dimanche 22 février 2009

Les torrents des Hautes-Alpes, d'Alexandre Surell

J'ai commencé à m'intéresser aux torrents des Alpes lors de la description des deux ouvrages de Scipion Gras. Ce week-end, c'est l'ouvrage fondateur d'Alexandre Surell qui a été l'objet de toutes mes préoccupations.

Alexandre Surell (1813-1887), polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, s'est retrouvé à 23 ans nommé dans un département bien éloigné de sa Lorraine natale : les Hautes-Alpes. Il y resta 6 ans, mais dès 1838, à 25 ans, il rédigea une Etude sur les torrents des Hautes-Alpes, qui se trouve être l'ouvrage fondateur de toutes les politiques de restauration des terrains de montagne depuis plus de 150 ans.


Le premier, il décrivit les torrents des Alpes et les phénomènes torrentiels, alliant la théorie à l'observation pratique sur les torrents de l'Embrunais (torrent de Boscodon, du Rabiou, etc.). Allant au delà des moyens de défenses couramment utilisés à son époque: barrages, digues, murs, levées, etc., il préconisa d'aller à la source du problème et recommanda le reboisement des bassins d'altitude et le regazonnement des alpages, s'opposant aux surpâturage, qui était de règle à l'époque. Au-delà des recommandations techniques, il aborda aussi les aspects législatifs, règlementaires et administratifs qui devaient servir de cadre au déploiement d'une politique de restauration des terrains de montagne.

Cet ouvrage est paru chez Carilian-Goeury et Victor Dalmont à Paris en 1841. Malgré la pertinence de son message, il ne sera entendu qu'en 1860, lorsque fut promulguée la première loi de reboisement des montagnes. Il avait fallu attendre les crues catastrophiques et d'ampleur nationale de 1856 pour que les autorités se préoccupent vraiment du problème.

Illustré de 6 planches, il fait le tour de la question. Il contient une belle représentation des torrents issus du Mont Saint-Guillaume, au dessus d'Embrun, basée sur la carte de Cassini.


Pour ceux qui s'intéressent à cette question, je recommande un ouvrage de référence :
Restaurer la montagne. Photographies des Eaux et Forêts du XIXe siècle, 2004, paru à l'occasion d'une exposition présentée au Museon Arlaten, d'Arles, qui exploite les fonds photographiques des Eaux et Forêts, riches en clichés qui illustrent les travaux de reboisement dans les Alpes (Hautes-Alpes, Alpes de Haute-Provence et Alpes-Maritimes).


Dans un des articles introductifs :
De la politique française de restauration des terrains de montagne à la prévention des risques naturels (pp. 15-22), Gérard Brugnot et Yves Cassayre donnent un historique de cette politique depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu'à nos jours.

Cet ouvrage se distingue par la qualité des photographies tirées des fonds d'archives des Eaux et Forêts.


Pour revenir à Alexandre Surell, notons qu'il s'inspire d'un ouvrage fondamental du Saint-Simonisme :
Des intérêts matériels de la France, de Michel Chevalier, qui plaide en faveur de l'action de l'Etat pour la "replantation" des forêts dans les Alpes, les Pyrénées, les Vosges et les Landes. On ne dira jamais assez l'influence que cette pensée a eu sur les administrateurs "éclairés" du début du XIXe siècle, qui ont fait la France moderne. Je partage l'opinion de la notice Wikipedia sur le Saint-Simonisme :

Refoulement de la mémoire nationale
Méconnue à tort, la doctrine de Saint-Simon a été en prise avec son siècle. Elle reste, aujourd’hui, une matière à réflexion étonnamment moderne (technocratie, égalité des sexes, importance des réseaux, ...).
Les raisons du refoulement du saint-simonisme hors de la mémoire nationale sont multiples, et s'expliquent notamment par des prises de positions radicales jugées attentatoires à la propriété et aux mœurs, des textes difficiles à lire, et bien sûr le développement ultérieur et l'emprise considérable de la pensée marxiste, qui a condamné le saint-simonisme.

dimanche 15 février 2009

Torrents des Alpes

Dans les premières décennies du XIXe siècle, une série d'inondations catastrophiques dans les Alpes a provoqué une forte préoccupation des administrateurs et des aménageurs du territoire à propos des dangers de dévastation que font courir les torrents de montagne. C'est l'époque où les grands corps de l'état, issus des réformes révolutionnaires (corps des pont-et-chaussée, corps des mines) sont constitués d'esprits éclairés préoccupés du bien commun.

Tout a commencé par l'ouvrage fondateur d'Alexandre Surell : Etudes sur les torrents des Hautes-Alpes, paru en 1841.

Les deux ouvrages que nous avons décrits ce week-end font suite et complètent ces préoccupations. Scipion Gras, ingénieur en chef de mines du département de l'Isère, s'est penché sur le problème des inondations récurrentes de la plaine de Bourg d'Oisans par la Romanche. Il est amené à proposer une nouvelle solution pour permettre que les matières charriées par les torrents se déposent le plus en aval possible.

Le premier ouvrage est :
Exposé d'un nouveau système de défense contre les cours d'eau torrentiels des Alpes et application de ce système au torrent de la Romanche dans le département de l'Isère.
Paris, Carilian-Gœuri et Vr Dalmont, Libraires; Grenoble, Chles Vellot et Compie, Libraires 1850.


Ce nouveau procédé s'applique plus particulièrement aux inondations de la plaine de Bourg d'Oisans, que Scipion Gras attribue aux travaux d'endiguement de la Romanche lors de la construction de la route nationale en 1840. Deux illustrations : la belle carte de la plaine de Bourg d'Oisans, avec les barrages projetés, et une vue aérienne moderne.



Le deuxième ouvrage :
Etudes sur les Torrents des Alpes, Paris, Victor Dalmont, 1857, élargit le propos, mais reste constant sur les solutions proposées.



Deux réflexions à propos du premier ouvrage :

Le libraire ami qui me l'a vendu semblait s'étonner de ne trouver aucune référence sur les principaux sites de ventes de livres anciens. Il ne faut pas oublier que les plaquettes de ce type sont toujours extrêmement rares Cet exemplaire est le premier que je vois en 15 ans de chine dauphinoise et haut-alpine. Et elles sont nombreuses les plaquettes ou brochures que je n'ai vu qu'une fois ! Je crois que c'est là que se niche la vraie rareté. Cela est d'ailleurs aussi vrai pour l'autre ouvrage.

La deuxième réflexion est amenée par la conclusion de Scipion Gras à la fin de son ouvrage : "il paraît équitable que l'Etat supporte en totalité les dépenses nécessaires pour remédier au mal." On oublie trop souvent que la bourgeoisie du XIXe, dont Scipion Gras avait tous les signes distinctifs (voir sa photo dans le message précédent), était porteuse d'une politique préoccupée du bien commun. L'opprobre dont cette bourgeoisie louis-philipparde a fait l'objet par nos "intellectuels" du XXe siècle a fait le lit du désengagement de l'état dont la bourgeoisie actuelle se fait le porte-parole, alors que l'on pourrait penser qu'elle est l'héritière de cette bourgeoisie du XIXe siècle.

lundi 9 février 2009

Scipion Gras

Je prépare la prochaine description de deux ouvrages forts intéressants pour tous ceux qui se passionnent pour les torrents des Alpes, et je sais qu'ils sont nombreux. Je publie ce jour une petite page biographique sur Scipion Gras, le modèle même de ces érudits du XIXe siècle, savants issus des grandes écoles, qui ont mis leur savoir au service de l'amélioration du sort de leurs contemporains. En effet, on oublie trop souvent les ravages terribles des torrents de montagne et les dévastations sur les cultures et les terres qu'ils ont provoqués. Il existe une très importante littérature sur le sujet, depuis l'ouvrage fondateur d'Alexandre Surell, Torrents des Hautes-Alpes.

En attendant, une photo de Scipion Gras (1806-1873), ancien élève de l'Ecole polytechnique, ingénieur du corps de mines, auteur de deux études :
- Exposé d'un nouveau système de défense contre les cours d'eau torrentiels des Alpes
- Etudes sur les torrents des Alpes



dimanche 8 février 2009

Lesdiguières : dernière saison

Je reprends ce terme désormais familier aux amateurs de séries pour simplement dire qu'avec la description des 3 ouvrages de ce week-end, je clos ma description d'ouvrages sur Lesdiguières.

Pour commencer, c'est le monumental ouvrage du comte Douglas et de Joseph Roman :
Actes et correspondance du connétable de Lesdiguières, publiés sur les manuscrits originaux, Grenoble, 3 volumes, 1878, 1881 et 1884.

C'est un ouvrage de référence, qui a été largement utilisé par Stéphane Gal dans son étude récente sur Lesdiguières. Mais comme chez moi, le bibliophile n'est jamais loin de l'amateur d'histoire, j'ai d'autant plus de plaisir à décrire cet exemplaire qu'il rassemble toutes les qualités du bel objet bibliophilique.

La reliure : demi chagrin à coins, d'exécution impeccable, signée Guétant (à propos, si quelqu'un en sait plus sur ce relieur, je suis intéressé).


La provenance : la bibliothèque de l'érudit dauphinois Pierre Saint-Olive, avec son bel ex-libris (probablement celui que je préfère de tous ceux que je possède).


Il a truffé son exemplaire d'une lettre manuscrite de Lesdiguières et de 3 gravures le représentant :





On en oublierait presque de dire que c'est un bel ouvrage, à la page de titre orné du blason en couleurs et doré de Lesdiguières, imprimé sur un beau papier de Hollande, des papèteries BFK de Rives (cet exemplaire est un des 125 sur Hollande).


Arrêtons- là, cela va rendre certains jaloux. Pour compléter, une petite curiosité : un ouvrage autographié, tiré à 45 exemplaires, donnant le : Catalogue des pièces réunies jusqu'ici (1er septembre 1866) pour servir à la publication des : Documents relatifs à Lesdiguières, entreprise sous les auspices et avec le concours de l'Académie Delphinale. Ce catalogue fait suite à une première tentative avortée de publier la correspondance de Lesdiguières.



Pour finir, le week-end a vraiment été bibliophilique. J'en avais déjà parlé, mais j'ai décrit plus complètement un ouvrage publié à Leipzig en 1724, qui est une entrevue imaginaire au "Royaume des Morts", entre Lesdiguières et César, duc de Vendôme. C'est un ouvrage en allemand, publié par David Fassmann, qui appartient à une série d'entretiens imaginaires parue sous le titre de : Gespräche in dem Reiche derer Todten
Je reproduit la page de titre et la gravure en frontispice. Si un lecteur germanophone peut me lire et me traduire cette page de titre, j'en serai heureux (je n'ai aucune notion d'allemand et Google traduction a tout de même du mal à traduire l'allemand).



Là aussi, ce qui ajoute quelque chose à cet exemplaire, c'est la très belle reliure en plein maroquin rouge, signée par Yseux, successeur de Thierry-Simier et surtout les armes d'Henriette, duchesse de Vendôme, qui ornent les plats.



Ce qui fait la saveur de cette provenance, c'est que je possède un ouvrage dont cette même Henriette, duchesse de Vendôme est l'auteur. C'est : Fleurs des Alpes, publié en 1928 par Gonin, à Lausanne, illustré de 116 aquarelles de la dite princesse. L'exemplaire que je possède contient en plus deux aquarelles originales. Je me fais un plaisir de vous présenter la plus belle.


Cette autre aquarelle représente une Anémone printanière au col du Lautaret avec la Meije dans le fond.


dimanche 1 février 2009

Miscellanées

Je reprends ce terme au charme suranné, à Hugues, du Blog du Bibliophile. Il me ramène à ces revues savantes du XIXe siècle qui avaient toujours une rubrique "Miscellanées", dans laquelle on y trouve ces petites perles d'érudition qui font le bonheur du bibliophilie érudit. Cette courte introduction pour dire que je n'ai décrit aucun ouvrage ce week-end (repos bien mérité après les 11 ouvrages décrits en janvier), mais que je me suis consacré à des sujets divers et variés dont je vais vous entretenir

J'ai enrichi ma description de l'Album du Dauphiné des 4 planches consacrées a la Grande-Chartreuse. Encore une demande d'un lecteur (ils sont insatiables !)





Au passage, j'ai photographié le beau portrait de Lesdiguières par Alexandre Debelle.


Autre divertissement dauphinois, les quelques commentaires que j'ai ajoutés sur la fiche libraire de Bertrand, de "L'amour qui bouquine", sur les Statuts du Dauphiné, de 1508, qu'il a décrit sur son blog :
http://le-bibliomane.blogspot.com/2009/01/fiche-libraire-statuta-delphinatus-ou.html

J'en profite pour donner une reproduction de la page de titre, de l'exemplaire proposé par Teissèdre. Cet ouvrage est indispensable à une Bibliothèque Dauphinoise et je ne l'ai pas. Quand on sait qu'il le propose à 12 000 € (oui je sais, on peut négocier), je crois que je vais lancer un appel aux dons. Je vais instituer le Dauphineton.



Pour finir, une petite histoire savoyarde. Parmi mes ancêtres, j'ai une famille Girard, du Bourget-du-Lac, qui s'est expatriée dans la première moitié du XIXe siècle à Naples, comme papetiers. C'est probablement en lien avec l'industrie papetière présente dans cette commune qu'ils sont partis les représenter à Naples. Un de fils, Joanny Girard, a laissé quelques tableaux, avant d'y mourir à l'âge de 29 ans. Cette famille est revenu à Grenoble, puis Pont-de-Claix, où il existe toujours une rue Antoine Girard, en l'honneur d'un de mes lointains ancêtres qui en avait été maire. Ces montagnards avaient la bougeotte !

Les tableaux du peintre Joanny Girard, dont beaucoup sont des vues de Naples, ont ensuite été dispersés au sein de la famille. C'est comme cela qu'un tableau m'a été donné par une cousine de mon père. Il doit représenter un village de la région de Naples et a dû être peint dans les années 1850/1860. En mauvais état, j'ai eu la chance de trouver une restauratrice de tableaux talentueuse qui lui a donné une nouvelle jeunesse. En particulier, elle a su lui faire retrouver toute sa luminosité. Je ne résiste pas au plaisir de montrer l'état avant et après du tableau qui doit maintenant trouver une place de choix dans ma bibliothèque.