Ce week-end prolongé a été l'occasion d'une escapade londonienne qui m'a amené loin de mon Dauphiné et de mes Hautes-Alpes. Il faut bien dire que je n'ai rien trouvé qui me rapprochait de mes préoccupations bibliophiliques et régionales.
A qui sait regarder, il y a toujours des correspondances, dans notre vaste monde. J'ai eu le plaisir de voir ce petit tableau de William Turner à la Tate Britain :
Le titre est "Grenoble seen from the River Drac with Mont Blanc in the Distance", ce qui, pour les non-anglophones, veut simplement dire : Grenoble vu depuis le Drac, avec le Mont-Blanc en fond. La notice que l'on trouve sur le site de la Tate Gallery précise que jusqu'en 1981, ce paysage était identifié comme "River Scene, North Italy’, soit une vue de rivière, en Haute-Italie, jusqu'à ce qu'un visiteur attentif, M. Léon Reymond, dans une lettre à la Tate Gallery du 16 novembre 1981, signale et identifie le paysage (voir la notice en anglais sur le site du musée). Le tableau date du voyage de Turner dans les Alpes françaises en 1802.
Sans transition, j'en profite pour signaler qu'un film vient d'être tourner sur Dominique Villars : Les Herbes magiques. Vous pouvez voir le site qui lui est consacré : les-herbes-magiques.org
Un seul regret, le slogan un peu racoleur du film : "Le destin extraordinaire d'un berger illettré devenu médecin et botaniste de renommée internationale." Il faudra que je revienne là-dessus, car Dominique Villars, comme ces contemporains, n'étaient pas illettrés. Je finis donc ce billet avec un beau portrait de Dominique Villars :
J'ai enrichi ma collection d'ex-libris dauphinois avec celui de Victor Colomb :
Victor Colomb (1847-1924), de Valence (Drôme), érudit et bibliophile, a beaucoup publié sur les patois de la Drôme, souvent sous le pseudonyme de Jules Saint-Rémy. J'avais eu l'occasion de l'évoquer dans un message où je rapportais l'improbable "rencontre" entre Victor Colomb et Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. Il a été caricaturé en 1894 par son compatriote Louis Ageron (1865-1935) :
La légende qui accompagne cette caricature "Bon colon ... sème" est une référence directe à la devise de l'ex-libris.
J'ai récemment enrichi ma bibliothèque avec un ouvrage de sa bibliothèque :
Guy Allard
Bibliothèque du Dauphiné, contenant l'histoire des habitants de cette province qui se sont distingués par leur génie, leurs talents & leurs connoissances. Nouvelle édition revue & augmentée.
Grenoble, Chez V.e Giroud & Fils, imprimeur-libraire, 1797, in-8°, [8]-340-[2] pp.
Il s'agit d'une nouvelle édition de cet ouvrage de Guy Allard publié en 1680 par Laurent Gilibert à Grenoble. C'est Pierre-Vincent Chalvet (1767-1807), professeur d'histoire à l'Ecole Centrale du département de l'Isère, qui s'est attelé à la tâche de compléter ce recueil de biographies consacrées aux hommes de lettres et aux savants du Dauphiné.
L'intérêt de cet ouvrage est purement historique. Les jugements des contemporains sont sans appel :
Pour Adolphe Rochas, la première édition contenait des notices insignifiantes, "dont un très grand nombre est dicté par la flatterie". Chalvet "n'a fait qu'ajouter des erreurs à celles déjà assez nombreuses de son vieux devancier".
Jules Ollivier se montre particulièrement sévère sur ce travail : « Chalvet, en augmentant l’œuvre de Guy-Allard, s’est borné à joindre aux bévues de son vieux devancier des bévues nouvelles, d’autant plus impardonnables qu’il lui était facile de puiser à toutes les sources de l’érudition » (p. XII). Il rapporte aussi la critique parue dans le Magasin encyclopédique de Millin, « qui a rendu un compte sévère mais juste de cet ouvrage ».
Quant à Pierre-Vincent Chalvet, il est étrillé par Stendhal dans La vie d'Henry Brulard : "jeune pauvre libertin, véritable auteur sans aucun talent" et rapporte quelques ragots sur lui : "chargé de recevoir l'argent des inscriptions qu'il mangea en partie avec trois sœurs fort catins de leur métier qui lui donnèrent une nouvelle v[érole] de laquelle il mourut bientôt après". Stendhal l'avait eu comme professeur à l'Ecole Centrale. Pour ceux qui s'intéressent à la vie grenobloise entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe, La vie d'Henry Brulard de Stendhal est une bonne source. Son sentiment ambivalent envers sa ville natale, lié aux relations difficiles qu'il avait avec son père, le rend souvent sévère, voir injuste. C'est tout de même une source indispensable.
Mes vacances ne m'ont pas distrait de mon thème du moment : Les Vaudois des Hautes-Alpes. J'ai décrit ce jour une étude du chanoine Jules Chevalier (1845-1922), de Romans, sur les hérésies du Dauphiné, qui est plus particulièrement consacrée aux persécutions contre les Vaudois des vallées du Val-Cluson, de l'Argentière, de Freissinières et de Vallouise, conduites par l'inquisiteur Albert de Cattaneo en 1487 et 1488 :
Mémoire historique sur les Hérésies en Dauphiné avant le XVIe siècle, accompagné de documents inédits sur les sorciers et les Vaudois., Valence, Jules Céas & fils, Imprimeurs-Editeurs, 1890, in-8°, [4]-164 pp.
Ma semaine de vacances n'a pas été bibliophiliquement infructueuse. Voici un florilège de mes acquisitions du moment :
Un Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Départemens Méridionaux, accompagnées de leurs corrections, par Jean-Michel Rolland, professeur au collège de Gap, édité par Joseph Allier à Gap en 1812.
La Bibliothèque du Dauphiné de Guy Allard, revue par Pierre-Vincent Chalvet, publié à Grenoble en 1797 par la Vve Giroud. Cet exemplaire, provenant de la bibliothèque de Victor Colomb, va aussi me permettre d'enrichir ma collection d'ex-libris dauphnois.
Plus rare, la 2e série de Peaks, Passes and Glaciers, publiée par l'Alpine Club en 1862. Pour les amoureux du massif des Ecrins, sachez que l'on trouve quelques unes des premières représentations du massif, associées à une des premières descriptions d'ascensions dans le massif, par T. G. Bonney.
Sans transition, passons à un texte historique du Dauphiné : le Statuta Delphinalia. Avant de céder le Dauphiné à La France, Humbert II, dernier dauphin, a octroyé des droits, franchises et privilèges à ses habitants. C'est le Statut Delphinal, promulgué en mars 1349. Ensuite, le Dauphiné a été "transporté" à la France la même année. Ce statut a été défendu par les Dauphinois, mais il ne résista pas aux empiètements de l'absolutisme royal. Le coup fatal a été donné par la Révolution.
Ce Statut Delphinal a été imprimé pour la première fois vers 1508 (voir ce message) Il a été plusieurs fois réédité : en 1619, 1623 et 1694. Cet exemplaire relié en vélin de l'époque est l'édition de 1619, chez Pierre Charvys. Ce qui donne du prix à l'exemplaire est qu'il provient de la bibliothèque Prunier de Saint-André, famille qui a été représentée par Artus Prunier de Saint-André (1548-1616), premier président au parlement de Provence, puis premier président au parlement de Grenoble en 1603, chargé de missions importantes par Henri IV.
Enfin, pour finir, un livre magnifique, véritable objet bibliophilique : l'impression de 1600 des plaidoyers pour le Tiers-Etats, d'Antoine Rambaud, de Die, dans le procès des tailles, qui agita le Dauphiné entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle. C'est un exemplaire relié dans un beau vélin doré, avec les tranches dorées et entièrement réglé.
Tous ces ouvrages seront décrits en leur temps.