu'une histoire sérieuse ». Même Gustave Rivoire de la Bâtie, pourtant très prudent et circonspect lorsqu'il s'agit de discuter les origines des familles nobles, donne sans ambiguïté son avis dans l'Armorial de Dauphiné, à la notice consacrée à cette famille : « Il cite, à l'appui de ces assertions, un mss. de 1360, dont l'authenticité est plus que douteuse. »

De fait, personne n'a défendu l'authenticité du document et du récit, même partiellement.

Il faut avouer que l'histoire qu'il conte est particulièrement extraordinaire. Selon ce récit, Jehan Esmé, né en 1307 à Molines-en-Queyras, est issu d'une famille originaire de Venise, en la personne d'un certain Anterpian, qui y vivait au XIIe siècle. Proche du dauphin Humbert II, il l'accompagna en 1345 lors d'une croisade en Terre sainte où il se distingua par sa bravoure. Il rejoignit même Jérusalem. Il mourut à Molines le 5 janvier 1359. C'est ce qui est conté dans ce texte, avec de nombreuse et parfois longues considérations sur ses hauts faits, ses actes de bravoure et sa haute valeur morale.

On sait que la participation aux Croisades était un « brevet » de noblesse très recherché au XIXe siècle. Toute famille noble rêvait de voir un des ses ancêtres dûment représenté dans la nouvelle salle des Croisades du château de Versailles (1843). Il était donc tentant de s'inventer des ancêtres qui y aient participé.


Il est généralement admis que la famille Esmé est effectivement originaire de Molines, où ils étaient notaires et que les premières personnes notables sont Oronce Esmé ou Emé, vibailli et juge-mage du Briançonnais, en 1479 et Guillaume Emé, son fils, vibailli d'Embrun en 1503. Une des branches, après s'être installée en Graisivaudan, prendra le nom d'Emé de Marcieu et le titre de marquis, d'une terre qu'ils possédaient.


Malgré les doutes nombreux sur l’authenticité du document et du récit, il est étonnant qu'il ait fait l'objet d'une deuxième édition, par un autre membre de la famille, le comte Albéric de Marcieu (Paris 1863 - Grenoble 1937), en 1908, tiré à 300 exemplaires :
Saincte vie et glorieulx trespassement de Jehan Esmé, sire de Mollines, chevalier très chrestien, 1307-1359. Manuscrit de la deuxième moitié du quatorzième siècle faisant partie des archives de la maison Emé de Marcieu au château du Touvet en Graisivaudan, Dauphiné.
Grenoble, Allier frères, Imprimeurs, 1908, in-8°, 44 pp,
revêtu d'une reliure d'éditeur en demi percaline bleue à coins, titre doré sur le premier plat.




Cette édition est identique à la précédente quant au texte, avec quelques documents annexes. L'exemplaire de cette édition que je présente ici porte l'ex-libris du comte Albéric de Marcieu et un envoi à Edmond Maignien, le conservateur de la Bibliothèque de Grenoble.

Pour finir, surtout si un descendant de cette famille me lit, je ne souhaite pas laisser croire que je doute de la sincérité et de la bonne foi d'Humbert, puis Albéric de Marcieu, lorsqu'ils ont publié ce document. Celui-ci datait semble-t-il du XVIe siècle, donc présent dans leurs archives depuis de nombreuses années, ce qui pouvait lui donner à leurs yeux peu expérimentés comme un brevet d'authenticité. Un de leurs lointains ancêtres avait peut-être été la dupe d'un habile faussaire qui avait quelque intérêt à flatter sa fierté nobiliaire. On ne le sait pas car le document original n'a visiblement jamais fait l'objet d'une analyse paléographique et linguistique pour en déterminer la datation exacte et la provenance.


Pour ceux qui ont eu le courage de lire ce message jusqu'à la fin en espérant toujours qu'un preux chevalier du Queyras est allé jusqu'en Terre Sainte, ils risquent d'être déçus. Il n'y en a jamais eu. Mais la région a donné beaucoup d'autres personnalités, certes aux visées plus modestes et surtout plus pacifiques, qui ont en revanche répandu le talent des Queyrassins à travers le monde.

Pour aller plus loin sur cette plaquette : cliquez-ici.

vendredi 12 juin 2015

Une journée Dominique Villars le 19 juin 2015

En marge de l'exposition sur Dominique Villars au Musée grenoblois des Sciences médicales, à La Tronche, une journée spéciale est organisée le vendredi 19 juin :



J'ai le plaisir d'intervenir 2 fois. Une première fois, à 16 heures :
16h00 – PRÉSENTATION Le livre au cœur de la diffusion des savoirs au XVIIIe siècle, par Jean-Marc Barféty, collectionneur et bibliophile, animateur du site Bibliothèque dauphinoise
Dominique Villars publie entre 1786 et 1789 les quatre volumes de L’Histoires des plantes de Dauphiné. Du manuscrit à l’ouvrage imprimé découvrons les secrets de l’édition au XVIIIe siècle.
Rdv au Musée grenoblois des sciences médicales, rue du Musée, site hospitalier.
Tram B- arrêt Grand Sablon

Puis, à 19h00 :
19h00 – CONFÉRENCE Dominique Villars, botaniste et médecin en Dauphiné au XVIIIe siècle
– Ses origines et son parcours de botaniste par Luc Garraud, conservatoire botanique national alpin.
– Un médecin au XVIIIe siècle par Sylvie Bretagnon, Responsable du musée grenoblois des Sciences médicales.
– La pharmacopée militaire de l’hôpital de Montdauphin au XVIIIe siècle par Aline Mercan, médecin ethnobotaniste.
Rdv à La Faïencerie, 74 Grande-Rue à La Tronche.
Entrée libre dans la limite des places disponibles.
Contact et inscription : musee@chu-grenoble.fr

En introduction de la conférence de Luc Garraud, je donnerai quelques éléments sur l'origine de Dominique Villars.

Pour en savoir plus : cliquez-ici.
Téléchargez le programme : cliquez-ici.

samedi 6 juin 2015

Étude sur l'économie pastorale des Hautes-Alpes, Félix Briot, 1884


Le message du jour étant austère, j'ai choisi cette image d'une étiquette de boîte de camembert comme amuse-bouche (si j'ose dire). Quel lien avec la suite ? Tout simplement que je vais parler de pastoralisme dans les Alpes. Pour illustrer le sujet, rien de mieux qu'un produit issu de cette activité, en l'occurrence un fromage sorti des laiteries Gravier de Briançon (Hautes-Alpes), au bon lait des vaches de montagne.

Il existe un débat toujours actuel entre préservation de l'environnement et activité humaine. Suite à l'ouvrage fondateur d'Alexandre Surell sur les torrents des Hautes-Alpes (cliquez-ici et plus généralement sur ce sujet : cliquez-ici), la politique de restauration des terrains de montagne (R.T.M) a été pilotée par l'Administration des Eaux et Forêts, politique qui visait à reboiser des terrains de montagne dont on pensait qu'ils avaient été détruits par un surpaturâge et un pastoralisme mal maîtrisé. Le risque d'une telle politique était de se faire au mieux sans prendre en compte les besoins des populations locales, au pire contre les intérêts de ces populations.

Ce préambule pour présenter un petit ouvrage publié en 1884 par Félix Briot, un jeune inspecteur des forêts qui avait été en poste à Gap de 1875 à 1879. 
 

Étude sur l'économie pastorale des Hautes-Alpes. Extrait de la Revue des Eaux et Forêts. Novembre 1880 à mars 1881. Paris, Bureaux de la Revue des Eaux et Forêts, 1884, in-12, 144 pp.

Pendant les quatre ans passées dans cette région, en complément de sa mission pour l'administration des Eaux et Forêts, il porta une attention plus particulière à la situation sociale et économique des populations locales. Il en est résulté cette étude sur la situation agricole des Hautes-Alpes, du point de vue du pastoralisme, dans le but de promouvoir un plus grand développement de cette activité dans le département afin d'améliorer par ce biais la situation sociale des populations. Cette étude détaillée, fondée sur de nombreuses données chiffrées et éclairée par des expériences nombreuses en France et à l'étranger, a d'abord été publiée dans la Revue des Eaux et Forêts, de novembre 1880 à mars 1881.
 
Dans le texte introductif de l'étude, il explique clairement qu'il souhaite arriver à concilier les besoins en reboisement, avec l'impact qu'ils ont sur le pastoralisme, et les besoins des populations locales, par le bais des encouragements agricoles. Sa conclusion, en 4 points, est : la situation agricole actuelle ne permet pas à la population des Hautes-Alpes de vivre à l'aise, l'extension des herbages accompagnée par le développement des canaux d'irrigation est une solution, la mise en place d'une industrie laitière exercerait une influence bénéfique par l'extension des prairies et pâturages, et, enfin, le rôle de l’État, par le biais des subventions, doit accompagner cette évolution. 
Pur un description plus complète de l'ouvrage : cliquez-ici.
 

Cette étude est le premier de nombreux travaux de Félix Briot sur ce sujet. Il rassemblera l'ensemble de ses recherches et recommandations dans deux ouvrages fondamentaux : Les Alpes françaises. Études sur l'économie alpestre, 1896 et Les Alpes françaises. Nouvelles études sur l'économie alpestre, 1907. Ce sera le combat de toute sa vie, qu'il poursuivra jusqu'après sa mise à la retraite. 
 
Pourquoi parler de combat ? Évidemment, il rencontra des oppositions, en particulier au sein même de son administration. Pour preuve, ce qu'écrit le ministre de l'Agriculture dans sa lettre de recommandation pour la nomination comme officier de la Légion d'honneur en 1915 : « J'ai l'honneur de vous faire connaître que M. Briot a été noté au cours de toute sa carrière comme un fonctionnaire distingué. On lui a seulement reproché parfois de négliger son service forestier pour s'occuper plus spécialement de questions concernant l'économie pastorale et les industries qui s'y rattachent. Il a publié sur ces matières des études remarquées, [...] Les théories qu'il a émises dans certains de ses ouvrages se sont souvent écartées de celles admises par le Corps forestier tout entier. »
Quatre ans plus tard, le jugement aura évolué : « M. Briot,[...] a contribué d'une manière tout à fait remarquable par l'ouvrage qu'il a publié en 1896 sur l’Économie Alpestre, à l'évolution des idées et à la solution des questions concernant l'économie pastorale et les industries qui s'y rattachent. Il a été l'un des principaux initiateurs des Associations laitières et des Améliorations Pastorales dans les Alpes, ce qui lui a valu de nombreuses et hautes récompenses [...] ». Il obtiendra alors sa distinction.

Pour ceux qui veulent aller plus loin sur Félix Briot, j'ai apporté d'autres éléments biographiques dans cette page : cliquez-ici. Je reprends des travaux et des références qui situent son action et sa politique au sein de l'école du sociologue Le Play. 
 
Cette image montre de façon spectaculaire les  résultats des restaurations des terrains de montagne dans les Hautes-Alpes. La vue du bas est la vallée de Freissinières, une des vallées plus particulièrement étudiées par Félix Briot.