dimanche 27 février 2011

A travers les ventes, évocations dauphinoises

Cette semaine, la lecture de la Gazette de Drouot a été évocatrice. Pourquoi évocatrice ? Parce qu'à défaut d'y trouver des ventes intéressant directement le bibliophile dauphinois, j'y ai trouvé trois occasions d'évoquer le Dauphiné ou la montagne. Je vous fais part de mes "correspondances" dauphinoises.

J'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog des libraires briançonnais qui ont essaimé dans toute l'Europe du sud au XVIIIe siècle. La lecture du catalogue d'une vente de livres à Gênes (21 mars, voir catalogue : cliquez-ici) est l'occasion de découvrir de nombreux ouvrages publiés par les libraires Gravier de Gênes aux XVIIIe et XIXe siècles.

En quelques mots, l'histoire de ces libraires Gravier. Dans le deuxième moitié du XVIIIe siècle, Yves Gravier de Villeneuve-la-Salle, près de Briançon, est installé comme libraire à Gênes. Il est associé à Louis Fantin. Celui-ci quitte Gênes en 1796 pour s'installer à Paris. Il est alors remplacé par Simon Gravier, qui, aussi originaire de Villeneuve-la-Salle, né en 1769, était allé rejoindre son oncle Thomas Gravier, libraire à Rome associé avec Bouchard. Ce Simon Gravier avait publié à ses frais en 1794 l'ouvrage contre-révolutionnaire Mémoires pour servir à l'histoire de la Persécution française, de l'abbé Pierre Hesmivy d'Auribeau, écrit à la demande du pape Pie VI. Vers 1796, à l'arrivée des troupes françaises, Simon Gravier dut fuir "car son arrestation avait été décidée. Il quitta Rome et se réfugia à Gênes où l'un de ses parents, Yves Gravier, possédait une importante librairie". (voir ici et ici, dans des notices consacrées à Louis Fantin).

Cette vente contient pas moins de 9 ouvrages édités par Gravier à Gênes entre dont un très bel ouvrage : Giorgio Bonelli, Niccolò Martelli :
Hortus Romanus iuxta systema tournefortianum,Paulo Strictius distributus a Georgio Bonelli monregalensi in subalpinis, publico medicinaeprofessore: specierum nomina suppeditante, praestantiorum, quas ipse selegit, adum- brationem dirigente Liberato Sabbati maevaniensi in Umbria chirurgiae professore, et horti custode; adjectis unicuique volumini rariorum plantarum.Tabulis C. aere incisis.
Roma, Sumptibus Bouchard et Gravier (ex typographia Pauli Junchi), Roma 1772-1780, (6 volumi di 8)


Les 8 autres titres sont souvent des guides de la région de Gênes, en italien ou en français, dont :
- Description des beautés de Gênes et de ses environs ornée de différentes vues et de la Carte Topographique de la Ville, A Gênes, Gravier,1773.
- J. Chaffrion :
Carta topografica degli stati della Repubblica di Genova, Edizione curata da Y. Gravier, Genova 1784
Les plus anciens sont des années 1760 et les plus récents des années 1830.

Ensuite, mon œil a été attiré par une plaque de cheminée :

Le nom de Hache est bien connu à Grenoble. Il est aussi familier aux amateurs de meubles anciens, car il s'agit d'une célèbre dynastie d'ébénistes du XVIIIe siècle à Grenoble (voir notice Wikipedia et ce message qui permettra de voir quelques réalisation de la famille Hache : ici)

Thomas Hache-Dumirail (vers 1743- Grenoble 9 janvier 1819), conservateur des hypothèques, est le frère de
Jean-François Hache, dit l'ainé (10 janvier 1730 - 19 août 1796), le plus célèbre ébéniste de la dynastie.


Pour en revenir aux livres, puisqu'il faut revenir à notre point de départ, leur mère Marguerite Blanc, épouse Pierre Hache, est la fille d'un très célèbre poète "patoisant" grenoblois, Blanc-la-Goutte, auteur du Grenoblo Malherou (voir ici) :



Enfin, une très belle vente de photographies anciennes (Tajan, 4 mars) met en valeur les travaux des célèbres frères Bisson, Louis-Auguste (1814-1876) et Auguste-Rosalie (1826-1900), en particulier cette magnifique vue du Mont-Blanc.


Elle propose aussi une photo de Pont-en-Royans par Baldus qui est mise en regard de la lithographie de Sabatier, extraite des
Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France. Dauphiné, du baron Taylor, publié en 1854. Et voilà comment on arrive encore à revenir aux livres !


samedi 19 février 2011

Le Dauphiné en 1698 ou l'érudit "notes de bas de page"

Cela faisait longtemps que je voulais lire ce "Dauphiné en 1698" d'après un mémoire de l'intendant du Dauphiné Bouchu. J'aime beaucoup ces mémoires anciens qui nous font découvrir la vision de nos régions par ces ancêtres de nos fonctionnaires. J'englobe dans ce même intérêt les mémoires des militaires sur la frontière des Alpes ou ceux des premiers naturalistes qui ont parcouru nos régions. Ce mémoire de 1698 est l'ancêtre de ces "statistiques" qui se sont multipliés après la Révolution, au moment même où un état centralisateur souhaitait mieux connaître son territoire. J'espérais donc trouver quelques faits intéressants ou vues nouvelles. Lorsque j'ai eu l'occasion d'acheter un bel exemplaire de :
Le Dauphiné en 1698 suivant le mémoire de l'intendant Bouchu sur la généralité de Grenoble. Notes, dissertations & commentaires, par J. Brun-Durand, Lyon et Grenoble, 1874
je me suis empressé de l'acheter :



Las ! De mémoire, il n'y en a fort peu dans cet ouvrage. Il est littéralement noyé sous les notes du sympathique érudit Justin Brun-Durand qui l'a publié en 1874. Dans l'avertissement, il reconnaît lui-même qu'il a donné aux notes "une très grande étendue" au point d'arriver à "une interversion et un renversement" où "l'accessoire dépasse et de beaucoup le principal, c'est-à-dire le texte, qui ne semble être là que pour motiver une longue suite de dissertations et de commentaire sur tout ce qui touche à notre ancien Dauphiné." Il se réfugie derrière l'autorité de Bayle, entre autres, pour justifier cette situation paradoxale.

Certes, ces notes sont intéressantes, mais elles cachent mal l'indigence du mémoire en question, qui n'était là que comme un prétexte à un étalage d'érudition pointilleuse. Ces deux images de quelques pages donneront une idée de l'étendue des notes. Dans la première, c'est à peine si l'on distingue le texte du mémoire.


C'est pour cela que je l'ai qualifié d'érudit "notes de bas de pages", mais j'aurais dû l'appeler l'érudit des notes de pleine page.

Pour ceux qui sont arrivés jusque là, vous vous direz que je regrette mon achat. Que nenni ! En effet, au milieu de ce dédale de notes, j'y ai trouvé des faits intéressants (le bibliophile dauphinois fait son miel de tout). La note de bas de page sur les merveilles du Dauphiné (elle s'étend sur 4 pages !) est pleine d'informations utiles. J'ai aussi trouvé dans cet ouvrage un beau témoignage de cette érudition très XIXe où des amateurs pouvaient ainsi publier leur production pleine de détails érudits, à défaut d'offrir de nouvelles perspectives sur l'histoire de la région. Reconnaissons que dans le cas de Justin Brun-Durand, cette érudition nous permet aujourd'hui d'avoir un
Dictionnaire biographique de la Drôme, qui est une source d'informations indispensables sur la région. L'érudition besogneuse a parfois du bon.

Pour plus d'informations sur l'ouvrage : cliquez-ici.

Ce portrait nous montre Justin Brun-Durand, croqué par le peintre Ageron. Né à Crest (Drôme) en 1836 et mort en 1910, commerçant et juge de paix, il occupait ses loisirs en publiant de nombreux travaux historiques sur le Dauphiné et plus particulièrement sur la Drôme. Son travail de référence est le
Dictionnaire biographique de la Drôme, paru en 2 volumes à la Librairie Dauphinoise de Grenoble en 1900 et 1901.


Dans la notice biographique qui accompagne ce portrait, l'auteur anonyme nous apprend qu'il faisait partie du Comité des travaux historiques et scientifiques, du Ministère de l'Instruction et concluait : "Ce n'est pas trop mal, on en conviendra, pour un ancien marchand de calicot." Je vous laisse interpréter cette dernière remarque.

Glane

Dans un message après la vente du Docteur Blanc en décembre (voir ici), je racontais comment j'avais enfin pu acquérir un ouvrage qui m'était passé "sous le nez" quelques années auparavant. Je vous renvoie vers ce message où Yves Ballu raconte la même chose, pour cette même vente, à propose d'un livre sur le Mont Blanc (admirez les reproductions !). La seule différence est qu'il a dû attendre 35 ans au lieu de 6 comme dans mon cas : cliquez-ici.

dimanche 13 février 2011

Deux impressions anciennes de la charte de franchise du Briançonnais, en 1641 et 1788

Peu de temps avant la cession (le "Transport") du Dauphiné à la France, le dernier Dauphin Humbert II accorda une charte de libertés et franchises aux habitants du Briançonnais, dans une transaction datée du 29 mai 1343. Cette charte reconnaissait les libertés et privilèges du Briançonnais. Elle donnera naissance à l'institution très particulière des Escartons. L'égalité du statut où tous les habitants étaient francs-bourgeois et égaux devant le Dauphin, l'autonomie du Briançonnais dans sa gestion, en particulier pour la répartition de l'impôt, ont souvent conduit à considérer cette région comme une petite république montagnarde. Ce statut privilégié a souvent fait l'objet d'empiétements par les pouvoirs successifs, malgré la confirmation et la ratification de cette charte à chaque changement de roi.

C'est ainsi qu'un arrêt du 19 novembre 1640, instituant une taxe de 50 livres par feu amena les Briançonnais à députer deux des leurs, Claude de Pons et Jean-Étienne Rossignol, à Paris pour défendre leurs privilèges auprès du roi Louis XIII et du cardinale Richelieu. Pour mieux appuyer leur requête, ils font imprimer pour la première fois cette charte, avec de nombreux documents annexes et une supplique à Richelieu. C'est ce rare recueil imprimé à Paris en 1641 que je présente aujourd'hui.


Il contient 72 feuillets, avec une pagination irrégulière, voire fantaisiste, donnant le sentiment d'un recueil composite, dans lequel auraient été insérés des documents avec leur propre pagination. Cet exemplaire est probablement complet, du moins il contient les principaux documents, mais il est pour cela difficile de le comparer aux rares exemplaires décrits dans les bibliothèques publiques de France (6 au CCFR, dont un à la BNF et 2 à la BMG).


Le titre est orné d'un beau blason du Dauphiné.

Pour plus d'informations : cliquez-ici.

Deux autres éditions en seront données à Grenoble en 1644 et 1645. Près de 150 plus tard, une nouvelle édition est donnée à Embrun en 1780.

En 1788, sentant venir l’œuvre égalisatrice de la Révolution, qui devait tendre à faire disparaître toutes ces institutions particulières, les représentants du Briançonnais donnent une nouvelle édition à Grenoble. C'est cet autre recueil que je présente ici.


L'effort aura été vain. Cette institution si représentative de l'esprit libre des Alpins disparaîtra lors de la nuit du 4 août et la mise en place des nouvelles institutions.

Changement des temps, il contient aussi une traduction en français de cette charte si importante ainsi qu'un
Glossaire de mots latins difficiles à traduire, c'est à dire les mots ayant un sens régional ou concernant des droits particuliers du Dauphiné.

Enfin, ce sont maintenant les armes de Briançon qui ornent le titre.


Ce recueil est encore plus rare car il n'existe qu'un seul exemplaire au CCFr (à la BMG). Pour plus d'informations : cliquez-ici.