lundi 23 décembre 2019

Dessins originaux d'Eugène Tézier

Eugène Tézier est un illustrateur essentiellement connu pour un bel ouvrage à la gloire des chasseurs alpins : Nos Alpins, paru en 1898. J'ai déjà eu l’occasion d'en parler sur ce blog (cliquez-ici). Cela m'avait alors conduit à essayer d'en savoir plus sur lui. A l'époque, en mars 2013, il n'existait aucune information disponible sur Internet ni dans les principaux ouvrages sur le Dauphiné. Il n'a pas d’entrée dans le Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs du Dauphiné, d'Yves Deshairs et Maurice Wantellet. Lorsque j'ai entrepris de décrire Nos Alpins sur mon site, j'ai fait des premières recherches qui m'ont permis de trouver sa date de naissance, d'esquisser l’histoire de sa vie et de rassembler quelques informations sur ses productions. Je lui ai consacré une page sur mon site : Eugène Tézier. J'ai travaillé depuis et je ferai bientôt part du résultat de mes recherches.

Récemment, lors d’une belle vente consacrée la bibliothèque cynégétique du Verne, j'ai déniché un exemplaire particulier de La Chasse alpestre en Dauphiné. J'ai déjà eu l’occasion de parler de ce livre dont il existe deux éditions principales. L'édition originale de 1874, qui reprend les textes parus dans Le Courrier de l’Isère, en 1873 et une belle édition illustrée par Émile Guigues en 1925 Je n'ai jamais eu de sympathie particulière pour la chasse et l'esprit qui l’accompagne. J'ai pourtant aimé ce texte bien écrit et bien enlevé d'Alpinus, autrement dit d'Henry Faige-Blanc.

L’exemplaire que j'ai acquis se distingue car il contient 14 planches en pleine pages, de dessins à la plume d’Eugène Tézier qui ont été spécialement réalisés pour illustrer cet ouvrage. Ce sont des dessins originaux, qui étaient peut- être prévus pour une édition qui n'a jamais paru. Eugène Tézier avait aussi commencé à ornementer les têtes de chapitre. Il n'a terminé que celle concernant l'ours et n’a fait qu’esquisser celles consacrées au chamois et au coq de bruyère.

Chacune des planches correspond à un passage du texte. J'en ai sélectionné 6, parmi les 14, avec les textes ou les sujets associés :

Vialy partant à la chasse à l’ours : « D'arbre en arbre il avance, n'occupant jamais le terrain conquis par son œil et par son oreille. Si l'ours est à sa besogne, c’est-à-dire en mouvement, l'œil et l'oreille bien vite le montrent à Vialy ; l'oreille avant l’œil, tant est perceptible le moindre bruit dans le silence sans pareil et sous la voûte sonore des sapinières. »



« Vous descendez à cinquante mètres plus bas ramasser votre conquête, et lorsqu'éperdu de joie, dans la paume de votre main bien étendue, vous soupesez sa masse charnue et pantelante, du coin de l'œil, vous voyant ainsi en proie au saint délire, Saint-Hubert, n’en doutez pas, essuie une larme furtive. »
 


« Donc midi sonnant au pays-plat, Gavet pêchait au bord du lac Claret, couché mollement à l'entrée de sa case, son semblon étendu devant lui, dans l'eau profonde. Il fumait son chiboucque, et du pouce et de l'index, il lançait sur onde, comme boulettes de pain, les sauterelles rouges des pâturages élevés, petasia montana. »
Gavet est le surnom du chasseur qui est en quelques sorte le héros de ces chroniques.



Illustration de l'« homélie » prononcée par Gavet, qui est introduite par ce texte :
« Pour les Alpins, quand ils ont à leur tête leur cardinal Gavet, gravir un Som, c'est synonime [sic] d'aller au Prêche. Gavet est l'homme du sermon sur la montagne, et je ne connais pas d'exemple qu'il soit parvenu jamais sur un pic, sans y prononcer une homélie. »



« Or, notre tour étant venu, nous fûmes mis en cellule, avec mission de manufacturer cette œuvre d'art. De la cellule de Maurice sortit un morceau qui débutait ainsi que suit :
"Etiam si omnes, ego non !
Et je vous attendais ici, ô Harmodius et Aristogiton !
Assez longtemps, — fieffés assassins que vous êtes, gibier de Toulon, de Rochefort et de Cayenne, — assez longtemps vous avez encombré l'Histoire de votre gloire nauséabonde !
Que des professeurs idiots, relaps de Saint-Robert, imposent votre louange à des moutards crétinisés !"
"Moi !"
"Toi !" hurla le père Reynaud apoplectique.
Et Maurice vola, — presque en éclats, — de son banc au milieu de la cour, — par la fenêtre.
C'est qu'en même temps qu’il était doué des fureurs d'Apollon, le père Reynaud avait hérité du torse d'Hercule. »



Dernier dessin du livre qui, à la différence des autres, n'illustre pas un passage particulier. Il représente le chasseur au repos. Ce personnage masculin, avec une barbe en pointe et une moustache à la Napoléon III, sera souvent repris par Eugène Tézier dans son œuvre, comme sur la page de titre de Nos Alpins. Je suis tenté d'y voir un autoportrait.



Quant à l’illustration des têtes de chapitre, celle de l'ours est la seule complète, qui nous fait regretter qu'il n'ait pas persévéré pour les autres. Nous devons nous contenter des esquisses.



Cet exemplaire a appartenu au grand bibliophile dauphinois Eugène Chaper, qui l'a fait relier par un des plus grands relieurs de l'époque, Chambolle-Duru. Il y a mis son ex-libris manuscrit et cette annotation : « Exemplaire illustré de 17 dessins originaux par les frères Tezier (de la Drôme) ».


En parlant des frères Tézier, il fait référence à Eugène Tézier et à son frère jumeau Jean. Pourtant, les dessins ne doivent être que de la main d'Eugène, car Jean se consacrait plus à la poésie et à la littérature qu'au dessin. On peut dater ces dessins de la période 1887/1889, c'est à dire entre le moment où Eugène Tézier commence à percer comme dessinateur de presse et avant les décès de son frère Jean, en 1889 et d'Eugène Chaper en 1890.

Cela fait de cet exemplaire un bel objet bibliophilique. L’intérêt est surtout de nous faire découvrir des dessins orignaux d’Eugène Tézier qui n’était auparavant connu que par ses publications, soit comme dessinateur de presse, soit comme illustrateur. Cela m'a donné envie d'en savoir plus sur lui, mais de cela, je vous parlerai plus tard.

J’ai la chance d'avoir une autre œuvre originale d'Eugène Tézier, un petit tableau à l’huile représentant la gare de Briançon. Sauf erreur de ma part, c’est la première fois qu'un tableau d’Eugène Tézier refait surface (il y en a sûrement d’autre dans des collections privées). C'est d’autant plus important que lui-même préférait se qualifier de peintre, avant tout, ce qui est paradoxal pour quelqu'un dont on ne connaît aucune autre peinture, à l'exception de celle-ci. 


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