A la demande générale, je vous donne la recette du Gratin Dauphinois, telle que la décrit René Fonvieille dans son ouvrage (voir message précédent). Au passage, je remarque que lorsque on parle de bien manger, il y des commentaires. En revanche, lorsque il s'agit de théories économiques (le prix de la viande doit-il être libre ou pas ?) je sens moins d'enthousiasme, même si je ne doute pas de l'intérêt de mes lecteurs au sujet de cette question cruciale.
Pour en revenir à la recette, elle est précédée de quelque considérations sur l'introduction de la pomme de terre en Dauphiné. La thèse de l'auteur, probablement juste, est que le diffusion de la pomme de terre a largement précédé les initiatives de Parmentier (encore un qui a su gérer son image, avant l'heure des communicants!). Je vous laisse découvrir et, pour les cuisiniers, tester cette recette : La cuisine dauphinoise à travers les siècles, René Fonvieille, pp. 215-217 :
Le « gratin dauphinois »
est connu du monde entier, peut-on dire sans trop d'exagération, ce
qui est, certes, une référence flatteuse pour un plat régional.
Mais cela a eu une conséquence fâcheuse : celle de laisser croire
par cette étouffante renommée, que le Dauphiné ne connaît que
cette spécialité. J'espère avoir apporté la preuve de la richesse
gastronomique de notre province depuis des siècles.
Au point de vue historique, l'erreur
fondamentale est de croire que le gratin a attendu Parmentier pour
apparaître sur les tables dauphinoises. Un homme d'une vaste culture
me disait : « Votre gratin n'a pu être confectionné qu'à la fin
du XVIIIe siècle, après les travaux scientifiques de
Parmentier ». Je pense avoir démontré (voir dans le chapitre
consacré aux légumes, la notice sur la pomme de terre) que les
paysans dauphinois ont pu l'apprécier dès le XVIe
siècle, car c'est à cette époque que la pomme de terre, originaire
d'Amérique, a pénétré en Dauphiné par la Suisse, qui l'avait
reçue elle-même de l'Allemagne. Si bien que l'on peut dire que
c'est le Dauphiné qui a accueilli la pomme de terre, avant toutes
les autres régions de France.
J'ai expliqué aussi pourquoi le gratin
de pommes de terre n'est apparu sur les tables distinguées que
beaucoup plus tard : par snobisme, après la campagne publicitaire
(ce n'était que cela) de Parmentier, encouragé par Louis XVI, qui
craignait de mauvaises récoltes de céréales. Cela n'a donc rien
d'étonnant que la première mention du gratin dans les documents
d'archives dauphinois relatifs aux repas d'apparat ne soit que de la
fin du XVIIIe siècle. Le gratin figure dans le menu d'un
dîner offert le 12 juillet 1788 aux officiers municipaux de Gap
mandés à Grenoble par le lieutenant général de Clermont-Tonnerre
(arch. Grenoble CC 1128).
De nombreux ouvrages culinaires donnent
la recette du « vrai gratin dauphinois » mais beaucoup
comportent des contre-indications graves. La recette est toute simple
; il n'y a pas lieu d'en « rajouter » comme le
conseillent certains augures (on pourrait citer de très grands
noms).
« Coupez en rondelles fines et
d'égale épaisseur (1 mm et demi environ) des pommes de terre
d'excellente qualité à chair farineuse (voir plus loin les variétés
recommandées)
Prenez de préférence un plat de
terre, dont vous frotterez le fond et les côtés avec une gousse
d'ail. Ensuite beurrez légèrement.
Déposez dans le plat une couche de
pommes de terre, salez et poivrez. Posez ainsi plusieurs lits en
assaisonnant chaque fois. Les amateurs d'ail peuvent parsemer chaque
couche d'un peu d'ail, mais très modérément, car il suffit d'un
soupçon de goût.
Versez dans le plat du lait entier et
de la crème, de telle façon que les rondelles de pommes de terre
baignent presque entièrement, c'est-à-dire que les dernières
rondelles doivent rester légèrement apparentes. On peut ajouter
quelques noisettes de beurre.
Mettez le plat au four assez chaud,
puis augmenter la chaleur jusqu'à ce que le liquide entre en
ébullition. Puis ralentissez un peu et laissez cuire pendant trois
quart d'heure environ, ou plus suivant la qualité de la pomme de
terre.
Surveillez de temps en temps, pour voir
si les pommes de terre n'ont pas trop absorbé le lait et la crème.
En ce cas, rajoutez-en. Il faut que le dessus ait pris une belle
couleur (le four ne doit pas être trop vif : sinon le dessus serait
calciné et les pommes du dessous ne seraient pas cuites à point).
Présentez dans le plat de terre qui a
servi à la cuisson, en sortant du four.
Surtout n'ajoutez pas d'œufs ni de
fromage. Sinon ce n'est plus le gratin dauphinois. Les œufs privent
le gratin du moelleux et de l'onctueux qui sont ses caractéristiques,
en y laissant des caillots qui en gâtent l'aspect et la finesse. Le
fromage enlève la délicate saveur du lait crémeux.
On peut varier la quantité de crème à
mélanger au lait. Agissez suivant votre goût. Certains ne mettent
que de la crème ; c'est un peu lourd pour des estomacs fragiles,
mais c'est exquis (à condition d'employer de la crème légère,
dite Fleurette).
Il va de soi que la qualité des pommes
de terre est d'une grande importance. Autrefois, on utilisait celles
à chair blanche, moyennes, farineuses, comme « Institut de Beauvais
». Il est préférable de choisir la bintje à chair jaune, qui est
moelleuse. On peut se reporter également sur la belle de Fontenay,
essteling, viola, arly. Les délicats vous diront qu'après la fin de
l'année, il faut utiliser d'autres variétés qui se conservent
mieux, ker pondy, par exemple. Il est certain que les pommes de terre
de montagne, venues en terre sablonneuse et jamais détrempée, sont
les meilleures pour le gratin, car elles sont fondantes. N'utilisez
jamais des pommes de terre nouvelles.
Comme l'a indiqué Maurice Champavier
avec la pointe d'exagération qui convient à un poète :
Un gratin cuit à point est le régal suprême !
En pays dauphinois, c'est un plat vénéré,
L'élément familial si souvent savouré,
Mets d'été, mets d'hiver et même de carême...
Certains gourmets agrémentent le
gratin dauphinois en y ajoutant, avant la fin de la cuisson, quelque
alouettes ou becfigues. Un autre poète grenoblois, Henri Second, a
même écrit un sonnet en l'honneur du « gratin aux becfigues »
et dans lequel il donne ces conseils :
De plus délicats encore vous diront qu'il ne faut pas disposer les oiseaux sur le gratin, mais les enfouir dedans après avoir soulevé partiellement les premières pommes de terre qui commencent à prendre couleur.
Le gratin cuit presque aux trois quarts,
En damier, sur lui, l'on dispose
Becfigues gras dont la chair rosé
Juste sous des bardes de lards.
Ce jus délicieux parfume
Votre gratin qu'un gourmet hume...
De plus délicats encore vous diront qu'il ne faut pas disposer les oiseaux sur le gratin, mais les enfouir dedans après avoir soulevé partiellement les premières pommes de terre qui commencent à prendre couleur.
Merci pour la recette et tous ces bons conseils.
RépondreSupprimerSylvain
Si vous ôtez, le lait et la crème et les remplacez par du bouillon obtenu en faisant cuire longuement, la veille, les abats d’un poulet de la Bresse (ailes, ergots, cou et tête dans de l’eau salée et aromatisée) vous obtenez un vrai gratin savoyard, le seul qui avait le droit de citer à la maison ! :)
RépondreSupprimerTextor