samedi 30 avril 2016

Peaks, Passes and Glaciers, 1859, un incunable de l'âge d'or de l'Alpinisme.

L'Alpine Club, premier club alpin au monde, a été créé en Angleterre en 1857. Très vite, il a paru nécessaire de rassembler les différents récits d'ascensions et d'excursions pour les mettre à disposition du public, au moment même où une réelle curiosité se faisait jour pour cette nouvelle activité à la croisée du loisir, de la recherche scientifique et d'une nouvelle appropriation du monde.

Il apparaissait aussi nécessaire de poser les base de l'Alpinisme, tel qu'il était en cours de définition par ces premiers alpinistes anglais. En publiant les récits d'ascensions, ils définissaient un nouveau genre et de nouvelles règles à la pratique de la montagne. C'est ainsi que s'est instituée la codification des premières, premières ascensions, puis, ensuite, premières par de nouvelles voies.

C'est dans cet esprit que John Ball rassembla 18 textes, bien illustrés et complétés de cartes et publia ce premier recueil : Peaks, Passes and Glaciers, en 1859. Si l'on me permet ce terme, c'est un incunable du livre de montagne, autrement dit un des ses ouvrages qui inaugure une longues série d'ouvrages dans la même veine. Il ouvre la voie.


Peaks, Passes, and Glaciers.A series of Excursions by Members of the Alpine Club. Edited by John Ball, M.R.I.A. F.L.S. Président of the Alpine Club.
London, Longman, Green, Longman, and Roberts, 1859, in-8°, XX-532 pp.

Pour l'histoire de l'alpinisme dans les Alpes dauphinoises et le massif des Écrins, ce premier recueil n'est guère indispensable. En effet, parmi les 17 récits d'excursions, 3 concernent le massif du Mont-Blanc, 12 les massifs Suisses et un l'Etna. Il n'y a rien pour les Alpes dauphinoises, piémontaises, les Pyrénées et, plus largement, la chaine des Alpes en Autriche, Italie, Slovénie, etc. Et je ne parle même pas des autres massifs montagneux du monde. Il contient un dernier chapitre qui rassemble des conseils aux voyageurs dans les Alpes, les alpinistes : Suggestions for Alpine travellers, par John Ball. C'est probablement le premier "manuel" d'alpinisme, si on peut utiliser ce terme pour ces quelques pages. Cela inclut aussi des conseils pour les mesures scientifiques d'altitudes, de distances et d'angles. Se termine par quelques notions de glaciologie et de géologie.

Ce premier volume se termine par :  APPENDIX. Table of the Heights of the chief Mountains in the Chain of the Alps, including all above 12,000 English feet. (pp. 513-520). Dans le texte liminaire, il justifie l'absence de sommets des Alpes dauphinoises et des Alpes piémontaies, par la faiblesse et la discordances des sources : « In regard to the Alps of Dauphiné, and part of those of Savoy and Piedmont, the compiler has been unable to procure some recent publications, which would have helped to complete the list ; and even in the districts that have been carefully surveyed by competent persons, there are ambiguities arising from the different results obtained by different observers, from the confusion of names that frequently arises in the unfrequented parts of the Alps, and from errors with which there is reason to believe that particular observations have been affected. » 
Cela en dit plus sur la mauvaise diffusion de l'information, que sur sa qualité. Pour les Alpes dauphinoises, les mesures d'altitudes des principaux sommets, avec  leurs coordonnées géodésiques, ont été publiées dès 1832.

Il faut attendre la deuxième série des Peaks, Passes and Glaciers publié en 1862 pour qu'enfin le Dauphiné soit l'objet de l'attention de quelques membres de l'Alpine Club : Mathews, Tuckett, Whymper, etc. J'en ai déjà parlé ici : Peaks, Passes and Glaciers, 1862 : un incunable de l'âge d'or de l'alpinisme.

Ce qui a fait aussi l'intérêt immédiat de cet ouvrage est la qualité des illustrations. La page de titre est illustrée d'une grande vignette gravée. Dans le corps de l'ouvrage, on trouve 9 cartes dépliantes hors texte, 8 planches chromolithographiques hors texte dont une en frontispice et 28 gravures dans le texte (seulement 24 sont référencées dans la table). J'ai extrait cette chromolitographie (The Finsteraar Horn , from the South-east) et cette carte (The Mont Blanc Range) à titre d'exemple.




Enfin, dernier charme de cet exemplaire, sa reliure :


et sa provenance :


Cet exemplaire a appartenu à Charles John Vaughan (1816-1897), homme d'église anglais, "headmaster" de Harrow School, élu en 1845. Il dut démissionner en 1859, suite à une affaire de mœurs (soupçon d'homosexualité). L'ex-libris reprend les armes du collège Harrow, avec, en pied, le nom du propriétaire : "Carolus Joannes Vaughan S.T.P, Schol. Harrow Magister". Il s'agit probablement d'un exemplaire de présent du collège à un de ses professeurs. L'emblème du collège (2 flèches qui se croisent en sens inverse, liées par un ruban) est placé en tête de l'ex-libris Il est repris en fleuron doré au centre de 3 caissons du dos et aux 4 coins des 2 plats. 


Pour aller plus loin, la page que je consacre à et ouvrage : cliquez-ici.

dimanche 17 avril 2016

Tête de collection des Bulletins de la Société de Statistique des Sciences naturelles et des Arts industriels du département de l'Isère

Dans les années 1830, au moment où une nouvelle bourgeoisie s'installe en France et, pour ce qui nous intéresse, à Grenoble, le besoin se fait de plus en plus criant d'échanger, de partager les découvertes, les innovations, les recherches, les projets, etc. Dans ce foisonnement à la croisée de la recherche scientifique et de l'innovation industrielle, le tout sur fond d'une nouvelle impulsion des affaires, ce sont quelques uns des représentants de cette bourgeoisie qui se rassemblent, avec la bienveillante attention des autorités, pour créer la Société de Statistique des Sciences naturelles et des Arts industriels du département de l'Isère. En juin 1838, ils se retrouvent et définissent les objectifs de la société :
Une société ayant pour but spécial l'étude de la statistique et des sciences utiles manquait au département de l'Isère. [...] C'est afin d'atteindre ce but que quelques citoyens de Grenoble, à la tête desquels s'est placé M. Pellenc, préfet de l'Isère, se sont réunis et ont fondé une société qui doit s'occuper principalement de statistique, c'est-à-dire de tous les faits et de toutes les connaissances scientifiques ou littéraires intéressant le département.


Elle se distingue de l'Académie delphinale, qui venait d'être réactivée en 1836, en donnant plus de place aux sciences naturelles et aux études statistiques. La présence de l'histoire, souvent prépondérante dans ces sociétés savantes, est moindre, surtout si on excepte les nombreuses études de J.-J-A. Pilot sur l'histoire municipale de Grenoble. Il est aussi probable qu'elle se distingue pas sa composition, moins littéraire et juridique, moins aristocratique et "oisive", mais plus représentative de la bourgeoisie montante, mélange de représentants du système éducatif d'excellence de l'époque (ingénieurs, polytechniciens, médecins, universitaires), de représentants des affaires et de l'industrie et des administrateurs. Il y a cependant quelques personnalités comme Scipion Gras, Jules Ollivier, Crozet qui se retrouvent dans les 2 sociétés. De même, les ecclésiastiques étaient moins nombreux dans cette société, alors que l'on note la présence discrète de quelques francs-maçons.

Dès sa création, la Société publie un Bulletin. Ce que je présente aujourd'hui est la tête de collection des Bulletins de la Société de Statistique des Sciences naturelles et des Arts industriels du département de l'Isère, comprenant 7 volumes : 1re série (4 volumes : 1838, 1841, 1843 et 1846) et début de la 2e série (3 volumes : 1851, 1854 et 1856)

Page de titre du 1er tome de la 1ère série.

 Page de titre du 1er tome de la 2ème série.

Parmi les quelques texte intéressants de ces premiers volumes, je relève :
Notice sur les restes de la voie romaine de l'Oisans, par Scipion Gras.
La republication de Observations de météorologie et de botanique sur quelques montagnes du Dauphiné, par Dominique Villars.
Table des hauteurs au-dessus du niveau de la mer de divers lieux situés dans le département de l'Isère ou sur ses frontières.
Note statistique sur les eaux minérales du département des Hautes-Alpes, par Scipon Gras 
Notice historique sur Villars, par M. le docteur Albin Gras.
Recherches sur l'histoire municipale de Grenoble, par J.-J.-A. Pilot.
Notice biographique des ouvrages de D. Villars, par H. Gariel.
Essai historique et statistique sur l'Oisans, par M. Roussillon, docteur-médecin au Bourg d'Oisans.
Nicolai Chorerii Viennensis J. C. Adversariorum de vita et rebus suis libri III, publié par Hyacinthe Gariel.
Positions géographiques et hauteurs absolues des principaux points de la nouvelle carte de France.

Pour une description plus complète : cliquez-ici.

Au gré de la lecture de ces volumes pour préparer cette notice, j'ai relevé ces deux passages, probablement assez illustratifs de l'esprit de cette bourgeoise cultivée et industrieuse de Grenoble.

Dans une Notice sur quelques branches d'industrie du canton de La Mure, lue par M. Guillot, aîné lors de la  séance du 49 juin 1840, à propos des ouvriers qui fabriquent des clous :
D'après les renseignements que nous nous sommes procurés, la journée d'un ouvrier en moyenne ne s'élève pas au delà d'un franc vingt-cinq centimes ; ce salaire, bien que modique, pourrait suffire à la nourriture et à l'entretien des ouvriers s'ils étaient plus économes ; les plus habiles pourraient même faire quelques petites économies ; mais une grande partie du fruit de leur travail est absorbée par les dépenses de cabaret, que malheureusement les ouvriers de la Motte, dont le nombre dépasse trois cents , ont la facilité de payer avec des clous. C'est une monnaie de billon qui a cours depuis longtemps dans les communes de la Motte-Saint-Martin et de la Motte-d'Aveillans; les cabaretiers qui la reçoivent sont assurés de trouver à la Mure un agent de change dans chaque marchand de clous.
(Tome I, 1838, p. 395)

Une discussion s'engage après la lecture d'une Notice sur un fœtus monstrueux, présentée par le Dr Charvet lors de la séance du 27 janvier 1843 :
Un membre fait observer que [les monstruosités] sont particulièrement fréquentes chez les individus du sexe féminin, et que ce fait s'applique [sic, probablement pour s'explique] naturellement par la théorie des arrêts. D'après cette théorie, les êtres femelles aussi bien que les individus monstrueux étant produits par des espèces d'arrêts survenus dans le développement de l'organisation, les circonstances qui donnent lieu à la naissance des uns doivent être favorables à la formation des autres.
(Tome III, 1843, pp. 11-12).
Ces deux exemples ne doivent pas nous faire oublier l'intérêt de la lecture de ces textes. On y voit des sciences et des techniques qui se découvrent, qui se cherchent. On y voir le foisonnement des initiatives, des idées, des projets, etc. Certes, beaucoup des mémoires publiés sont obsolètes, dépassés depuis très longtemps par d'autres recherches, d'autres études, d'autres découvertes. Mais on y lit une foi en l'avenir, en la puissance de la pensée et de l'intelligence, alliées à la volonté d'agir et de faire, souvent au service de la société et de la collectivité.

Cette photo de Scipion Gras, un des fondateurs de la société, n'est-elle pas une belle illustration de ces personnalités assemblées pour discuter doctement sur tous ces sujets.


dimanche 10 avril 2016

Une belle vente de livres de montagne : Une bibliothèque sur les Alpes

Les ventes aux enchères de livre de montagne sont rares. Probablement parce que les belles bibliothèques sont relativement rares, en particulier en regard d'autres spécialisations. Cela rend d'autant plus intéressante la vente de la bibliothèque de Pierre Vallez des 22 et 23 avril.

Pour découvrir la vente, le lien vers les deux catalogues (Alde) : vente du 22 avril et vente du 23 avril.

Il n'échappera pas au lecteur attentif que cette bibliothèque est quasiment uniquement consacrée au Mont-Blanc et sa région (en particulier Saint-Gervais). Autant que je puisse en juger (je connais moins bien la bibliographie de ce massif), elle contient quelques belles raretés. En revanche, nos Alpes dauphinoises sont bien peu représentées.

Une sélection d'images :