La description précise du massif des Ecrins, de l'Oisans et plus généralement du Haut-Dauphiné s'est faite peu à peu à travers quelques ouvrages de base qui ont permis de fixer la topographie du massif de façon plus précise dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
Comparativement à la Suisse ou à la Savoie, la description précise de ces régions a été tardive. Les touristes et les savants n'ont pas été les premiers. Ils ont été précédés par les militaires, qui furent les premiers à s'intéresser à cette région frontalière, pour d'évidentes raisons stratégiques. Les premiers travaux sont des mémoires rédigés au cours du XVIIIe siècle, à l'usage des troupes alpines. Pour la région qui nous intéresse, Pierre-Joseph de Bourcet (1700-1780) a été l'un des artisans les plus actifs de la description de sa région natale. En effet, il est né à Usseaux, dans la vallée de Pragelas, dans un des 3 escartons du Briançonnais qui ont été cédés au Piémont lors du traité d'Utrecht en 1713.
Dès l'âge de 9 ans, en 1709, il sert dans les armées des Alpes sous les ordres de son père, capitaine. Il complète sa formation en étudiant les mathématiques, devient artilleur, puis entre dans l'infanterie afin de pouvoir ensuite rejoindre le Génie. Avec l'appui de M. d'Asfeld, il intègre le corps des Ingénieurs du Génie en 1729. Il a une longue carrière militaire qui le mène jusqu'au grade de lieutenant-général des armées du roi, en 1762, le plus haut grade de la hiérarchie militaire d'ancien régime. Il participe à de nombreuses campagnes durant sa carrière où il peut faire valoir ses talents d'ingénieur dans le génie et sa connaissance des fortifications. Son expérience dans la guerre de montagne est une aide précieuses lors des guerres avec le Piémont. Il a laissé de nombreux mémoires manuscrits sur ce sujet.
Parmi quelques faits, on peut relever :
- En 1752, il accompagne M. de Paulmy dans sa tournée d'inspection des Alpes (Voyage d'inspection de la frontière des Alpes en 1752 par le Marquis de Paulmy, par Henry Duhamel. Cet ouvrage contient la publication de nombreux mémoires de Bourcet.
- Directeur des fortifications du Dauphiné de 1756 (nommé le 1er juin 1756) à 1777.
- Sous la direction du ministre de la guerre, Choiseul, il établit en 1764 à Grenoble une école d'instruction pour les officiers qui se destinent au service de l'état-major de l'armée. Elle disparaît en 1771. C'est alors que Bourcet rédige pour l'instruction de ses élèves les Principes de la guerre de montagnes, qui ne sont publiés qu'en 1888.
- Bourcet dirige le lever de la carte de la frontière du Dauphiné de 1749 à 1752, travail qui a été poursuivi jusqu'en 1754, malgré le départ de Bourcet qui avait quitté le Dauphiné pour des missions dans le Nord de la France. Cela a donné lieu à la publication d'une magnifique carte en 9 feuilles en 1758 : Carte géométrique du Haut-Dauphiné et de la frontière ultérieure.
Il est mort à Meylan le 14 octobre 1780.
(Voir une notice biographique plus complète : cliquez-ici)
Quelques années après son décès, en 1801, paraissent les Mémoires militaires sur les frontières de la France, du Piémont et de la Savoie depuis l'embouchure du Var jusqu'au lac de Genève, par M. de Bourcet. C'est un recueil de sept mémoires dont le plus intéressant et le plus long est le premier : Description militaire des Frontières de la France, du Piémont et de la Savoie, depuis la mer Méditerranée jusqu'au lac de Genève : comprenant les places de guerre, forts, châteaux, postes, camps retranchés; les vallées, cols et chemins des Alpes. C'est une description précise de toute la frontière. On y trouve aussi bien la liste de toutes les places fortes qu'une description de toutes les vallées et cols de la frontière et de l'arrière-pays. Comme il faut s'y attendre, les sommets sont à peine évoqués. Ce sont deux exemplaires de ces recueils de mémoires que j'ai décrits aujourd'hui. Vous pouvez consulter une notice complète, avec des éléments d'identification sur les auteurs en cliquant-ici.
Il y a eu deux éditions. La première est imprimée à Berlin par George Decker en 1801. La deuxième porte l'adresse des frères Levrault, à Paris et Strasbourg en l'an X (1801-1802.
Il n'y a aucune information sur l'histoire de ces deux éditions. Nous l'avons reconstituée sur la base de l'observation de nos exemplaires. La page de titre de l'édition de Paris et Strasbourg est montée sur onglet (page cartonnée). Elle est probablement venue remplacer la page de titre initiale de l'édition de Berlin. Autrement dit, l'ouvrage a été imprimé par Georges Decker à Berlin. Des exemplaires ont ensuite été repris par Levrault, frères qui y ont mis leur page de titre. Comme elle faisait partie du premier cahier, elle a dû être montée sur onglet, sur la page de titre de Berlin découpée. En dehors de ces deux pages de titre, le reste de l'ouvrage est strictement identique. Nos deux exemplaires sont cependant imprimés sur des papiers différents. Je viens d'apprendre que ce type d'enquête s'appelait de la "bibliographie matérielle" (voir le blog de Bibliomab : cliquez-ici).
L'ouvrage se termine par une carte spécialement gravée pour illustrer l'ouvrage et faciliter la compréhension des mémoires topographiques : Carte des Alpes depuis Nice jusqu'au lac de Genève. L'orientation est inhabituelle, afin de pouvoir couvrir toute la frontière. Le nord est à droite :
Petites considérations sur ces deux exemplaires
J'ai acheté ces deux exemplaires lors de la vente du docteur Blanc en décembre dernier. Pourquoi acheter deux exemplaires du même ouvrage ? C'est simple, aucun des deux n'était parfait !
Celui de Berlin a pour lui de nombreuses qualités :
- l'ouvrage est complet des deux Erratas
- la reliure est de qualité. C'est un beau veau raciné d'époque, ce qui était déjà une bonne raison de l'acheter.
- c'est la plus rare des deux éditions. On ne la trouve que 2 fois au CCFr.
- on ne laisse pas passer deux fois sa chance (voir plus loin)
Malheureusement :
- il manque la carte
- il y a des rousseurs
Celui des frères Levrault a pour lui :
- il est complet de la belle carte,
mais :
- il manque le 2e Errata (c'est un défaut véniel).
- la reliure est modeste
En définitive, les deux font la paire et presque un exemplaire parfait.
Pour finir, une anecdote. L'exemplaire de Berlin (celui en veau raciné) m'avait échappé en 2004. Je l'avais vu chez un libraire parisien. Je m'étais décidé un peu tardivement et il était déjà parti. Je sais maintenant que cet exemplaire avait été acheté par le docteur Blanc et j'ai pu ainsi l'acquérir lors de la vente de sa bibliothèque en décembre, quasiment au même prix. Preuve, s'il en est, que la bibliophilie offre parfois une deuxième chance.
Il est d'autant plus séduisant de posséder ces deux exemplaires, qu'il s'agit d'ouvrages rares, voire "d'une insigne rareté" pour parler comme certains libraires. En 15 ans de chine dauphinoise, c'est la première fois que je les vois. Comme pour me faire mentir, un exemplaire est en vente à Annecy en juin.
En marge et toujours sur la topographie alpine
Lors de cette même vente, j'ai acheté un exemplaire sur papier de Hollande de La topographie militaire de la frontière des Alpes, de M. de Montannel, édité par les soins de M. A. de Rochas d'Aiglun en 1875. Il est bien complet de la carte dépliante, qui est la reproduction de la carte qui illustre l'ouvrage de Bourcet.
J'ai complété ma notice (j'avais déjà un exemplaire) par celle de ce bel exemplaire relié en demi maroquin à coins (cliquez-ici) :
Si la topographie des Alpes dauphinoises et du massif des Ecrins vous intéresse, vous pouvez vous reporter à cette page : Découverte du Haut-Dauphiné : topographie et exploration du massif des Ecrins/Oisans
Je conclus ce long billet par la saine et pragmatique philosophie de Bourcet lorsque il évoque l'anomalie géographique qui fait que la Durance donne son nom à la Clarée, malgré la différence de tailles :
"La Clarée est plus considérable que la Durance à leur jonction, et elle vient de plus loin; il était donc plus juste de conserver aux deux rivières réunies le nom de Clarée. Mais la Durance prend sa source au mont-Genèvre, qui est un passage très-fréquenté; elle était bien plus connue, aussi l'a-t-elle emporté, quoiqu'elle ne soit qu'un filet d'eau pendant l'été: voilà comment le mérite modeste qui se cache, est éclipsé par un plus petit qui ose se mettre en évidence."
Comparativement à la Suisse ou à la Savoie, la description précise de ces régions a été tardive. Les touristes et les savants n'ont pas été les premiers. Ils ont été précédés par les militaires, qui furent les premiers à s'intéresser à cette région frontalière, pour d'évidentes raisons stratégiques. Les premiers travaux sont des mémoires rédigés au cours du XVIIIe siècle, à l'usage des troupes alpines. Pour la région qui nous intéresse, Pierre-Joseph de Bourcet (1700-1780) a été l'un des artisans les plus actifs de la description de sa région natale. En effet, il est né à Usseaux, dans la vallée de Pragelas, dans un des 3 escartons du Briançonnais qui ont été cédés au Piémont lors du traité d'Utrecht en 1713.
Dès l'âge de 9 ans, en 1709, il sert dans les armées des Alpes sous les ordres de son père, capitaine. Il complète sa formation en étudiant les mathématiques, devient artilleur, puis entre dans l'infanterie afin de pouvoir ensuite rejoindre le Génie. Avec l'appui de M. d'Asfeld, il intègre le corps des Ingénieurs du Génie en 1729. Il a une longue carrière militaire qui le mène jusqu'au grade de lieutenant-général des armées du roi, en 1762, le plus haut grade de la hiérarchie militaire d'ancien régime. Il participe à de nombreuses campagnes durant sa carrière où il peut faire valoir ses talents d'ingénieur dans le génie et sa connaissance des fortifications. Son expérience dans la guerre de montagne est une aide précieuses lors des guerres avec le Piémont. Il a laissé de nombreux mémoires manuscrits sur ce sujet.
Parmi quelques faits, on peut relever :
- En 1752, il accompagne M. de Paulmy dans sa tournée d'inspection des Alpes (Voyage d'inspection de la frontière des Alpes en 1752 par le Marquis de Paulmy, par Henry Duhamel. Cet ouvrage contient la publication de nombreux mémoires de Bourcet.
- Directeur des fortifications du Dauphiné de 1756 (nommé le 1er juin 1756) à 1777.
- Sous la direction du ministre de la guerre, Choiseul, il établit en 1764 à Grenoble une école d'instruction pour les officiers qui se destinent au service de l'état-major de l'armée. Elle disparaît en 1771. C'est alors que Bourcet rédige pour l'instruction de ses élèves les Principes de la guerre de montagnes, qui ne sont publiés qu'en 1888.
- Bourcet dirige le lever de la carte de la frontière du Dauphiné de 1749 à 1752, travail qui a été poursuivi jusqu'en 1754, malgré le départ de Bourcet qui avait quitté le Dauphiné pour des missions dans le Nord de la France. Cela a donné lieu à la publication d'une magnifique carte en 9 feuilles en 1758 : Carte géométrique du Haut-Dauphiné et de la frontière ultérieure.
Il est mort à Meylan le 14 octobre 1780.
(Voir une notice biographique plus complète : cliquez-ici)
Quelques années après son décès, en 1801, paraissent les Mémoires militaires sur les frontières de la France, du Piémont et de la Savoie depuis l'embouchure du Var jusqu'au lac de Genève, par M. de Bourcet. C'est un recueil de sept mémoires dont le plus intéressant et le plus long est le premier : Description militaire des Frontières de la France, du Piémont et de la Savoie, depuis la mer Méditerranée jusqu'au lac de Genève : comprenant les places de guerre, forts, châteaux, postes, camps retranchés; les vallées, cols et chemins des Alpes. C'est une description précise de toute la frontière. On y trouve aussi bien la liste de toutes les places fortes qu'une description de toutes les vallées et cols de la frontière et de l'arrière-pays. Comme il faut s'y attendre, les sommets sont à peine évoqués. Ce sont deux exemplaires de ces recueils de mémoires que j'ai décrits aujourd'hui. Vous pouvez consulter une notice complète, avec des éléments d'identification sur les auteurs en cliquant-ici.
Il y a eu deux éditions. La première est imprimée à Berlin par George Decker en 1801. La deuxième porte l'adresse des frères Levrault, à Paris et Strasbourg en l'an X (1801-1802.
Il n'y a aucune information sur l'histoire de ces deux éditions. Nous l'avons reconstituée sur la base de l'observation de nos exemplaires. La page de titre de l'édition de Paris et Strasbourg est montée sur onglet (page cartonnée). Elle est probablement venue remplacer la page de titre initiale de l'édition de Berlin. Autrement dit, l'ouvrage a été imprimé par Georges Decker à Berlin. Des exemplaires ont ensuite été repris par Levrault, frères qui y ont mis leur page de titre. Comme elle faisait partie du premier cahier, elle a dû être montée sur onglet, sur la page de titre de Berlin découpée. En dehors de ces deux pages de titre, le reste de l'ouvrage est strictement identique. Nos deux exemplaires sont cependant imprimés sur des papiers différents. Je viens d'apprendre que ce type d'enquête s'appelait de la "bibliographie matérielle" (voir le blog de Bibliomab : cliquez-ici).
L'ouvrage se termine par une carte spécialement gravée pour illustrer l'ouvrage et faciliter la compréhension des mémoires topographiques : Carte des Alpes depuis Nice jusqu'au lac de Genève. L'orientation est inhabituelle, afin de pouvoir couvrir toute la frontière. Le nord est à droite :
Petites considérations sur ces deux exemplaires
J'ai acheté ces deux exemplaires lors de la vente du docteur Blanc en décembre dernier. Pourquoi acheter deux exemplaires du même ouvrage ? C'est simple, aucun des deux n'était parfait !
Celui de Berlin a pour lui de nombreuses qualités :
- l'ouvrage est complet des deux Erratas
- la reliure est de qualité. C'est un beau veau raciné d'époque, ce qui était déjà une bonne raison de l'acheter.
- c'est la plus rare des deux éditions. On ne la trouve que 2 fois au CCFr.
- on ne laisse pas passer deux fois sa chance (voir plus loin)
Malheureusement :
- il manque la carte
- il y a des rousseurs
Celui des frères Levrault a pour lui :
- il est complet de la belle carte,
mais :
- il manque le 2e Errata (c'est un défaut véniel).
- la reliure est modeste
En définitive, les deux font la paire et presque un exemplaire parfait.
Pour finir, une anecdote. L'exemplaire de Berlin (celui en veau raciné) m'avait échappé en 2004. Je l'avais vu chez un libraire parisien. Je m'étais décidé un peu tardivement et il était déjà parti. Je sais maintenant que cet exemplaire avait été acheté par le docteur Blanc et j'ai pu ainsi l'acquérir lors de la vente de sa bibliothèque en décembre, quasiment au même prix. Preuve, s'il en est, que la bibliophilie offre parfois une deuxième chance.
Il est d'autant plus séduisant de posséder ces deux exemplaires, qu'il s'agit d'ouvrages rares, voire "d'une insigne rareté" pour parler comme certains libraires. En 15 ans de chine dauphinoise, c'est la première fois que je les vois. Comme pour me faire mentir, un exemplaire est en vente à Annecy en juin.
En marge et toujours sur la topographie alpine
Lors de cette même vente, j'ai acheté un exemplaire sur papier de Hollande de La topographie militaire de la frontière des Alpes, de M. de Montannel, édité par les soins de M. A. de Rochas d'Aiglun en 1875. Il est bien complet de la carte dépliante, qui est la reproduction de la carte qui illustre l'ouvrage de Bourcet.
J'ai complété ma notice (j'avais déjà un exemplaire) par celle de ce bel exemplaire relié en demi maroquin à coins (cliquez-ici) :
Si la topographie des Alpes dauphinoises et du massif des Ecrins vous intéresse, vous pouvez vous reporter à cette page : Découverte du Haut-Dauphiné : topographie et exploration du massif des Ecrins/Oisans
Je conclus ce long billet par la saine et pragmatique philosophie de Bourcet lorsque il évoque l'anomalie géographique qui fait que la Durance donne son nom à la Clarée, malgré la différence de tailles :
"La Clarée est plus considérable que la Durance à leur jonction, et elle vient de plus loin; il était donc plus juste de conserver aux deux rivières réunies le nom de Clarée. Mais la Durance prend sa source au mont-Genèvre, qui est un passage très-fréquenté; elle était bien plus connue, aussi l'a-t-elle emporté, quoiqu'elle ne soit qu'un filet d'eau pendant l'été: voilà comment le mérite modeste qui se cache, est éclipsé par un plus petit qui ose se mettre en évidence."
Je connais un bibliophile qui achète chacun de ses livres en 3 exemplaires, non pas dans des versions différentes mais, si possible, dans des tirages et des reliures très similaires. Pourquoi ? Parce q'il a 3 enfants et qu'il voudrait éviter des problèmes de succession ! (je ne sais pas si les enfants s'intéressent aux livres ou s'il vont tout revendre ou tout jeter ! ...)
RépondreSupprimerJe crois que cela milite en faveur de l'enfant unique !
RépondreSupprimerPour cet ouvrage de Bourcet, avant d'avoir les deux tirages en 3 exemplaires similaires, je crois qu'il faut alors penser non aux enfants, mais aux arrière-petits-enfants.
J'aime ! (comme on dit sur FaceBook pour marquer l'intérêt d'une remarque pertinente et décisive.)
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