Les ventes aux enchères sont une source inépuisable de surprises. Des livres que l'on peut penser très recherchés partent, lorsqu'il partent, à des prix dérisoires. Des livres, que l'on peut penser sans grand intérêt finissent par atteindre des prix que l'on n'aurait pas imaginés. Une vente très récente (1er juillet) m'a permis de vérifier que, bien annoncé, un livre peut parfois dépasser tout ce que l'on considère comme un prix raisonnable.
Le comte d'Hauterive |
Lorsque j'ai acheté le samedi 5 mars 2005, si j'en crois mes notes, au regretté Salon du livre et papiers anciens de la Porte de Champerret, un exemplaire des Quelques conseils à un jeune voyageur, je ne pensais évidemment pas avoir acquis une précieuse rareté. Pourtant, un exemplaire vient de se vendre plus de 1000 € le 1er juillet dernier lors de la vente en question (voir le lot).
Qu'est-ce qui m'attirait dans cet ouvrage dont le titre, c'est le moins que l'on puisse dire, n'appelle par le chaland ? C'est d'abord l'auteur, Maurice-Alexandre Blanc La Nautte, Comte d'Hauterive, un haut-alpin un peu oublié. Né à Aspres-lès-Corps le 14 avril 1754 et mort à Paris le 27 juillet 1830, Maurice Alexandre Blanc La Nautte (ou La Naute) a mené une carrière diplomatique sous l'Empire et la Restauration, au ministère des Affaires Étrangères, dont il fut en particulier le garde des archives. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont De l'État de la France à la fin de l'An VII et Éléments d'économie politique, paru en 1817. Il a été fait comte d'Hauterive en 1809.
L'autre raison est qu'il s'agissait d'un exemplaire de la bibliothèque dauphinoise Couturier de Royas, bien relié par Guetant à Lyon.
Quant au contenu, c'est un ouvrage destiné aux jeunes gens du Ministère des Affaires étrangères qui sont amenés à voyager. L'auteur leur donne une méthode et des conseils pour rassembler des informations et les mettre en forme pour pouvoir ensuite les exploiter. Il s'agit de recueillir les informations sous forme de fiches, qu'il appelle des Notes indicatives. Il donne la liste des thèmes sur lesquels le "jeune voyageur" doit s'informer : le système financier, le système judiciaire, etc., en insistant plus particulièrement sur les renseignements de population. Les exemples qu'il donne concernent le Brésil, ce qui peut laisser penser que ce petit livre appartient à la bibliographie brésilienne.
Ce qui peut donner l'impression d'une grande rareté est cet avis sur la page de titre qui ne porte aucune indication d'édition, ni d'auteur (voir ci-dessus) :
Nota. Ce travail n'est imprimé que par épreuve et n'est pas destiné au public. Les jeunes gens, pour qui il a été fait, sont priés de s'en réserver exclusivement l'usage, et sur-tout de ne pas le communiquer à des personnes qui soient étrangères ou indifférentes au service. Chaque épreuve portera un numéro, qui sera inscrit sur un registre avec le nom de la personne à qui cette épreuve a été confiée.
La première page porte la date : 14 avril 1826 et la dernière, l'indication "A Paris, de l'Imprimerie Royale".
Certes, Paul Colomb de Batines, dans l'Annuaire bibliographique du Dauphiné pour 1837, précise que cet ouvrage est "fort rare". Mais enfin. Dans les bibliothèques publiques de France, il n'y a pas moins de 18 exemplaires (source : CCFr). On a connu des livres plus rares, même si l'on pourrait me rétorquer que, justement, parce que la majorité des exemplaires sont dans des bibliothèques, cela rend d'autant plus rares les exemplaires encore disponibles sur le marché. Actuellement, il y a sur Internet un exemplaire à vendre, provenant de la
bibliothèque d'un bibliophile oublié des Hautes-Alpes, Clément Amat. En plus, il est proposé à
un prix quatorze fois inférieur à celui de la vente aux enchères, alors
que le mien n'était "que" sept fois moins cher. Je sais des livres qui sont en même temps absents ou presque absents des bibliothèques publiques et fort rares sur le marché. C'est d'ailleurs là que réside la vraie rareté.
Cela étant dit, je ne voudrais pas que l'amateur qui a acheté ce livre pense qu'il a fait une mauvaise affaire (j'allais dire qu'il s'est laissé entrainer par le savant "habillage" des maisons de ventes aux enchères, mais cela dépasse ma pensée...). Peut-être est-ce moi qui possède un exemplaire que j'ai eu la chance d'acheter à bon prix et dont je ne soupçonne pas la valeur !
Tout est dans tout et le contraire de tout. Je ne sais en définitive que conclure !
Pour finir, en parlant, et de rareté, et du comte d'Hauterive, il me semble qu'un des 26 exemplaires de la notice biographique parue en 1839 en "jette" plus, surtout lorsqu'on sait que des 26 exemplaires imprimés, dont 25 sur papier de Chine et un sur papier couleur de chair, quatre sont conservés dans des bibliothèques publiques
et (accessoirement), un dans ma bibliothèque.