mercredi 4 avril 2018

Deux personnalités dauphinoises et un livre

De nombreux bibliophiles sont friands de reliures aux armes, comme cet ouvrage qui vient de rejoindre ma bibliothèque :




Ce sont les armes de Louis François Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788), arrière-petit-neveu du cardinal de Richelieu. Ce fut surtout un homme de guerre qui combattit lors de nombreuses campagnes entre 1733 et 1758, prenant notamment une part décisive à la victoire de Fontenoy (1745). Il fut élevé à la dignité de maréchal de France en 1748. Bien que sachant à peine l'orthographe, il fut élu à l'unanimité à l'Académie française le 25 novembre 1720. Il exerça une très grande influence au sein de l'Académie. Il fut également membre honoraire de l'Académie des Sciences. L’usage et les habitudes de son milieu lui imposèrent une bibliothèque, mais il ne lisait jamais.

Cette belle reliure (quoique fortement restaurée, comme peuvent le voir les yeux exercés) couvre un ouvrage en 2 tomes, reliés en un seul volume : Mémoires du Maréchal de Berwik, Duc et Pair de France, & Généralissime des Armées de Sa Majesté, paru à Amsterdam en 1741.



Mais ce n'est pas une telle provenance qui a attiré mon œil le jour où j'ai vu passer ce livre en vente. Ce sont ces deux petites notes sur un feuillet ajouté en tête de l'ouvrage :



Hautes-Alpes.
C’est à partir de la page 93 du tome II qu'il est question dans les Mémoires du Maréchal de Berwik du département des Hautes-Alpes comme théâtre de la guerre contre le duc de Savoye. Le quartier-général de l'armée commandée par Berwick était à Briançon.
Voir aussi ce qu'il est dit de Catinat dans cet ouvrage.
Donné par M. Aristide Albert à H. Duhamel le 10 8bre 1902. 
La première note est de la main d'Aristide Albert (1821-1903), célèbre érudit briançonnais qui a œuvré toute sa vie pour faire connaître sa "petite patrie". Sans être à proprement parler un bibliophile, il a collectionné les livres et s'est constitué une bibliothèque, qui a servi de noyau à la bibliothèque municipale de Briançon à qui il a fait don d'une partie de ses livres. Elle porte d'ailleurs son nom et son buste orne le petit square qui se trouve devant (cliquez-ici).


Aristide Albert s'est intéressé à cet ouvrage non pas pour les armes, mais tout simplement parce que le maréchal de Berwick s'est illustré dans les Hautes-Alpes pendant la guerre de succession d'Espagne, lors des campagnes des années 1709 à 1712. Il fait partie de ces hommes de guerre qui ont su reconnaître l'intérêt stratégique de Briançon dans le dispositif de défense de la frontière française contre les ambitions de son remuant voisin, le duc de Savoie. Une des casernes de Briançon portait d'ailleurs le nom de Berwick. Quant à A. Albert, toujours à l'affût de la moindre mention de Briançon, il ne pouvait pas passer à côté de cet ouvrage, même si, il faut l'avouer, les quelques allusions à Briançon disséminées dans le tome II entre les pages 93 et 161 ne nous apprennent guère de choses sur la région, ni même sur les campagnes de Berwick dans le Briançonnais.

Quelques mois avant sa mort, Aristide Albert a donné ce livre à une autre personnalité dauphinoise, qui a aussi beaucoup fait pour le Haut-Dauphiné, le célèbre Henry Duhamel. Pour en savoir plus, je lui ai consacré une page dans laquelle j'ai tenté de résumer sa riche vie : cliquez-ici. S'intéressant à l'histoire du Briançonnais, il était naturel qu'il s'intéresse à Berwick. Il a par exemple publié les mémoires de La Blottière sur la frontière du Haut-Dauphiné qui ont justement été écrits durant ces années de guerre. J'imagine que c'est l’intérêt commun d'Aristide Albert et d'Henry Duhamel pour ce sujet qui a conduit le premier à lui faire don de ce livre.


J'espère que l'on comprend mieux maintenant que posséder ce livre, qui a peut-être accompagné les conversations de ces deux personnalités si marquantes pour les Alpes dauphinoises, est important pour moi. C'est un peu le souvenir fugace de cet échange que j'ai entre les mains.