Je vous présente aujourd'hui une copie manuscrite d'une histoire de la ville de Gap, rédigée par Joseph Dominique de Rochas dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et reliée, avec d'autres documents, par son arrière petit-fils Albert de Rochas d'Aiglun, après une tentative de publication par l'Académie delphinale.
Joseph Dominique de Rochas (1733-1807), avocat et homme de loi gapençais, un temps maire de sa ville natale, entreprit au milieu du XVIIIe siècle de rédiger une histoire de la ville de Gap. Pour cela, il s'appuya sur les nombreux documents présents dans les archives de la ville et les archives ecclésiastiques. De tout cela, il résulta un mémoire manuscrit sur la ville de Gap, resté dans les mains de la famille.
Après son décès en 1807, le manuscrit resta dans la famille. En réalité, il en existait deux versions. Sur la base de son premier mémoire manuscrit, Joseph Dominique de Rochas avait composé une nouvelle version de cette histoire où il refondait le plan et donnait plus de liant à l'ensemble des documents qui étaient parfois sèchement recopiés dans le premier manuscrit. La première version de cette histoire de la ville de Gap fut donnée à la Bibliothèque Municipale de Grenoble, où elle est toujours conservée dans le fonds dauphinois (U.911). Quant à la version revue, elle resta dans la famille où elle échut à Victor de Rochas. En 1877, après un accident qui vit disparaître les 44 premiers feuillets, fut faite une copie manuscrite par Albert de Rochas d'Aiglun, un autre descendant. Il soumit ce mémoire à l'Académie delphinale en vue d'une publication.
Ce travail était entaché d'une accusation de plagiat depuis les affirmations d'Adolphe Rochas. En effet, ce dernier consacre une notice biographique à Joseph Dominique de Rochas, dans sa Biographie du Dauphiné (T. II, p. 354). Il rappelle que "son désintéressement, sa probité, son excessive délicatesse et une piété solide, profonde et éclairée l'avaient fait vénérer, et qu'il fut enlevé à ses concitoyens dont il était le modèle, le 27 août 1807." Après cet éloge, il se fait l'écho de l'opinion de Clément Amat sur la paternité de ce Mémoire : "Personne jusqu'à ce jour n'a songé à lui contester la paternité de ces Mémoires; mais d'après M. Clém. Amat, celui de nos bibliophiles dauphinois qui connaît certainement le mieux l'histoire littéraire des H.-Alpes et qui a étudié attentivement la question, cet ouvrage ne serait pas de lui; il aurait eu en sa possession des mémoires inédits de Juvenis sur le même sujet, et après les avoir copiés, commentés et continués sous son nom, il en aurait détruit le manuscrit original. Ainsi s'expliquerait la disparition d'un ouvrage qui, comme nous l'avons déjà dit dans notre t. Ier (p. 464, n° V), a échappé jusqu'à ce jour aux investigations."
L'Académie delphinale demanda à A. de Taillas d'analyser le manuscrit. Il conclut sur l'authenticité du travail de Rochas et lui rend la totale paternité de ses recherches et de sa rédaction. Malgré cela, l'Académie delphinale argue de sa pauvreté pour ne pas publier ce mémoire. Cette histoire de la ville de Gap ne fut jamais publiée.
En définitive, Albert de Rochas, l'arrière petit-fils de l'auteur, réunit la copie manuscrite qu'il avait de ce mémoire, avec le rapport de 1878 de l'Académie delphinale qui lavait à jamais son ancêtre de la double accusation de plagiat et de destructeur de manuscrit. Il ajouta une courte préface, un fragment du manuscrit original, probablement sauvé de la destruction des 44 pages, deux lettres d'Eugène Chaper au sujet de la publication de ce mémoire et du rapport, et il fit relier le tout. C'est cet ouvrage qui a maintenant rejoint ma bibliothèque.
A ma connaissance, et malgré mes recherches, il n'existe pas d'autres copies manuscrites de ce mémoire sur la ville de Gap dans les dépôts publics de France. Seule existe la première version, qui se trouve à Grenoble. C'est donc un document unique que je présente, sauf à voir apparaître une autre copie, voire le fragment subsistant du mémoire original.
Dans ce Mémoire, Joseph Dominique de Rochas s'attache surtout "à faire connaître les droits, les libertés et privilèges" de la ville Gap. Dans son étude du texte, A. de Taillas remarquait que l'auteur était particulièrement attaché "aux droits des populations", ajoutant : "Personne n'est plus que lui, antiféodal et il est assez singulier de voir un homme d'une piété dont la tradition comme ses écrits témoignent, attaquer avec autant de vivacité l'autorité temporelle de ses évêques." Il en conclut : "C'est un signe des temps et l'on ne saurait douter que les idées nouvelles n'eussent déjà pénétré à cette époque dans les provinces les plus reculées et que la révolution, avant de renverser nos vieilles institutions, ne fut déjà dans les esprits". Pour ma part, je crois qu'il faut surtout voir dans la position de Rochas celle que partage de nombreux haut-dauphinois, attachés aux libertés et privilèges conquis par les populations locales, souvent la bourgeoisie locale. C'est par exemple l'esprit des Briançonnais où l'on trouve en même temps un grand attachement aux traditions, un esprit religieux, voire un certain conservatisme, alliés à une méfiance profonde vis-à-vis de tout pouvoir qui pourrait empiéter sur les privilèges acquis de haute lutte à la fin du moyen âge. Il ne faut pas y voir l'influence des idées nouvelles, d'autant que ces idées détruiront les institutions mises en place dans ces régions. Dans la méfiance vis-à-vis du haut clergé, il y a une probable réminiscence de l'influence protestante qui, comme on le sait, a été très présente dans ces régions.
Les historiens successifs de Gap ont rappelé l'existence de ce Mémoire, sans pourtant lui accorder une attention très grande. Certains se sont même montré assez critiques.
Malgré les avis mitigés sur l'importance de ce manuscrit, c'est une pièce rare qui orne maintenant ma bibliothèque. Il est émouvant de posséder cette copie pieusement conservée et reliée par Albert de Rochas, témoignage de ses tentatives pour faire publier ce document et, dans le même temps, laver l'honneur de son bisaïeul sali par les allégations (les "cancans", comme le dit E. Chaper dans une de ses lettres) de Clément Amat, reprises par Adolphe Rochas.
Ce mémoire est un témoin des tentatives de certains habitants de Gap, attachés à leur ville, pour écrire une histoire de leur cité et de ses luttes pour défendre ses libertés contre les empiétements des "puissants", en l'occurrence les évêques de Gap.
Pour aller plus loin, cliquez-ici.
Joseph Dominique de Rochas (1733-1807), avocat et homme de loi gapençais, un temps maire de sa ville natale, entreprit au milieu du XVIIIe siècle de rédiger une histoire de la ville de Gap. Pour cela, il s'appuya sur les nombreux documents présents dans les archives de la ville et les archives ecclésiastiques. De tout cela, il résulta un mémoire manuscrit sur la ville de Gap, resté dans les mains de la famille.
Après son décès en 1807, le manuscrit resta dans la famille. En réalité, il en existait deux versions. Sur la base de son premier mémoire manuscrit, Joseph Dominique de Rochas avait composé une nouvelle version de cette histoire où il refondait le plan et donnait plus de liant à l'ensemble des documents qui étaient parfois sèchement recopiés dans le premier manuscrit. La première version de cette histoire de la ville de Gap fut donnée à la Bibliothèque Municipale de Grenoble, où elle est toujours conservée dans le fonds dauphinois (U.911). Quant à la version revue, elle resta dans la famille où elle échut à Victor de Rochas. En 1877, après un accident qui vit disparaître les 44 premiers feuillets, fut faite une copie manuscrite par Albert de Rochas d'Aiglun, un autre descendant. Il soumit ce mémoire à l'Académie delphinale en vue d'une publication.
Ce travail était entaché d'une accusation de plagiat depuis les affirmations d'Adolphe Rochas. En effet, ce dernier consacre une notice biographique à Joseph Dominique de Rochas, dans sa Biographie du Dauphiné (T. II, p. 354). Il rappelle que "son désintéressement, sa probité, son excessive délicatesse et une piété solide, profonde et éclairée l'avaient fait vénérer, et qu'il fut enlevé à ses concitoyens dont il était le modèle, le 27 août 1807." Après cet éloge, il se fait l'écho de l'opinion de Clément Amat sur la paternité de ce Mémoire : "Personne jusqu'à ce jour n'a songé à lui contester la paternité de ces Mémoires; mais d'après M. Clém. Amat, celui de nos bibliophiles dauphinois qui connaît certainement le mieux l'histoire littéraire des H.-Alpes et qui a étudié attentivement la question, cet ouvrage ne serait pas de lui; il aurait eu en sa possession des mémoires inédits de Juvenis sur le même sujet, et après les avoir copiés, commentés et continués sous son nom, il en aurait détruit le manuscrit original. Ainsi s'expliquerait la disparition d'un ouvrage qui, comme nous l'avons déjà dit dans notre t. Ier (p. 464, n° V), a échappé jusqu'à ce jour aux investigations."
L'Académie delphinale demanda à A. de Taillas d'analyser le manuscrit. Il conclut sur l'authenticité du travail de Rochas et lui rend la totale paternité de ses recherches et de sa rédaction. Malgré cela, l'Académie delphinale argue de sa pauvreté pour ne pas publier ce mémoire. Cette histoire de la ville de Gap ne fut jamais publiée.
En définitive, Albert de Rochas, l'arrière petit-fils de l'auteur, réunit la copie manuscrite qu'il avait de ce mémoire, avec le rapport de 1878 de l'Académie delphinale qui lavait à jamais son ancêtre de la double accusation de plagiat et de destructeur de manuscrit. Il ajouta une courte préface, un fragment du manuscrit original, probablement sauvé de la destruction des 44 pages, deux lettres d'Eugène Chaper au sujet de la publication de ce mémoire et du rapport, et il fit relier le tout. C'est cet ouvrage qui a maintenant rejoint ma bibliothèque.
A ma connaissance, et malgré mes recherches, il n'existe pas d'autres copies manuscrites de ce mémoire sur la ville de Gap dans les dépôts publics de France. Seule existe la première version, qui se trouve à Grenoble. C'est donc un document unique que je présente, sauf à voir apparaître une autre copie, voire le fragment subsistant du mémoire original.
Dans ce Mémoire, Joseph Dominique de Rochas s'attache surtout "à faire connaître les droits, les libertés et privilèges" de la ville Gap. Dans son étude du texte, A. de Taillas remarquait que l'auteur était particulièrement attaché "aux droits des populations", ajoutant : "Personne n'est plus que lui, antiféodal et il est assez singulier de voir un homme d'une piété dont la tradition comme ses écrits témoignent, attaquer avec autant de vivacité l'autorité temporelle de ses évêques." Il en conclut : "C'est un signe des temps et l'on ne saurait douter que les idées nouvelles n'eussent déjà pénétré à cette époque dans les provinces les plus reculées et que la révolution, avant de renverser nos vieilles institutions, ne fut déjà dans les esprits". Pour ma part, je crois qu'il faut surtout voir dans la position de Rochas celle que partage de nombreux haut-dauphinois, attachés aux libertés et privilèges conquis par les populations locales, souvent la bourgeoisie locale. C'est par exemple l'esprit des Briançonnais où l'on trouve en même temps un grand attachement aux traditions, un esprit religieux, voire un certain conservatisme, alliés à une méfiance profonde vis-à-vis de tout pouvoir qui pourrait empiéter sur les privilèges acquis de haute lutte à la fin du moyen âge. Il ne faut pas y voir l'influence des idées nouvelles, d'autant que ces idées détruiront les institutions mises en place dans ces régions. Dans la méfiance vis-à-vis du haut clergé, il y a une probable réminiscence de l'influence protestante qui, comme on le sait, a été très présente dans ces régions.
Les historiens successifs de Gap ont rappelé l'existence de ce Mémoire, sans pourtant lui accorder une attention très grande. Certains se sont même montré assez critiques.
Malgré les avis mitigés sur l'importance de ce manuscrit, c'est une pièce rare qui orne maintenant ma bibliothèque. Il est émouvant de posséder cette copie pieusement conservée et reliée par Albert de Rochas, témoignage de ses tentatives pour faire publier ce document et, dans le même temps, laver l'honneur de son bisaïeul sali par les allégations (les "cancans", comme le dit E. Chaper dans une de ses lettres) de Clément Amat, reprises par Adolphe Rochas.
Ce mémoire est un témoin des tentatives de certains habitants de Gap, attachés à leur ville, pour écrire une histoire de leur cité et de ses luttes pour défendre ses libertés contre les empiétements des "puissants", en l'occurrence les évêques de Gap.
Pour aller plus loin, cliquez-ici.
Belle acquisition !
RépondreSupprimerB.
AML reçu aujourd'hui, très bel article, félicitations Jean-Marc !
RépondreSupprimerEric et Valérie
En réponse à Bertrand : j'ai acheté ce document il y a 3 ans dans une vente aux enchères à Drouot. C'est le type de vente avec un catalogue sommaire, où l'on trouve de tout mais où il y avait de nombreux ouvrages de petit prix (quelques dizaines d'euros). Il fallait savoir lire le catalogue et dénicher cela. Il y a encore des affaires (peut-être pas financièrement parlant, mais est-ce si important ?) à faire dans les ventes aux enchères et à Drouot.
RépondreSupprimerPour Valérie et Eric : merci du compliment. Le mérite en revient à l'auteur, Yves Devaux. Bertrand m'a prévenu samedi que le numéro était sorti. J'ai dû l'acheter, car je ne l'ai toujours pas reçu par l'abonnement. J'étais très impatient. J'y vois comme un forme de reconnaissance de tout le travail fait pour présenter ma bibliothèque depuis presque 5 ans sur mon site et 3 ans sur mon blog.
Jean-Marc
Wahou, il y a de quoi être fier !
RépondreSupprimerPour un non initié, que signifie AML ? (à part anti-money laundrering )
T
Ah oui, sans doute Art et Métiers du Livre... (Je fais les questions et les réponses ! Désolé!)
RépondreSupprimeroui, très bel article dans AML, félicitations ! et félicitations aussi pour ce manuscrit. Patience et longueur de temps, sans doute...
RépondreSupprimerJe n'achète qu'occasionnellement la revue A.&M.d.L. trop souvent tournée vers des artistes graphiques contemporains à mon goût.
RépondreSupprimerCette fois, avant de lire ces commentaires, deux articles ont attiré mon attention au kiosque: La Bibliothèque de Mariemont et le portrait de Jean-Marc. Je ne regrette pas mon achat. Ce portrait sur 10 pages est jubilatoire, (et bien illustré). Bravo Jean-Marc et merci
Lauverjat.