J'en avais parlé dans mon dernier message; j'ai profité de ce premier week-end de l'année pour étudier plus en détail ce premier ouvrage du jurisconsulte dauphinois, Denis de Salvaing de Boissieu (1600-1682), premier président de la Chambre des Comptes du Dauphiné.
D'abord, qu'est ce que le plait seigneurial ? Ce droit qui semble propre au Dauphiné (tout du moins sous ce nom), Salvaing de Boissieu en donne lui-même la définition dans l'édition de 1731 : "Le plait est un droit seigneurial, qui est dû à mutation de seigneur, ou de possesseur de l'héritage, lequel y est sujet, ou de tous les deux ensemble selon qu'il est stipulé, comme j'ay dit au Traité que j'ai donné au public l'an 1652. Du plait Seigneurial & de son usage en Dauphiné; dans lequel j'ay remarqué trois sortes de Plait, suivant nos mœurs; le Plait conventionnel; le Plait accoutumé, le Plait à merci."
Le sujet devait lui sembler suffisamment important pour qu'il lui consacre ses premiers travaux de jurisconsulte. Il le fait paraître chez Jean Nicolas, de la famille Nicolas très active aux XVIIe siècle dans la libraire grenobloise (voir Jean Nicolas, père et fils, libraires à Grenoble (1608 - 1681)). C'est le fils Jean Nicolas qui a assuré l'édition de ce texte ou, tout du moins, la diffusion de l'ouvrage. La meilleure source sur l'activité de libraire de cette famille est l'ouvrage : Livres et lecteurs à Grenoble. Les registres du libraire Nicolas (1645-1668), par H.-J. Martin et M. Lecocq, Genève, Paris, 1977.
Sur la base de ces registres, ils donnent la liste complète des acheteurs de l'ouvrage, ainsi que celle des libraires à qui Jean Nicolas a fourni cet ouvrage (Piot à Avignon, de Tournes à Genève, etc.). On voit que le prix de vente aux particuliers et aux libraires était de une livre. On comprend par ailleurs que Jean Nicolas reçoit les exemplaires de D. de Salvaing de Boissieu lui-même qui lui fournit par deux fois une centaine d'exemplaires à vendre, ce qui confirmerait qu'il l'a publié à ses frais. Remarquons au passage que Salvaing de Boissieu lui cédait les ouvrages au prix de 14 sous et que Jean Nicolas les revendait une livre (ou 20 sous), soit une marge bénéficiaire de 30 %.
Sur la page de garde, cet exemplaire porte une marque possession, avec l'indication du lieu et de la date d'achat : "Acheté à Grenoble - 3 juillet 1652." Gaillard (ou Gaillaud).
J'ai espéré retrouver la mention de l'achat de mon exemplaire dans les registres du libraire Nicolas. Dommage, il n'a pas dû l'acheter au libraire Nicolas, car on ne le retrouve pas dans la liste des acheteurs. On n'aurait pas rêver mieux que de posséder un livre de 1652 dont l'acte d'achat serait encore consigné dans un document d'archive.
Chose peu courante à l'époque, me semble-t-il (mais les spécialistes du XVIIe me le confirmeront), l'imprimeur est indiqué sur la page de titre. Il s'agit de la veuve d'Etienne Voisin, un imprimeur-libraire originaire d'Orange, présent à Grenoble en 1643, où il est mort en 1649. Sa veuve a poursuivi son activité d'imprimeur au moins jusqu'en 1653.
Sur Denis de Salvaing de Boissieu, la meilleure source reste l'ouvrage d'Alfred de Terrebasse, parue chez Louis Perrin en 1850 : Relation des principaux événements de la vie de Salvaing de Boissieu.
Il commente ainsi cet ouvrage :
"Ces nombreuses réimpressions témoignent suffisamment du mérite et de l'importance de l'ouvrage. Tout ce que nous nous permettrons d'ajouter, c'est que, jusqu'à l'époque de la Révolution, les décisions formulées dans ce judicieux Traité ont fait autorité dans plusieurs parlements du royaume. Il a passé depuis de la bibliothèque des jurisconsultes dans celle des savants, où les documents qu'il conserve le placent désormais à l'abri des injures du sort.
Le président de Boissieu n'était pas homme à écrire un volume sur les matières féodales sans trouver occasion de parler de sa famille et de lui-même. Aussi n'oublie-t-il pas de citer le cri de guerre de ses ancêtres et l'acte d'inféodation qu'il passa de la terre de Saint-Bonnet à noble Humbert de Chaponay, conseiller au parlement de Grenoble, sous le plait d'une paire de gants de cerf et aux autres conditions énoncées dans l'acte , du 28 août 1647." (pp.14-15).
A. de Terrebasse fait allusion aux prétentions nobiliaires de Salvaing de Boissieu, qu'il a tenté de démonter dans son ouvrage.
Pour finir, je me suis offert le petit plaisir d'étudier en détail l'ouvrage, relevant au passages les nombreuses irrégularités dans la numérotation des pages, même si le texte est complet.
Voici le relevé exact des erreurs :
Après la page 199, la numérotation recommence à 100 au lieu de 200.
En plus de cet écart de 100, après la p.199, quelques pages sont mal chiffrées (je ne tiens pas compte que la numérotation devrait être en 200) :
- p. 154 chiffrée 156.
- p. 156 chiffrée 154.
- pp. 164 et 165 chiffrées 174 et 175.
- pp. 168-172 chiffrées 178-182. La dernier page de l'ouvrage est donc chiffrée 182. Corrigée de l'erreur de pagination, mais avec l'écart de 100, cette page devrait porter le numéro 172. Corrigée de l'écart de 100, le numéro réel de cette page doit être 272, ce qui correspond à la composition de l'ouvrage. En effet, l'ouvrage contient un cahier de 4 feuillets non chiffrés (signature a) et 17 cahiers chiffrés de 8 feuillets signés A à R, soit 272 pages.
Voilà, je viens de faire faire un pas de géant à la bibliographie dauphinoise : l'édition originale du Traité du plait seignieurial ne contient ni 182 pages, comme toutes les bibliographies le disent, ni 282 comme le dit E. Maignien, qui a détecté l'écart de 100 pages, mais 272. Qu'on se le dise !
Pour donner une idée de la rareté de cette édition de 1652, il suffit de dire qu'il y a seulement :
- 2 exemplaires à la BNF
- un exemplaire à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, de la bibliothèque Le Tellier.
- 2 exemplaires dans le fonds dauphinois de la BMG, dont l'exemplaire de Guy Allard.
Pour voir la page consacrée à cet ouvrage, cliquez-ici.
Bel achat ! Belles découvertes ! Bravo.
RépondreSupprimerB.