Dans mon message précédent, j'avais rapidement parlé de l'une de mes acquisitions récentes. Malgré le beau temps persistant sur Paris, j'ai pris le temps de décrire cet ouvrage.
En 1854, paraissent quasi-simultanément deux ouvrages qui se donnent pour objectif affiché de faire connaître l'Oisans aux touristes qui découvrent le Haut-Dauphiné. Le premier paru est un ouvrage du Briançonnais Aristide Albert :
Essai descriptif sur l'Oisans, suivi de Notices particulières sur la Faune, les Forêts, la Botanique et la Minéralogie, par MM. Bouteille, Viaud, Alb. Gras et J. Thevenet.
Grenoble, Maisonville, Imprimeur-Editeur, 1854, in-8°, [4]-204-XVIII pp.
Je l'avais décrit il y a quelques années maintenant. Vous pouvez-voir la notice en cliquant ici.
Quelques mois après paraît un ouvrage rédigé par un médecin de Bourg d'Oisans, le docteur Roussillon (1808-1895), dont la notice nécrologique affirme : "Son but constant fut de faire connaître l'Oisans." :
Guide du voyageur dans l'Oisans, tableau topographique, historique et statistique de cette contrée.
Grenoble, Imprimerie Maisonville, 1854, in-8°, VIII-159 pp., une carte dépliante hors-texte et 9 lithographies hors-texte.
Pour un description complète, cliquez-ici.
L'ouvrage est illustré de neuf lithographies dont certaines sont des reproductions et des contrefaçons des lithographies de l'Album Dauphiné paru presque 20 ans plus tôt. Pour la précision bibliographique, le titre annonce 8 lithographies et la couverture 9. C'est la couverture qui dit vrai.
C'est un ouvrage destiné à faire connaître l'Oisans aux Touristes, en leur faisant découvrir les richesses naturelles et les paysages de cette petite région qui est comme une porte d'entrée du massif des Ecrins.
Dès l'introduction, le docteur Roussillon donne le ton : "Le Dauphiné, qui peut s'appeler la Suisse française, possède aussi son Oberland" (p. 2). Le fil conducteur de l'ouvrage est donné. Il s'agit de faire connaître l'Oisans aux touristes, en leur démontrant qu'il n'a rien à envier aux beautés tant vantées de la Suisse, et en voulant "le venger d'un injuste oubli." Il remarque justement que l'Oisans n'a été jusqu'alors connu que pour ses richesses minéralogiques, botaniques et géologiques. Une seule phrase extraite de l'introduction donne le ton sur le sentiment de la haute montagne qui y est exprimé : "Les sommités se terminent en pics aériens, en pyramides superbes, en crêtes gigantesques formés de rocs arides ou recouverts de glace." Il ne sera malheureusement jamais plus précis et préfère ensuite vanter la richesse de la végétation des étages inférieurs. Il invite tout de même les touristes à visiter le pays, jusqu'à s'approcher des glaciers. Toujours lyrique, le docteur Roussillon termine : "C'est ainsi que la nature convie toutes les intelligences à venir admirer dans l'Oisans une de ses fêtes les plus splendides et les plus imposantes, qu'elle excite tous les cœurs à le glorifier sur ce théâtre particulier de sa grandeur et de sa bonté."
En effet, sa vision de la montagne reste souvent cantonnée aux vallées et aux premières pentes. Il partage avec ses devanciers de la découverte de la montagne la fascination pour les glaciers. Dans la partie consacrée à la vallée du Vénéon, un chapitre particuliers décrit les glaciers accessibles depuis la Bérarde, sans jamais même faire allusion aux sommets majeurs qui les entourent comme la Meije, les Ecrins ou Ailefroide, comme si ces sommets n'existaient pas. C'est dans ce chapitre qu'il présente le passage d'un col de haute montagne comme une aventure presque unique, au moment même où les premiers touristes anglais arrivaient dans l'Oisans pour explorer non plus les vallées, mais les sommets et les cols de haute montagne de la région. Sa vision de la montagne nous semble encore empreinte d'un sentiment déjà ancien, en passe d'être totalement dépassé par cette nouvelle approche de la montagne qu'apporte les premiers alpinistes avec eux. Même dans son vocabulaire, il reste marqué par des images directement issues des perceptions d'une montagne hostile qui avaient cours au XVIIIe siècle. Ces "Monts affreux...", tels que résumé par C.-E. Engel, on les trouve presque mot pour mot dans cette petite phrase de transition : "Dès qu'on y arrive [aux chalets de l'Alpe de Venosc], les yeux, encore fatigués des grandes horreurs de Saint-Christophe, trouvent à se reposer sur un magnifique bassin de verdure". Il n'est pas mieux exprimé que l'auteur goûte mieux la prairie alpine aux sommets et glaciers de l'Oisans. C'est tout le paradoxe de cet ouvrage qui arrive presque trop tard, alors qu'il voulait justement faire connaître cette région montagneuse. Mais, ce n'est plus la même montagne que veulent connaître ses contemporains. Il suffit de comparer ces lignes aux premiers textes et guides d'Adolphe Joanne (en 1860 dans le Tour du Monde ou en 1863, dans le premier guide Joanne de la région) pour voir que l'on vient de changer d'époque dans la vision de la montagne, en particulier lorsque on l'applique à l'Oisans. Pour finir et illustrer notre propos, il suffit de lire le chapitre consacré à la Grave. On y parle du village, des glaciers, de la pauvreté du pays, mais jamais de la Meije, comme si elle n'existait pas. Comme son lointain prédécesseur sur cette route, Colaud de la Salcette, la fascination pour les glaciers masque les sommets qui les surmontent. Colaud écrivait en 1784, le Dr Roussillon 70 ans plus tard !
Pour être complet, il parle une seule fois plus explicitement des sommets, lorsqu'il évoque la vue depuis le Galibier : "A cette hauteur, les sommités qui couvrent l'horizon ressemblent à de gigantesques fantômes, errant dans l'espace et rapprochant du spectateurs leurs fronts menaçants. On les regarde avec une sorte de complaisance mêlée d'effroi; on prend un secret plaisir à se trouver presque leur égal. Tout autour d'eux, une immensité silencieuse et terrible imprime à l'âme des émotions qu'il faut avoir senties pour les comprendre".
Ce court extrait donnera un aperçu du style de l'auteur. On y retrouve sa pensée fixe de comparer l'Oisans à la Suisse.
"Cet aspect général de la vallée d'Oisans n'a pas, il est vrai, le charme de certaines vallées suisses, mais il n'en a pas non plus la monotonie des couleurs. Là, ce sont des toiles brillantes qui n'expriment souvent qu'un seul sujet; ici, au contraire, c'est une succession de tableaux dont chacun contient tous les genres à la fois. Si le regard n'est pas toujours égayé, la pensée est continuellement excitée, l'imagination toujours satisfaite, par cet appareil de contrastes pompeux".
En lisant ces quelques mots, on comprend qu'Adophe Joanne, dans une critique sévère de l'ouvrage, note qu'on trouve des phrases inutiles et que le Dr Roussillon devrait visiter la Suisse avant de la comparer à l'Oisans.
Sans analyser longuement l'ouvrage d'Aristide Albert, on peut dire qu'ils sont semblables par le peu de place qu'ils consacrent chacun à la haute montagne, mais que les deux auteurs diffèrent par la vision qu'ils en donnent. Pour reprendre les termes popularisés par Claire-Eliane Engel, on peut dit qu'Aristide Albert, c'est "les monts sublimes" et le docteur Roussillon "les monts affreux". De ce point de vue, la sensibilité d'Aristide Albert est plus moderne que celle du docteur Roussillon, alors même que les deux hommes sont presque contemporains.
En 1854, paraissent quasi-simultanément deux ouvrages qui se donnent pour objectif affiché de faire connaître l'Oisans aux touristes qui découvrent le Haut-Dauphiné. Le premier paru est un ouvrage du Briançonnais Aristide Albert :
Essai descriptif sur l'Oisans, suivi de Notices particulières sur la Faune, les Forêts, la Botanique et la Minéralogie, par MM. Bouteille, Viaud, Alb. Gras et J. Thevenet.
Grenoble, Maisonville, Imprimeur-Editeur, 1854, in-8°, [4]-204-XVIII pp.
Je l'avais décrit il y a quelques années maintenant. Vous pouvez-voir la notice en cliquant ici.
Quelques mois après paraît un ouvrage rédigé par un médecin de Bourg d'Oisans, le docteur Roussillon (1808-1895), dont la notice nécrologique affirme : "Son but constant fut de faire connaître l'Oisans." :
Guide du voyageur dans l'Oisans, tableau topographique, historique et statistique de cette contrée.
Grenoble, Imprimerie Maisonville, 1854, in-8°, VIII-159 pp., une carte dépliante hors-texte et 9 lithographies hors-texte.
Pour un description complète, cliquez-ici.
L'ouvrage est illustré de neuf lithographies dont certaines sont des reproductions et des contrefaçons des lithographies de l'Album Dauphiné paru presque 20 ans plus tôt. Pour la précision bibliographique, le titre annonce 8 lithographies et la couverture 9. C'est la couverture qui dit vrai.
C'est un ouvrage destiné à faire connaître l'Oisans aux Touristes, en leur faisant découvrir les richesses naturelles et les paysages de cette petite région qui est comme une porte d'entrée du massif des Ecrins.
Dès l'introduction, le docteur Roussillon donne le ton : "Le Dauphiné, qui peut s'appeler la Suisse française, possède aussi son Oberland" (p. 2). Le fil conducteur de l'ouvrage est donné. Il s'agit de faire connaître l'Oisans aux touristes, en leur démontrant qu'il n'a rien à envier aux beautés tant vantées de la Suisse, et en voulant "le venger d'un injuste oubli." Il remarque justement que l'Oisans n'a été jusqu'alors connu que pour ses richesses minéralogiques, botaniques et géologiques. Une seule phrase extraite de l'introduction donne le ton sur le sentiment de la haute montagne qui y est exprimé : "Les sommités se terminent en pics aériens, en pyramides superbes, en crêtes gigantesques formés de rocs arides ou recouverts de glace." Il ne sera malheureusement jamais plus précis et préfère ensuite vanter la richesse de la végétation des étages inférieurs. Il invite tout de même les touristes à visiter le pays, jusqu'à s'approcher des glaciers. Toujours lyrique, le docteur Roussillon termine : "C'est ainsi que la nature convie toutes les intelligences à venir admirer dans l'Oisans une de ses fêtes les plus splendides et les plus imposantes, qu'elle excite tous les cœurs à le glorifier sur ce théâtre particulier de sa grandeur et de sa bonté."
En effet, sa vision de la montagne reste souvent cantonnée aux vallées et aux premières pentes. Il partage avec ses devanciers de la découverte de la montagne la fascination pour les glaciers. Dans la partie consacrée à la vallée du Vénéon, un chapitre particuliers décrit les glaciers accessibles depuis la Bérarde, sans jamais même faire allusion aux sommets majeurs qui les entourent comme la Meije, les Ecrins ou Ailefroide, comme si ces sommets n'existaient pas. C'est dans ce chapitre qu'il présente le passage d'un col de haute montagne comme une aventure presque unique, au moment même où les premiers touristes anglais arrivaient dans l'Oisans pour explorer non plus les vallées, mais les sommets et les cols de haute montagne de la région. Sa vision de la montagne nous semble encore empreinte d'un sentiment déjà ancien, en passe d'être totalement dépassé par cette nouvelle approche de la montagne qu'apporte les premiers alpinistes avec eux. Même dans son vocabulaire, il reste marqué par des images directement issues des perceptions d'une montagne hostile qui avaient cours au XVIIIe siècle. Ces "Monts affreux...", tels que résumé par C.-E. Engel, on les trouve presque mot pour mot dans cette petite phrase de transition : "Dès qu'on y arrive [aux chalets de l'Alpe de Venosc], les yeux, encore fatigués des grandes horreurs de Saint-Christophe, trouvent à se reposer sur un magnifique bassin de verdure". Il n'est pas mieux exprimé que l'auteur goûte mieux la prairie alpine aux sommets et glaciers de l'Oisans. C'est tout le paradoxe de cet ouvrage qui arrive presque trop tard, alors qu'il voulait justement faire connaître cette région montagneuse. Mais, ce n'est plus la même montagne que veulent connaître ses contemporains. Il suffit de comparer ces lignes aux premiers textes et guides d'Adolphe Joanne (en 1860 dans le Tour du Monde ou en 1863, dans le premier guide Joanne de la région) pour voir que l'on vient de changer d'époque dans la vision de la montagne, en particulier lorsque on l'applique à l'Oisans. Pour finir et illustrer notre propos, il suffit de lire le chapitre consacré à la Grave. On y parle du village, des glaciers, de la pauvreté du pays, mais jamais de la Meije, comme si elle n'existait pas. Comme son lointain prédécesseur sur cette route, Colaud de la Salcette, la fascination pour les glaciers masque les sommets qui les surmontent. Colaud écrivait en 1784, le Dr Roussillon 70 ans plus tard !
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