lundi 27 février 2012

Guide aux eaux minérales du département de l'Isère et aux Alpes dauphinoises., 1861

Le livre d'aujourd'hui présente un intérêt pour plusieurs raisons :
- c'est le premier guide complet sur les Alpes dauphinoises. Il contient en particulier une des premières descriptions de l'ascension de la Croix de Belledonne.
- c'est une impression de Louis Perrin, le célèbre imprimeur lyonnais connu pour la qualité de ses réalisations.
- il est illustré par un célèbre artiste dauphinois, Diodore Rahoult.



Les docteurs Hervier, Médecin à Uriage, et Saint-Lager
Guide aux eaux minérales du département de l'Isère et aux Alpes dauphinoises. Géologie et Flore. – Carte géographique et Vignettes. 
Lyon, Scheuring; Paris, Savy; Grenoble, Maisonville et Jourdan, 1861, in-8°, [2]-X-[2]-372 pp., vignette au titre, 5 vignettes dans le texte, 6 planches gravées hors texte, une carte dépliante hors texte in fine.


Et pourtant, curieusement, il est peu connu. Probablement parce qu'il arrivait trop tard. En effet, à peine paru, il sera vite dépassé par l'Itinéraire du Dauphiné, d'Adolphe Joanne, plus complet et plus précis. De plus, même si c'est une impression de Louis Perrin, elle est loin d'avoir la qualité de beaucoup de ses réalisations. On n'y trouve pas les caractères augustaux qui font la beauté de ses principales impressions. Enfin, alors même que Diodore Rahoult illustrait cet ouvrage, avec des dessins gravés par E. Dardelet, les mêmes artistes donnaient une des plus belles productions des illustrés dauphinoise, le Grenoblo Malhérou. Pour finir, et c'est peut-être cela qui explique le peu de succès de cet ouvrage, les auteurs ne sont pas dauphinois. Même s'ils chantent la beauté des paysages, ils ne peuvent s'empêcher de montrer un peu de réticence à admettre que les paysages du Dauphiné sont supérieurs à ceux de la Suisse et de la Savoie. Et cela, qui peut passer pour un péché véniel aux yeux de beaucoup, devient quasiment un péché mortel pour les Dauphinois, qui feront vite bon accueil à Adolphe Joanne ou aux découvreurs anglais (Tuckett, Bonney, Whymper et Coolidge) qui ne montreront pas tant de réticence : « nous croyons qu'un sentiment patriotique fort louable l'a conduit à une exagération évidente, lorsqu'il a comparé Chamrousse au Righi et a déclaré le panorama dauphinois supérieur à ceux de la Suisse. Nous avons souvent remarqué, dans plusieurs livres écrits à Grenoble, une semblable prétention. Nous pensons qu'il est plus sage de s'abstenir de comparaisons, toujours inexactes, et que, pour faire admirer le Dauphiné, il n'est pas nécessaire de rabaisser la Suisse, la Savoie et le Tyrol. »

Pour commencer, revenons rapidement sur les illustrateurs. Au même moment, Diodore Rahoult (1819-1874) et E. Dardelet étaient en train de publier en livraisons une belle édition du Grenoblo Malhérou, un poème de 1733 sur les inondations de Grenoble en patois dauphinois. Ce bel ouvrage, préfacé par Georges Sand, contient de fort belles gravures d'après des dessins de D. Rahoult. Cette planche en est un exemple.



On voit tout de suite que les gravures qui illustrent notre ouvrage du jour sont d'une qualité un peu inférieure, même si elles restent une belle production de nos deux compères. Voici les 4 gravures qu'ils ont produites en commun pour cet ouvrage.






Mais, surtout, ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage, c'est le guide des Alpes dauphinoises que nos deux docteurs ont jugé bon d'ajouter à leur description des stations thermales de l'Isère (Uriage, Allevard, La Motte) et de leurs vertus thérapeutiques. Ce guide, le premier dans son genre car  le premier à couvrir l'ensemble de la partie isèroise des Alpes dauphinoises (Bellledonne, Chartreuse, Vercors, Oisans), débute par un ensemble de conseils pratiques aux randonneurs. C'est une nouveauté pour la région.

Malheureusement, ce guide arrivait en même temps trop tôt et trop tard. Trop tôt car ils n'avaient pas encore pu (ou voulu) profiter des progrès de la cartographie. L'identification des sommets, leurs altitudes sont encore pleines de confusion. Cette simple description de la vue depuis le Lautaret nous convainc qu'ils ne connaissent pas encore le massif : « col du Lautaret (2,098 mètres), entouré de belles prairies et dominé au nord, par le Goléon (3,429 m.); au nord-est, par les Trois-Ellions (3,511 m.); à l'est, par le pic du Galibier; au sud, par le Grand-Pelvoux (3,937 mètres). » (p. 239). Les Trois-Ellions sont les Aiguilles d'Arve, que l'on ne voit pas du Lautaret, pas plus que l'on ne voit le Pelvoux, qui semble ici confondu avec la Meije, ni le Goléon. Soit ils ne sont pas allés eux-mêmes au Lautaret, soit ils se sont appuyés sur des descriptions anciennes et erronées. La carte qui illustre l'ouvrage est une preuve flagrante de cela. Ce détail qui montre la Meije (encore appelée Aiguille du Midi) et le Vénéon fera apparaître à tous ceux qui connaissent cette région, les approximations manifestes de la cartographie.


Ils ignoraient que la carte d'Etat-Major en cours de publication serait beaucoup plus précise, carte que connaissait pourtant bien Tuckett puisqu'il s'en fera donner des reproductions photographiques pour son exploration du massif en 1862.


Trop tard parce qu'en 1861, on ne parle plus des montagnes comme eux, c'est à dire avec des mots dignes de la grande époque d'une certaine vision romantique de la montagne (ces "monts affreux") :
« C'est ici que commence la montée nommée Rampe des Commères. On entre dans un ravin étroit et profond. A ce défilé succèdent les coteaux de la Rivoire et du Garcin, dominés par les collines verdoyantes du Travers. On traverse une première galerie, puis on aperçoit l'entrée d'un second tunnel nommé l'Infernet, qu'on a creusé dans le roc, au milieu d'un ravin sauvage et désolé. On ne peut se défendre d'un sentiment de terreur lorsqu'on jette les yeux dans le gouffre au fond duquel la Romanche se précipite avec un bruit formidable. » ou « A peu de distance du Dauphin commence la combe de Malaval, sombre et désolée. De distance en distance apparaît quelque verte oasis. »

Trop tard parce que lorsque ils parlent de La Grave, ils ne trouvent qu'à dire « Pendant un quart d'heure on gravit une rampe; puis, tout à coup, apparaît, assis pittoresquement sur un monticule isolé que domine le clocher de l'église, le village de la Grave (1,516 mètres), situé au pied de vastes glaciers qu'on aperçoit au midi. » (p. 238). Voilà leur vision de l'un des plus beaux sommets des Alpes : c'est comme si la Meije était invisible à leurs yeux. Seuls les glaciers attirent leur attention.

Ils écrivent et publient au moment même où la vision des Alpes dauphinoises est en train de basculer. Quelques années auparavant, avaient paru les deux livres sur l'Oisans, dont l'esprit est proche de celui de nos docteurs (cliquez-ici). Mais, dès 1860, dans la toute nouvelle revue Le Tour du Monde, Adolphe Joanne et Elisée Reclus donnent, pour la première fois, une description précise du massif. Au même moment, les touristes anglais (Tuckett, Bonney, puis Whymper) explorent le massif et donnent une vision précise des sommets de l'Oisans, totalement débarrassée de cette littérature romantique des années précédentes. Ce sont eux qui rendront à la Meije toute son importance dans les paysages vus depuis la Grave ou le Lautaret. Enfin, en 1863, Adolphe Joanne publie son Itinéraire du Dauphiné qui est la première description précise du massif de l'Oisans en français. Nos docteurs, qui voyaient venir cette époque, puisqu'ils le signalent dans leur ouvrage, sont maintenant dépassés.


Pour finir, signalons qu'il introduisent aussi des descriptions d'ascensions, dignes des futurs itinéraires des guides de randonnées ou d'alpinisme. Ce sont les ascensions de Belledone, la chaîne qui domine Grenoble que l'on voit sur cette gravure qui illustre l'ouvrage.


C'est une des premières descriptions de cette ascension. Ils donnent aussi les itinéraires d'ascensions au Taillefer, au Grand-Som ou à La Moucherotte.

Pour revenir à Louis Perrin, j'ai déjà eu l'occasion de parlé des son travail sur ce site. Je vous renvoie aux messages à ce sujet : cliquez-ici ou cliquez-là.

L'exemplaire est relié en maroquin rouge :


avec un monogramme doré poussé en queue (quelqu'un saura-t-il me l'identifier ?)



Pour une description complète de cet ouvrage, avec de nombreux extraits : cliquez-ici.


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