Avec patience et méthode, je collectionne tous les ouvrages de Jean Faure, dit Faure du Serre. Il est probable que cet auteur ne dise quasiment rien à la plupart de mes lecteurs. C'est un de ces auteurs régionaux qui ont eu une certaine renommée à leur époque, car ils ont su capter l'air du temps. Pour nous qui les lisons presque deux siècles plus tard, ils nous font revivre un monde à jamais disparu.
Né à Saint-Michel-de-Chaillol en 1776, Jean Faure a été notaire à Orcières, chef de bureau de l'administration de la préfecture
des
Hautes-Alpes, secrétaire général de la préfecture des Hautes-Alpes et, enfin, sous-préfet de Sisteron, avant de prendre sa retraite en 1830 au hameau du Serre dans son village natal, d'où il tire son nom d'auteur. Il est mort très âgé, à 87 ans, en 1863.
J'ai toujours aimé le commentaire d'Adolphe Rochas sur l’œuvre de Jean Faure :
M. Faure a consacré à la poésie les loisirs que lui laissaient ses prosaïques travaux de notariat et d'administration; peut-être même a-t-il cherché dans cette douce occupation l'oubli des nombreux chagrins qui l'ont éprouvé pendant sa longue carrière. On lui doit, notamment, trois poëmes héroï-comiques dans lesquels il chante de fort plaisants événements, dont le département des H.-Alpes a été le théâtre. Ces poëmes sont écrits avec verve et entrain : il y a de la gaîté, de bonnes saillies, beaucoup plus qu'on ne saurait raisonnablement en attendre d'un homme ayant été notaire et sous-préfet.
Parmi ces poèmes "héroï-comiques", je possédais déjà le Banc des officiers et les deux éditions de la Tallardiade. Il ne me manquait que la Cloche de Frustelle, pour compléter ma collection. Grâce à la vente de la Bibliothèque dauphinoise de Haute Jarrie, du 14 décembre dernier, un modestes mais sympathique exemplaire de la première édition de 1839 vient de rejoindre ma bibliothèque :
En résumé, il s'agit d'un conflit villageois entre les habitants de Pont-du-Fossé (hameau de Saint-Jean-Saint-Nicolas, dans le Champsaur) et le curé de Saint-Nicolas qui, avec l'aide de ses paroissiens, est allé détacher la cloche du Panelle de Frustelle, pour la placer dans sa nouvelle église au hameau des Reynauds (autre hameau de Saint-Jean-Saint-Nicolas). Jean Faure excelle à peindre cette guerre picrocholine entre habitants, qui alla, dans ce cas, jusqu'à un procès devant le tribunal d'Embrun et un appel devant celui de Gap. Le charme de ces poèmes devait être encore plus fort à l'époque car il est probable que les
différentes personnalités citées, en
particulier parmi les habitants de
Pont-du-Fossé, font référence
à des
personnages réels qu'il devait alors être facile
d'identifier.
Jean Faure n'a pas peur de vexer les gens en les dépeignant
sous
un jour souvent un peu ridicule. Il n'hésite pas
à dire,
parlant du maire de Saint-Jean-Saint-Nicolas, qu'il est
« éclipsé » du
poème, car
« il l'est également dans l'esprit du
pays, où
il passe pour n'avoir agi que d'après l'impulsion
d'autrui ». Le maire a dû
apprécier !
Quant à ceux qui s'interrogent sur ce qu'est une Panelle, cette carte postale ancienne permet de voir qu'il s'agit d'un clocher en forme de cheminée, en haut duquel se trouve une fenêtre où l'on place la cloche :
Avec une faute dans la légende : Trustelle, au lieu de Frustelle. |
Un dernier charme de cet exemplaire est cette page d'envois successifs entre les différents propriétaires :
Transcription :
A Monsieur Albert, avocat
Son bien dévoué
Biétrix
Prière à monsieur Fermeau
Prière de conserver cet ouvrage
A. Albert
Prière à mon ami Tournier
d'accepter cet opuscule
Fermau
Seul Aristide Albert est bien connu. Malgré un nom peu courant, je n'ai pas réussi à identifier le premier possesseur.
Il est dommage que l'œuvre de Jean Faure du Serre ne soit aujourd'hui accessible que par l'édition de ses Œuvres choisies donnée en 1892 par l'abbé Gaillaud et rééditée en 1986. De l'avis de tous, elle est fautive et infidèle. L'abbé Allemand accuse l'abbé Gaillaud d'avoir " torturé et
défiguré les textes du poète en
voulant y mettre du sien". Cet extrait de La Cloche de Frustelle et
sa transcription par l'abbé illustrent les
transformations subies par le texte :
Texte original (p. 15) :
Les fabriciens, après court examen,
Votèrent tous en répondant : Amen.
Ainsi fut pris un dessein téméraire,
Qui dut bientôt troubler tout le pays.
Ainsi l'on voit que les plus beaux esprits
Peuvent faillir en croyant de bien faire!
Transcription (et transformation) par l'abbé Gaillaud dans le recueil de 1892 :
Les conseillers, après court examen,
Votèrent tous en répondant : Amen.
Ainsi fut pris un dessein téméraire,
Qui dut bientôt troubler tout cet endroit.
Ce qui fait voir que l'esprit le plus droit
Peut se tromper même en croyant bien faire.
Peut-être qu'un jour, quelqu'un s'attellera à une édition des œuvres complètes fondée sur les éditions originales (je ne sais pas si les manuscrits existent encore) et proposera en même temps une biographie modernisée, et probablement moins "cléricale", de Jean Faure du Serre.
Pour aller plus loin, les pages que je consacre à :
La Cloche de Frustelle
Jean Faure du Serre
et ce message à lui consacré sur ce blog à propos du Banc des Officiers.