dimanche 25 novembre 2012

Le premier guide touristique de l'Isère ?

Grenoble

Le guide touristique tel que nous le connaissons s'est peu à peu défini au cours du XIXe siècle, jusqu'à ce qu'Adolphe Joanne lui donne la forme et la diffusion que l'on connaît. Pour le département de l'Isère, qui forme une partie du Dauphiné, on peut penser que le travail de Pierre Fissont et Auguste Vitu, paru en 1856, est le premier guide dans le sens moderne du temps :
Guide pittoresque et historique du voyageur dans le département de l'Isère et les localités circonvoisines.
Grenoble, Ferary, Libraire-Editeur, 1856


Auparavant, de nombreuses parties du département avait fait l'objet d'un guide, comme l'Oisans avec l'Essai descriptif sur l'Oisans, d'Aristide Albert et le Guide du voyageur dans l'Oisans, du docteur Joseph-Hyacinthe Roussillon, ou la Grande-Chartreuse. En revanche, pas son parti pris d’exhaustivité et sa présentation par itinéraires, ce guide est, à ma connaissance, le premier au sens moderne du terme.Il faudra ensuite attendre le premier tome du Guide du Dauphiné d'Adolphe Joanne en 1862 pour avoir un guide complet de la région.

Cet exemple de pages (avec un petit clin d’œil à un certain bibliomane moderne, qui comprendra) montre la présentation choisie, même si les villages décrits ici ne se distinguent pas par les monuments ou les curiosités naturelles.


Je vous laisse découvre ce guide sur la page que je lui est consacrée : cliquez-ici.

Il a aussi l'avantage d'être joliment illustré de 10 lithographies. Après celle en tête du message (et qui forme frontispice), je vous en présente 4 autres ici :

 La Grande-Chartreuse

Voiron

Le château de Valbonnais

Pont-en-Royans

Lorsque j'ai acheté l'ouvrage, c'est posé la question d'identifier les auteurs. Encore une fois, les ressources d'Internet se sont avérées précieuses. Auguste Vitu a été vite identifié (voir sa notice biographique sur Wikipédia).


En revanche, je me suis vite demandé comment et pourquoi cette personnalité très parisienne s'était ainsi intéressée à l'Isère. Une notice biographique plus fournie m'a appris qu'il avait d'abord fondé un journal à Grenoble en 1850, mais surtout qu'il y avait passé trois ans comme chef de cabinet du préfet Jean Bérard, de 1852 à 1855. Cela lui a probablement permis de rassembler les éléments administratifs et descriptifs que l'on trouve dans ce guide.

Pour P. Fissont, l’exercice était plus difficile car je n'ai trouvé aucune notice biographique et qu'il existait un doute sur le prénom : Pierre ? Paul ? Une personne ? Deux personnes ? J'ai donc rassemblé les éléments d'une esquisse de notice, basée sur les éléments collectés et sur certaines hypothèses (pour la voir, cliquez-ici). Il est toujours difficile de prendre comme hypothèse l'erreur d'un érudit aussi scrupuleux qu'Edmond Maignien, mais cela me semblait la seule possibilité.


samedi 10 novembre 2012

Le Banc des Officiers, de Jean Faure, 1825 : un exemplaire inattendu

En cette année 1809, alors que la guerre gronde à travers l'Europe, le paisible village de La Motte-en-Champsaur (Hautes-Alpes) est le siège d'un violent conflit entre le maire et le curé à propos du banc de la mairie dans l'église paroissiale. Seul le préfet du département pourra départager les belligérants. Ce fait, mineur en soi, aurait disparu dans les oubliettes de l'histoire si Jean Faure, alors notaire à Orcières, à quelques kilomètres de là, n'avait eu l'envie de conter ces luttes villageoise dans un poème en 5 chants, au ton badin et légèrement sarcastique.


Que l'on ne s'étonne pas, l'époque était propice à la poésie. Le notaire, le préfet, le curé, etc. n'hésitaient pas à versifier, qui sur le mode comique, comme notre notaire, qui sur le mode romantique, comme un autre préfet des Hautes-Alpes, Ladoucette.

La première version du poème a paru en 1810. Mais, comme toutes les grandes œuvres, elle a fait l'objet d'un travail d'améliorations au fil du temps, amélioration sur la forme (entre deux actes, le notaire a le temps pour polir son métier de poète), amélioration sur le fond, car entre-temps, le notaire est devenu sous-préfet en 1822. Une certaine légèreté dans la figure du prêtre ne sied plus à un représentant de l'orde monarchique et religieux de la Restauration. C'est ainsi qu'en 1825, notre poète Jean Faure publie une deuxième édition, la plus complète, en 6 chants.

C'est un exemplaire de cet ouvrage qui vient de rejoindre ma bibliothèque. Pour des raisons que j’expliquerai plus loin, l'ouvrage méritait déjà de rejoindre ma bibliothèque. Cependant, il a quelques choses de plus, qui lui donne comme un cachet spécial et un peu inattendu. En effet, sur le premier contre-plat, il porte le bel ex-libris d'un Lord anglais :

Lord Hamilton Francis Chichester (1810-1854)

Ensuite, le faux titre est couvert d'un long envoi en anglais :

Je l'ai déchiffré (du moins je le pense, car l'écriture est peu lisible et mon anglais un peu insuffisant pour rétablir les mots difficilement lisibles) :
To Miss Blake
from J H Frere who says that this poem is first heard with at Marseilles in 1825 and which he has never heard mention since, is one the prettiest thing in the french language.
que j'ai traduit par :
A Miss Blake, de J H Frere qui précise que ce poème qu'il a entendu pour la première fois à Marseille en 1825 et dont il n'a jamais entendu parler depuis, est une des plus jolies choses en langue française.

Ce modeste petit ouvrage, dont l'audience ne devait guère dépassée les Hautes-Alpes (voire une partie des Hautes-Alpes), a eu l'heur de plaire à un écrivain et diplomate anglais, John Hookham Frere (1769-1846), qui s'installa à Malte en 1821. Rejoint pendant quelques temps, à partir de 1825, par sa nièce Honoria Anastatia Blake, il en fit son héritière, la considérant comme sa fille. Nous savons aussi qu'en 1825, il fit un voyage en Angleterre. C'est probablement à ce moment-là, passant par Marseille pour rejoindre Malte, qu'il a découvert ce poème que rien, sinon le hasard, ne pouvait lui faire découvrir. Il a donc dédicacé un exemplaire de l'ouvrage à cette nièce. Honoria Anastatia Blake (la Miss Blake de la dédicace) a épousé Lord Hamilton Francis Chichester en 1837.

Etonnant, non ?

Pour finir, Lord Hamilton Francis Chichester, pour conserver ce précieux témoignage d'affection de l'oncle à la nièce, l'a fait agréablement relier :


Pour ceux qu'intéresse l'histoire de ce texte majeur de la littérature française (je rappelle qu'il a été lu jusqu'en Angleterre et à Malte), je les renvoie à la page que je lui consacre : Le Banc des Officiers. En effet, Jean Faure ayant vécu jusqu'à 87 ans, il y a une troisième version, en quatre chants, très différente par le contenu et le style, même si la trame de l'histoire reste la même.

J'ai deux raisons particulières de m'intéresser à ce texte. La première est que, tout simplement, j'ai un attachement particulier à la Motte-en-Champsaur, village d'origine d'une partie de ma famille. En 1809, mes ancêtres Joseph Escalle et Rose Gauthier ont sûrement été partie prenante dans ce conflit, d'autant plus que le maire de l'époque, un des deux protagonistes et chefs de partis, Jean Alexandre Lagier, avait été un de leurs témoins de mariage. Au passage, ce maire aux idées avancées, peut-être un peu voltairien, a signé "Lagier fils sans culotte" dans l'acte de mariage de mes ancêtres en 1794 (il y a peut-être aussi un peu d'opportunisme !). Rien que cela était une raison suffisante.

 Mariage Joseph Escalle - Rose Gautier, avec la signature de Jean Alexandre Lagier

 
 Deux cartes postales anciennes de La Motte-en-Champsaur

L'autre raison est que je collectionne patiemment tous les ouvrages publiés par Jean Faure, dit Jean Faure du Serre (1776-1863), modeste célébrité nos vallées des Hautes-Alpes. Comme le dit Adolphe Rochas dans sa Biographie du Dauphiné : "M. Faure a consacré à la poésie les loisirs que lui laissaient ses prosaïques travaux de notariat et d'administration; peut-être même a-t-il cherché dans cette douce occupation l'oubli des nombreux chagrins qui l'ont éprouvé pendant sa longue carrière. On lui doit, notamment, trois poëmes héroï-comiques dans lesquels il chante de fort plaisants événements, dont le département des H.-Alpes a été le théâtre. Ces poëmes sont écrits avec verve et entrain : il y a de la gaîté, de bonnes saillies, beaucoup plus qu'on ne saurait raisonnablement en attendre d'un homme ayant été notaire et sous-préfet.".
Je lui ai donc consacré une page : Jean Faure du Serre.

Pour illustrer ma collection "in progress" (cet exemplaire m'a rendu anglophile !), quelques photos d'autres ouvrages de Jean Faure du Serre, avec les liens vers les pages de mon site, pour ceux qui veulent aller plus loin dans la connaissance de l'auteur.

 La Tallardiade, Gap, 1819 (voir la page : cliquez-ici)

 
  La Tallardiade, Gap, 1839 (voir la page : cliquez-ici)

 
 Œuvres choisies, Gap, 1858 (voir la page : cliquez-ici)

Pour finir ce long message, une remarque et une interrogation. J'entends souvent dire, voire je lis parfois sur des blogs amis, qu'acheter en ventes aux enchères permet de payer moins cher. Sur cet exemple particulier (je ne lance pas de débat général), c'est exactement l'inverse, car il m'a coûté un prix déraisonnable, poussé par un commissaire priseur qui devait voir mon œil briller d'envie. L'autre raison et c'est là mon interrogation, je me suis retrouvé face à un enchérisseur tout aussi déterminé que moi. J'avoue être très curieux de savoir ce qui motivait cet enchérisseur par téléphone, alors que, objectivement, rien dans l'ouvrage ne le justifiait. Il y a donc un deuxième amateur, soit intéressé par la Motte-en Champsaur (village de 120 habitants !), soit par Jean Faure (le nombre d'amateurs doit être un tout petit peu supérieur), soit une autre raison que j'ignore. Et j'aimerais bien savoir ! Je n'ai aucun regret de mon achat, je me suis fait plaisir, et c'est, je crois, le plus important.