lundi 22 juillet 2013

Description du Dauphiné, de la Savoie, du Comtat-Venaissin, de la Bresse et d'une partie de la Provence, de la Suisse et du Piémont au XVIe siècle, par Aymar du Rivail, traduit par Antonin Macé

En 1852, le professeur Antonin Macé, parfois connu sous le nom de Macé de Lépinay, breton d'origine, veut signer son entrée dans le Dauphiné en permettant à bon nombre de ses nouveaux concitoyens d'accèder à un texte qui n'était alors disponible qu'en latin. Il s'agissait du premier livre de l'Histoire des Allobroges d'Aymar du Rivail, écrit dans la première moitié du XVIe siècle en latin, premier livre qui donnait une description du pays des Allobroges et de certains de ses confins, autrement dit du Dauphiné, de la Savoie, du nord de la Provence (le Comtat-Venaissin) et de la Bresse.


C'est ainsi qu'est paru en 1852, chez les libraires Charles Vellot et F. Allier :
Description du Dauphiné, de la Savoie, du Comtat-Venaissin, de la Bresse et d'une partie de la Provence, de la Suisse et du Piémont au XVIesiècle; Extraite du premier livre de l'Histoire des Allobroges par Aymar Du Rivail, Traduite, pour la première fois, sur le texte original publié par M. Alfred de Terrebasse; précédée d'un introduction et accompagnée de notes historiques et géographiques par  
M. Antonin Macé, Ancien élève de l'école normale supérieure, Professeur d'histoire à la Faculté des lettres de Grenoble
Grenoble, Ch. Vellot & Cie, libraires, F. Allier père & fils, imprimeurs, 1852, in-8°, XXXVI-364 pp.


Il s'agit de la traduction du premier livre de l'Histoire des Allobroges d'Aymar du Rivail, qui donne la description d'une vaste zone couvrant la Savoie et le Dauphiné, en y incluant la Bresse au nord, et le Comtat-Venaissin au sud. Ce texte, écrit dans la première moitié du XVIesiècle, a d'abord été publié en 1844 dans sa version latine, ce qui le rendait guère accessible au public cultivé, interessé par l'histoire de la région. Antonin Macé a entrepris de le traduire, complété de notes, pour le faire connaître au public dauphinois. Récemment arrivé dans la région, c'est sa première contribution à l'histoire régionale.

Dans cette volonté de mettre à disposition du plus grand nombre un texte qui était inaccessible à la plupart, parce que publié en latin, on peut y voir une application pratique des idées libérales et démocratiques d'Antonin Macé. Cela va dans le même sens que les cours populaires qu'il délivrera de 1854 à 1875 pour mettre le savoir historique à la portée de tous.

Dans son Avant-propos, A. Macé se faisait le promoteur des guides régionaux : "Avec leur esprit pratique, les Anglais ont, dans leurs Hand-Books, d'excellents modèles d'une classe intermédiaire de livres que je voudrais qu'on imitât en France. Moins secs, moins arides, moins hérissés de chiffres et de tableaux que nos Statistiques, ils sont bien autrement sérieux et instructifs que nos prétendus Guides du voyageur. On y trouve des notions simples, précises, exactes, sur la géographie physique de chaque pays, c'est-à-dire sur les montagnes, les vallées, les golfes, les îles, les fleuves, les cours d'eau; sur les canaux, les routes et leurs relais, les chemins de fer, les distances relatives des villes et même des villages;  les antiquités, les monuments, les souvenirs historiques; le commerce, l'industrie, l'agriculture; le tout accompagné de plans, de cartes, de vues admirablement exactes, et dans lesquelles l'art ne perd rien quoiqu'il n'emprunte rien à l'imagination." Par cet ouvrage, il espère contribuer à cela. Il trace aussi la voie aux futurs ouvrages qu'il fera paraître. En effet, c'est le premier travail publié par Antonin Macé, breton d'origine, que le hasard des affectations a conduit en Dauphiné, région à laquelle il s'attachera et dont il deviendra un des promoteurs. Ce premier ouvrage est aussi un façon de faire connaître le passé et la diversité de la province. Plus tard, il sera un des pionniers du tourisme en Dauphiné par ses guides des chemins de fer, puis ses deux plaquettes sur les montagnes de Saint-Nizier et surtout sur Belledonne. Sur ce dernier point, il sera même un des pionniers de la découverte et de la promotion des Alpes dauphinoises.

Je vous laisse découvrir cet ouvrage, dans la description que j'en ai donnée (cliquez-ici). Comme on l'imagine, si tout le département des Hautes-Alpes est bien représenté, la description des montagnes est totalement absente. Le seul sommet cité est le Mont-Viso. Malheureusement, Antonin Macé ne nous renseigne guère. Sa note sur le Vénéon montre que la topographie de la région était encore très approximative pour notre savant, ce qu'il partage avec les autres écrivains sur les Alpes dauphinoises, jusqu'aux années 1860 : "Le Vénéon formé de deux torrents le Vénéon proprement dit, qui prend sa source à la pointe de Chiare, le Lavet, qui sort de la pointe de la Muande dans le mont.Pelvoux, la plus haute montagne de France ( 4 300 mètres ). Après sa jonction avec le Lavet, le Vénéon arrose les vallées de Saint-Christophe et de Venosc en Oisans, et va enfin se jeter dans la Romanche un peu au-dessus du Bourg-d'Oisans." 

Les notes d'Antonin Macé sont souvent très instructives, bien que très érudites. Les deux notes renvoyées en appendices sont :
Des divers systèmes sur le passage des Alpes par Annibal. Les contradictions d'Aymar du Rivail à ce sujet sont l'occasion, pour Antonin Macé, de développer largement ses réflexions et son opinion sur le passage d'Annibal. Il se range à l'hypothèse du passage par le Mont-Cenis, en s'appuyant en particulier sur l'ouvrage de Larauza. Les hypothèses par les cols des Hautes-Alpes (Monte-Genèvre, Mont-Viso, Queyras, etc.) sont réfutées et discutées.
Des routes actuelles dans les Alpes, qui contient en particulier un développement sur la route du Mont-Genèvre.

Pour mieux connaître Antonin Macé de Lépinay, je lui ai consacré une notice biographique, complétée d'une bibliographie. Vous pouvez la consulter en cliquant ici. J'ai trouvé beaucoup d'informations dans la consultation de son dossier numérisé de la Légion d'Honneur, consultable sur Internet.

Antonin Macé de Lépinay (1812-1891)

Le manuscrit original d'Aymar du Rivail a été publié pour la première fois par Alfred de Terrebasse, en 1844, après avoir retrouvé la partie qui avait disparu. Cette publication a reproduit le texte latin, avec des notes en latin. Seule l'introduction est en français, avec quelques éléments sur la vie d'Aymar du Rivail. Cette belle publication, sortie des presses de Louis Perrin, était réservée à des érudits :
Aymari Rivallii [Aymar du Rivail], Delphinatis. De Allobrogibus. Libri novem. Ex autographo codice Bibliothecae Regis editi. Cura et Sumptibus Aelfredi de Terrebasse [Alfred de Terrebasse].
Viennae Allobrogum, apud Jacobum Girard, bibliopolam [Vienne, Jacques Girard, Libraire], 1844, in-8°, [6]-XXVII-608 pp.
Pour voir la notice, cliquez-ici et le messages sur ce blog : "De Allobrogibus", une édition de 1844, des presses de Louis Perrin





Pour finir, cet ouvrage, bien relié, a d'abord appartenu à Laurent de Crozet, puis à son fils Amédée de Crozet et enfin à Charles Schefer, comme l'indique les trois ex-libris héraldiques disposés en colonne, par ordre chronologique des propriétaires de haut en bas, sur le premier contre-plat.



J'ai rassemblé quelques éléments sur ces différents propriétaires : cliquez-ici.




dimanche 7 juillet 2013

Un livre de montagne inconnu (de moi) et autre nouvelles

Un lecteur du blog m'a récemment fait découvrir un livre que je ne connaissais pas. Les quelques photos qu'il m'a envoyées m'ont convaincu qu'il fallait que je parte à la chasse.

Certes, j'avais déjà croisé le titre, mais il fallait quelques photos pour tout d'un coup créer l'envie. Il s'agit de Peaks in Pen and Pencil for Students of Alpine Scenery, par Elijah Walton et Thomas George Bonney. Paru à Londres en 1872, il s'agit d'un recueil de 26 planches lithographiées reprenant des dessins par E. Walton des principaux sommets des Alpes. Le texte est de T. G. Bonney, un des premiers explorateurs des Alpes dauphinoises, auteur entre autres de Outline Sketches in The High Alps of Dauphiné, un des plus beaux livres sur le massif des Ecrins.

Mon lecteur, sachant mon intêret plus particulier pour les Alpes dauphinoises, m'a envoyé les 4 planches représentant des sommets de ce massif. D'abord une très belle vue de la Meije, alors appelée Dent du Midi de la Grave :



Deux vues du Pelvoux




Une vue des Grande-Rousses.



Magnifique, isn't it ?

Les autres nouvelles du jour sont d'abord que j'ai pu compléter la page que je consacre à l'illustrateur Eugène Tézier, dont j'ai parlé en début d'année. Là-aussi, c'est un lecteur de ce blog et du site qui m'a apporté des éléments très intéressants, en particulier sous la forme de trois articles sur Eugène Tézier. Cela a permis de mettre un visage sur le nom à travers trois autoportraits. Certes, le premier est un peu mondain :


Mais les deux autres nous permettent mieux de l'imaginer dans son cadre montagnard :



J'ai ainsi pu imaginer qu'il s'était lui-mêle représenter sur la page de titre de Nos Alpins. En effet, il y a une grande ressemblance et cela semble être une des ses habitudes de se représenter dans ses œuvres.


J'ai aussi appris qu'il a peint deux grands tableaux pour orner l'Hôtel Terminus de Briançon, un hôtel qui se trouvait sur le côté de la gare de Briançon. Ces tableaux de grandes dimensions (8 mètres sur 3) représentaient l'un une vue de Monétier-les-Bains et l'autre le paysage depuis le Lautaret, avec la Meije. Que sont-ils devenus ? Ce serait une véritable découverte que de pouvoir remettre la main dessus, après plus de 100 ans. J'ai complété la page que j'ai consacrée à Eugène Tézier (cliquez-ici) et pour vous rafraîchir la mémoire, je rappelle qu'il est l'illustrateur de Nos Alpins, sur des textes d'Henri Second, paru en 1898.


J'en profite pour remercier les deux lecteurs qui m'ont fourni tant de renseignements et de documents qui m'ont permis de faire une page très complète (la plus complète existante à l'heure actuelle sur Internet).

Enfin, dernière nouvelle du jour, dans le message précédent, je présentais mes 4 éditions de 1736 du Recueil historique des merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus, près Gap, en Dauphiné, par l'intercession de la sainte Vierge, et des principaux traits de la vie de Benoite Rencurel, surnommée la bergère du Laus. J'ai avancé depuis en faisant une étude comparative précise entre les 4 exemplaires que vous pouvez consulter sur cette page (cliquez-ici) et plus particulièrement dans ce tableau comparatif (cliquez-ici).

Il reste encore du travail à faire car rien que sur Google Books, les 2 exemplaires numérisés présentent des différences avec une des 4 éditions référencés ici. Voilà un beau problème de description bibliographique !

Petite satisfaction d'amour propre, j'ai constaté qu'il n'y avait que la Bibliothèque Municipale de Grenoble qui possédait la collection complète des 4 éditions. La BNF n'en contient qu'une seule et fort peu d'autres dépôts publiques en ont au moins une (Aix-en-Provence : Bibliothèque Méjanes, Marseille, Avignon et Paris : Institut Catholique).

Comment finir ce message ? En annonçant la prochaine description d'un ouvrage relativement courant sur le Dauphiné, dans une belle reliure d'époque en veau glacé et orné d'une belle "brochette" d'ex-libris.



Suite au prochain numéro...

dimanche 16 juin 2013

Une collection d'ouvrages sur Notre-Dame-du-Laus

Je viens de compléter ma petite collection d'ouvrages sur le pèlerinage marial de Notre-Dame-du-Laus, dans les Hautes-Alpes. Ce pèlerinage, qui fait suite aux apparitions de la Vierge à la bergère Benoite Rencurel au XVIIe siècle, a donné lieu à toute une littérature édifiante, qui commence par la publication d'un Recueil historique des merveilles que Dieu a opérées à Notre-Dame du Laus, près Gap, en Dauphiné, par l'intercession de la sainte Vierge, et des principaux traits de la vie de Benoite Rencurel, surnommée la bergère du Laus, en 1736, premier témoignage imprimé sur ces apparitions.


La carcatéristique de cet ouvrage est qu'il en a été donné 4 éditions, toutes à la même date, avec, comme seule constante, le texte central en 16 chapitres qui décrit la vie de la bergère  Benoite Rencurel, le récit des apparitions et des débuts du culte local autour de ces apparitions.

Ces 4 éditions diffèrent pas les pièces ajoutées (Avertissement, Avis au lecteur, Cantate, Fautes à corriger) et par la présence ou non d'un gravure en frontispice représentant l'apparition de la vierge à Benoite Rencurel.

J'ai commencé à les étudier et en analyser les différences. Si on les appelle a, b, c et d, on constate une grande proximité entre l'édition a) qui ne comporte pas de gravure en frontispice :




et l'édition b) :


qui comporte une belle gravure, signée de F. de Poilly :



L'édition c) diffère par la page de titre, même si l'on trouve encore quelques similitudes avec les deux éditions précédentes, malgré la vignette changée :



et par la gravure, qui semble une copie moins fine et inversée de la précédente. La signature a disparu. Est-ce que cette édition est une contrefaçon ? Est-ce une une édition tardive, car certains exemplaires portent une indulgence datée de 1756 ?  En effet, pour ne rien simplifiée, pour une même édition, il y a des différences minimes entre mon exemplaire et ceux que l'on peut consulter numérisés sur Internet.



Il y a enfin l'édition d) qui a une typographie complétement renouvelée et plus "moderne" :



alors qu'au même moment, la gravure sur bois est franchement naïve :



Sans conteste, par la présence de la même indulgence datée de 1756, cette édition est postérieure à cette date, malgré celle de 1736 marquée au titre.

Cette diversité se retrouve aussi dans les conditions :

a) est brochée.
b) est conservée sous un cartonnage, probablement du XIXe siècle.



c) est reliée dans une modeste basane qui a subi les affres du temps. La reliure doit être d'époque.


Elle porte un naïf ex-libris manuscrit  :



d) est conservée sous une reliure romantique, avec un beau dos lisse orné de fleurons romantiques et des plats en percaline portant un motif (probablement une plaque) estampé à froid.

 J'aime beaucoup ces éditions populaires d'un texte qui ne l'est pas moins. Il m'a fallu plus de 10 ans pour rassembler ces 4 éditions (je ne sais même pas si c'est le terme adapté). Je vais les décrire soigneusement et ainsi publier la première description précise des 4 éditions. Il faudra ensuite que je m'attaque aux nombreuses rééditions du XIXe siècle, qui ont été suivies par de nombreuses études et par de pas moins nombreux ouvrages de piété, en particulier au moment du renouveau de ce culte marial, sous le Second Empire.Ce pèlerinage, toujours vivant, a connu une nouvelle actualité sous l'impulsion de l'évêque de Gap Di Faclo et des fameux prêtres dont les chants doivent servir à financer un nouveau centre.

Rq : depuis la rédaction de ce message, j'ai avancé en faisant une étude comparative précise entre les 4 exemplaires que vous pouvez consulter sur cette page (cliquez-ici) et plus particulièrement dans ce tableau comparatif (cliquez-ici).

Pour finir, quelques images glanées sur Internet :



samedi 8 juin 2013

Le loup dans les Hautes-Alpes ... et dans les livres

Les Loups ministres de la cholere de Dieu, lesquels ces années passées ne couroient aux chairs humaines, que de l'Embrunois sans endommager les voisins ne l'estranger qui y frequentoit, ne mesme sortir des limites de cette principauté là, commencerent enfin de venir faire leurs courses et leurs ravages dans nos terres, s'en prendre aux Chrestiens Briançonois, qui sont deça le Mont-Genevre, et par ainsi du mesme Diocese. Une jeune fille en Queyrieres fut la premiere qu'ils mirent en pieces et emportarent la nuict sur les marches de l'Embrunois. Un loup fut sinon si apprivoisé. Puisque, lupus cicur fieri non potest, dit sainct Basile, du moins si hardy, que de venir le soir dans sainct Martin Queyrieres, mettre sa teste à la fenestre d'un establat pleine de gens, et puis lutter avec une villageoise, laquelle en estant quelques heures apres sortie pour aller où elle estoit requise en personne, il la saisit, et elle, le Loup, et ne sçeut se defendre si bien, ne le soudain secours, qui à son cry accourut, que cet animal n'emportat partie des fesses par où il l'avoit surprinse.
Ces quelques lignes, parfois obscures, introduisent le chapitre Ravages des loups, d'un ouvrage paru en 1639 :
Essais d'Antoine Froment advocat au Parlement du Dauphiné sur l'incendie de sa patrie, les singularitez des Alpes en la principauté du Briançonois, avec plusieurs autres curieuses remarques sur le passage du Roy aux Italies, ravages des loups, pestes, famines, avalanches, embrasements de plusieurs villages, y survenus de suite.
Grenoble, Pierre Verdier, Imprimeur du Roy, M. DC. XXXIX (1639), in-4°, 300 pp.

Je ne cite pas la suite qui n'est qu'une litanie sur les faits et méfaits du loup, qui se poursuit dans ce style indigeste que j'épargne au lecteur, à l'exception de cette petite notation :
Un autre Loup fut si osé et si delicat, que de venir à plein jour presque au mitan dudit village de Chante-Merle, boire à la barbe de la fontaine parer le groin à la cheute de l'eau et s'en retourner hardiment.
Elle m'a remémoré ces deux photos spectaculaires : un loup au Plan-de-Phazy, près de Guillestre. Ces photos, prises par un agent de l'ONF durant l'hiver 2009, démontrent, s'il en était besoin, que le loup est bien présent dans les Hautes-Alpes.


Artistide Albert a republié ce texte en 1868, avec des notes :


Reproduction de la page de titre de l'édition originale de 1639


A propos des loups, A. Albert précise :
Depuis environ trente années, les loups ont presque complètement disparu du Briançonnais. De temps à autre, on en signale quelques-uns dans le canton de l'Argentière, venus du Champsaur ou du Valgaudemard, par la gorge du Fournel.
Dans toute la littérature ancienne, le loup n'est qu'un animal dangereux, nuisible, qu'il faut chasser et exterminer.

On pourrait trouver de très nombreuses citations sur le loup dans les Hautes-Alpes et dans nos montagnes, mais tel n'est pas mon propos aujourd'hui. Comme vous le savez, le loup est revenu dans les Hautes-Alpes, et plus généralement en France. Cela a donné l'idée à Jean-Michel Bertrand de partir à sa chasse, non pas pour l'exterminer comme aimait le décrire nos anciens, mais pour le débusquer dans sa cache et le filmer. Il nous a déjà donné une très belle évocation de l'aigle dans les Hautes-Alpes, dans le film Vertige d'une rencontre. Il part maintenant à la poursuite du loup et, pour cela, il fait appel à l'aide des internautes pour financer une partie de son film, selon le principe du "Crowdfunding", pour ceux qui aiment les concepts modernes et les mots qui les accompagnent.



Si vous êtes tentés d'aider ce projet, rendez vous sur le site de TousCoprod en suivant ce lien : cliquez-ici. (Attention, il reste 12 jours !) Même si vous ne voulez pas participer, vous pouvez y aller pour voir la belle bande-annonce et quelques actualités sur la poursuite du loup.

Pour terminer ce message, juste un commentaire. Dans les Hautes-Alpes, le sujet du loup est extrêmement émotionnel et, comme l'on dit dans le jargon actuel, très clivant. Autrement dit, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Le fait qu'aujourd'hui j'apporte ma modeste contribution à la promotion de ce film animalier ne préjuge en rien de ma position, dans cette échiquier politique (parce que, malheureusement, il s'agit aussi de cela) du sujet.

Pour finir sur un animal plus consensuel, ces quelques photos de bouquetins au-dessus de la route du Lautaret. Je les ai prises il y a quelques semaines pendant mes vacances. La chasse photographique du bouquetin est plus paisible que celle du loup !












 

dimanche 2 juin 2013

Un fou littéraire haut-alpin

Le 2 avril 1808, en fin d'après-midi, la paisible ville de Gap fut troublée par un tremblement de terre qui réveilla tout d'un coup des inquiétudes au sein de la population. Certains se souvinrent alors d'une prophétie de Nostradamus (laquelle ?) qui prédisait une engloutissement de la ville de Gap. En ces temps de prospérité impériale, il n'était pas admissible que la quiétude d'une tranquille préfecture de l'Empire soit perturbée par de tels événements. C'était sans compter sur un juge du tribunal de Gap, probablement légèrement inoccupé, Jacques François Joseph Rochas qui prit aussitôt sa plume et sa science pour rassurer ses concitoyens. A peine un mois plus tard, il produisit des : Observations sur les tremblemens de terre, contenant quelques détails relatifs à la capitale des Hautes-Alpes et aux contrées du département du Pô, dans lesquelles les phénomènes du 2 avril dernier et jours suivants du même mois ont fait éprouver des alarmes, par M. R***.
En 12 propositions, il développa sa démonstration : les tremblements de terre sont provoqués par des feux électriques ou foudres, qui se propagent par des souterrains. Il put donc affirmer : Gap est à l'abri des feux souterrains, ainsi que des inondations.
Je ne résiste pas au plaisir de donner la liste exhaustive des 12 propositions :
1. Ce n'est que depuis le déluge universel arrivé sous Noë , que les tremblemens de terre se sont manifestés sur notre globe.
2. On peut en tout pays parvenir à lever la carte des grottes et souterrains qui ont été le siège des derniers tremblemens de terre, et en tirer des éclaircissemens pour ceux avenir.
3. Route qu'à tenu le feu du tremblement de terre du 2 avril 1808 et jours suivans, dans partie des état de Napoléon et des cantons Helvétiques
4- Jusqu'ici les assertions qu'on a données sur la direction des tremblemens de terre ne sont que des conjectures incertaines. Plan d'une machine fort simple qui doit infailliblement indiquer la direction des feux souterrains toutes les fois qu'on éprouvera un tremblement de terre;
5. Les mouvemens que le tremblement de terre impriment quelquefois aux cloches et sonnettes suspendues, ne peuvent-ils pas être déterminé par toute autre cause immédiate que la secousse qu'éprouvent les édifices ?
6. Gap est à l'abri des feux souterrains.
7. Cette ville est de même à l'abri des inondations aussi bien que peut l'être toute autre ville en général.
8. Les tremblemens de terre arrivent plus fréquemment aux environs des deux equinoxes.
9. L'apparition ou disparition spontanée des sources d'eau commune ne prouve pas la proximité du souterrain qui conduit le feu du tremblement de terre, et encore moins la proximité du foyer.
10. Les tremblemens de terre qui se font ressentir en plusieurs lieux presqu'au même instant et à d'assez grandes distances, ne peuvent avoir que le feu électrique pour agent principal.
11. Les moyens jusqu'ici proposés par les physiciens à l'effet de délivrer certains territoires des tremblemens de terre trop fréquens, en facilitant l'éruption des feux volcaniques, paraissent les uns insignifians, les autres au-dessus des forces humaines.
12. Les tremblemens de terre sont aujourd'hui pour nous des événcmens naturels et l'on ne saurait rien observer dans les météores, ni dans l'instinct des animaux qui soit capable de nous servir de présage à ce sujet.
Ce brave juge aurait pu en rester là. Il faut croire que sa notabilité l'a protégé des quolibets et critiques, car un mois après, il complèta son "œuvre" par un Supplément aux précédentes Observations sur les tremblemens de terre et fit donc paraître anonymement, comme le premier :
Nouveau pas sur les sentiers de la nature. Concernant les causes physiques des secousses réitérées des Tremblemens de terre. Système sur la matérialité de l'axe du globe terrestre; Le tout accompagné de quelques particularités qui ont rapport aux Sciences Physiques, Naturelles, et à l'Antiquité, traits d'Histoire et Réflexions morales.
Ouvrage utile à l'enseignement de la Jeunesse.
Par un habitant des Hautes-Alpes.
Gap, J. B. Genoux, Imprimeur, 5 mai et 25 juin 1808, in-12, [2]-292 pp.

L'ouvrage est indescriptible. Je vous laisse découvrir les sujets qui se suivent sans ordre ni cohérence. Il semble juste avoir une prédilection pour l'antiquité. J'en ai fait une lecture détaillée, que vous pouvez consulter ici : cliquez-ici. Vous penserez peut-être que s'il y a des fous pour écrire de tels livres, il y a aussi des fous pour les lire et passer quelques heures à décrire leur production. Je finis ce message en notant simplement qu'André Blavier, dans son ouvrage de référence Les fous littéraires n'a pas connu cette production de notre province.

Pour terminer ce message, je ne peux que dire, comme l'auteur : "Comme ces conjectures ne peuvent mener à rien de solide, n'abusons pas des momens du lecteur".

Pour atténuer mon propos, et ne pas vexer d'éventuels descendants de ce monsieur qui prirent la particule et la noblesse en se faisant appeler de Rochas d'Aiglun, signalons que son père fut un des premiers historiens de Gap (Joseph Dominique de Rochas, cliquez-ici) et que son petit-fils, Albert de Rochas d'Aiglun, polytechnicien et directeur des études de la prestigieuse école, fut un érudit qui avait tout de même un brin de fantaisie, comme en témoigne cette photographie où on le voit entouré d'un spectre.



Sur les Rochas d'Aiglun : cliquez-ici.