C'est par un ouvrage au titre peu
engageant que débute l'historiographie du Briançonnais. A la suite des multiples contestations et procès à propos du paiement de la dîme
à la prévôté d'Oulx, les communautés briançonnaises délèguent
deux des leurs, Jean Brunet et François Bonnot, pour négocier un
paiement annuel et forfaitaire de cette dîme, à charge aux
communautés de se mettre d'accord entre elles pour se répartir la
charge. Un accord est trouvé le 6 décembre 1747. C'est le texte de
cette transaction, ainsi que de nombreuses pièces annexes, que Jean
Brunet, « Seigneur de l'Argentiere, Conseiller du Roi, ancien
Commissaire des Guerres, Receveur des Tailles, & Député du
Briançonnois », publie en 1754 sous le titre de :
Recueil des actes, pièces et
procédures concernant l'Emphitéose perpétuelle des Dîmes du
Briançonnois. Avec un mémoire historique et critique pour servir de
Préface.
Ce recueil est particulièrement intéressant car il débute par
un mémoire historique sur le Briançonnais, qui est la première
histoire de la région qui ait été publiée. Pour le détail du contenu du recueil et du mémoire, je renvoie à la page que je lui
consacre : cliquez-ici. La lecture de ce document m'a conduit à
ces quelques réflexions.
La première est que l'on ne conçoit pas le degré d'autonomie dont
jouissait le Briançonnais. Que l'on s'imagine un ensemble de
communautés négociant avec le bénéficiaire d'un impôt pour en
régulariser le paiement et la perception et pour se répartir entre
eux la charge de cet impôt. On comprend mieux qu'au XIXe siècle,
les premiers érudits que se sont intéressés aux institutions
briançonnaises en aient donné une image de liberté et de
responsabilité, parfois en l'enjolivant, au moment même où cette
autonomie était perdue au profit de l’État. C'est cette autonomie
qui a été rendu possible par la transaction passée avec Humbert II
en 1343, à l'origine de l'institution des Escartons.
Jean Brunet passe d'ailleurs rapidement sur cette transaction fondatrice avec
Humbert II. Pas plus que pour la transaction sur la dîme qui fait
l'objet de ce livre, il ne cherche à mettre en valeur la liberté et
l'autonomie dont jouissait le Briançonnais. Soit qu'il ne jugeait
pas nécessaire de le faire, soit que cela ne lui apparaissait pas si
extraordinaire pour mériter qu'on le signale. Et pourtant,
l'histoire montrera que c'était un bien précieux et fragile.
Ce mémoire montre aussi l'étendue des lectures de Jean Brunet et
sa capacité à en tirer profit et à les ordonner. Rappelons qu'il est le fils d'un marchand et maquignon de Cervières, près de Briançon. Il n'a pas été élève au collège des Jésuites d'Embrun, qui formait l'élite de la région. C'est une preuve,
une nouvelle fois, du haut niveau de culture auquel pouvaient accéder
les habitants de cette région. Ce mémoire est le résultat de ses lectures, que lui ont permises son éducation villageoise et sa propre curiosité
intellectuelle. Ce niveau de culture était la condition, me semble-t-il,
de la solidité des institutions briançonnaises. Pour pouvoir s'administrer, il
fallait des hommes instruits. Il leur fallait aussi une culture, qui
n'était peut-être pas la culture classique et humaniste des
aristocrates et grand bourgeois du temps, mais qui était une culture juridique, historique et pratique qui permettait de s'administrer.
Enfin, ce mémoire illustre, malgré lui, le renversement de
perception sur les Vaudois. Aujourd'hui, cette secte chrétienne est
perçue très favorablement. Plus personne ne songerait à fustiger
leur dissidence. Cette dissidence est même un titre de gloire pour
ces populations qui ont su résister et garder pure leur foi. Il
n'est qu'à voir l'estime dont jouissent actuellement les frères
Baridon de Freissinières dans leur refus de la guerre en 1914. Avec
Jean Brunet, nous sommes avant ce retournement. Sa position vis-à-vis
des Vaudois est dans la droite ligne de la vision que l'on pouvait en
avoir dans le cadre de l'orthodoxie catholique. Il rapporte les lieux
communs sur les Vaudois, en particulier qu'ils commettaient « des
impiétés et des abominations qui font horreur ; que la
débauche, le libertinage et la corruption des mœurs, dominaient
parmi cette secte ». On est loin de l'image positive et
réhabilitée qu'on en donnera à partir du XIXe siècle, en
particulier Aristide Albert dans son ouvrage Les Vaudois de la
Vallouise.
Je possédais déjà un exemplaire de ce livre, dans une reliure
d'époque un peu usée.
Cet exemplaire, en meilleur état intérieur et extérieur, est de nouveau un témoignage de la circulation des livres anciens entre les érudits et bibliophiles du XIXe siècle, comme j'avais pu le raconter à propos d'un exemplaire des mémoires de Berwick (cliquez-ici). Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de deux personnalités dauphinoises et un livre, mais de trois personnalités dauphinoises et un livre. On retrouve encore Aristide Albert qui a donné cet exemplaire à son compatriote Gustave Roux.
Gustave Roux (Briançon 29/4/1815 - Grenoble 9/3/1891) était un avoué et magistrat, mais surtout un bibliophile : « Il avait formé une importante bibliothèque vendue à un libraire après sa mort. ». On trouve ses initiales dorées en queue du dos. Dans cet exemplaire, il a souligné en rouge les noms des membres de sa famille, dont son grand-père Roux, notaire à Vallouise, lorsqu'ils apparaissaient dans les documents transcrits.
L'ouvrage a ensuite appartenu à Henri Ferrand, qui y a apposé son ex-libris.
Cet exemplaire, en meilleur état intérieur et extérieur, est de nouveau un témoignage de la circulation des livres anciens entre les érudits et bibliophiles du XIXe siècle, comme j'avais pu le raconter à propos d'un exemplaire des mémoires de Berwick (cliquez-ici). Sauf qu'ici, il ne s'agit pas de deux personnalités dauphinoises et un livre, mais de trois personnalités dauphinoises et un livre. On retrouve encore Aristide Albert qui a donné cet exemplaire à son compatriote Gustave Roux.
Gustave Roux (Briançon 29/4/1815 - Grenoble 9/3/1891) était un avoué et magistrat, mais surtout un bibliophile : « Il avait formé une importante bibliothèque vendue à un libraire après sa mort. ». On trouve ses initiales dorées en queue du dos. Dans cet exemplaire, il a souligné en rouge les noms des membres de sa famille, dont son grand-père Roux, notaire à Vallouise, lorsqu'ils apparaissaient dans les documents transcrits.
L'ouvrage a ensuite appartenu à Henri Ferrand, qui y a apposé son ex-libris.