Un libraire parisien bien connu présentait récemment ce livre de Daubenton avec cette accroche : « Le tout premier livre imprimé à Gap ? ». Le point d'interrogation est bien venu. Ce livre a nécessairement été imprimé à Gap après 1793, qui est la date de l'édition originale. Or, il y a de nombreux livres qui étaient déjà sortis des presses de Joseph Allier, à Gap, avant cette date.
Joseph Allier, né à Grenoble le 15 novembre 1763, est le frère d'un autre Joseph Allier, né à Grenoble en 1749, fondateur d'une dynastie d'imprimeurs grenoblois active jusqu'au XXe siècle. Les autorités nouvellement installées dans le département des Hautes-Alpes ont fait appel au frère cadet pour installer une imprimerie à Gap, dans le nouveau chef-lieu du département. L'objectif était de disposer d'un atelier sur place plutôt que de faire appel aux imprimeurs grenoblois. C'était un gage de qualité et de rapidité.Selon les sources, Joseph Allier serait arrivé en 1790 ou 1791. De fait, dans la Bibliographie historique du Dauphiné pendant la Révolution française, d'Edmond Maignien, les trois premières impressions d'Allier datent d'octobre 1790. Ce sont :
- Discours prononcé à l'assemblée électorale du district de Gap par M. Bontoux, l'un des électeurs et maire de la commune de Pelleautier, dont l'impression a été ordonnée par l'assemblée électorale du district, ainsi que des motions qui sont à la suite. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes (octobre 1790), in-4°, 11 p (n° 1032)
- Discours prononcé par M. Joseph Serres, chirurgien, à l'assemblée électorale du district de Gap, dans la séance du matin 16 octobre 1790. A Gap, chez J. Allier, imp. du département des Hautes-Alpes, 1790, in-4° 8 p. (n° 1033)
- Procès-verbal de nomination et élection des juges et suppléants du district de Gap, département des Hautes-Alpes, 15 octobre 1790. Gap, J. Allier, 1790, in-4°, 78p. (n° 1034)
Ensuite, les impressions ont été très nombreuses à partir de cette date. Beaucoup sont de même nature que les trois premières : documents officiels émis par le département ou la municipalité de Gap, textes politiques comme les discours ci-dessus. A côté de cela, apparaissent des « vrais » livres, comme l'Almanach général du département des Hautes-Alpes pour l'année de grâce mil sept cent quatre-vingt-treize ou le Récit historique et moral sur la botanique, de Dominique Chaix, l'ami de Dominique Villars et, de ce dernier, un Mémoire sur l'étude de l'histoire naturelle et qui tend à établir qu'elle doit faire partie de l'éducation nationale, présenté par M. Villar, médecin de l'Hôpital Militaire de Grenoble.
Pour ma part, la première impression gapençaise de ma bibliothèque est une Adresse du District d'Embrun (Hautes-Alpes) à l'Assemblée des Vrais Amis de la Constitution, par Silvain, citoyen soldat des Hautes-Alpes, du district d'Embrun. Il s'agit d'une défense des hôpitaux de Charité, qu'un projet de décret de l'Assemblé Nationale prévoyait d'aliéner. L'auteur défend leur utilité dans les petites villes, en rendant hommage plus particulièrement aux dames religieuses hospitalières d'Embrun. Cette adresse a été lue à la tribune du Club des Jacobins lors de la séance du vendredi 11 février 1791, ce qui permet de dater approximativement cette impression.
En 1791, il existait toujours une imprimerie à Embrun, qui avait été établie par Pierre-François Moyse, de Grenoble, en 1776. Cet établissement était toujours actif. Il disparaîtra peu de temps après le décès de Moyse en 1794. Certes, son fils lui a succédé quelques années, mais il a dû vendre son matériel en 1797. Cette petite plaquette est la preuve tangible que l'imprimerie d'Allier avait pris le pas sur celle de Moyse, même pour des impressions embrunaises. Il y avait probablement une raison politique. Allier a toujours montré une grand attachement à la Révolution et à ses principes, ce qui en faisait l'imprimeur tout trouvé pour produire un document d'esprit révolutionnaire comme celui de Silvain. A l'inverse, Moyse représentait l'ancien monde, celui où la vie intellectuelle du département se trouvait à Embrun, auprès du siège de l'archevêché. Ensuite, la comparaison entre les impressions sorties des deux presses donne clairement l'avantage à Allier, qui disposait d'un jeu de caractères en meilleur état. Les impression de Moyse ont toujours souffert de la mauvaise qualité des caractères utilisés.
Sur Pierre-François Moyse, je renvoie à cet article du blog : L'apparition de l'imprimerie dans les Hautes-Alpes.