lundi 29 juin 2009

Histoire du Chevalier Bayard, suivie d'une rareté dauphinoise du Salon de Saint-Sulpice

Ce petit ouvrage, l'Histoire du Chevalier Bayard, acheté au salon du livre ancien du Grand-Palais s'est trouvé être une source inépuisable de recherches, d'ouvertures sur des perspectives différentes.


D'abord le titre :
Histoire du Chevalier Bayard, et de plusieurs choses mémorables advenuës sous le Regne de Charles VIII. Louis XII. & François I. Avec son supplément par Mre Claude Expilly, Président au Parlement de Dauphiné. Et les Annotations de Theodore Godefroy, augmentées par Louis Videl. Nouvelle édition.

Comme par strates archéologiques, on part d'un texte de 1527, publié à Paris, une des premières vies du Chevalier Bayard par le "Loyal Serviteur". Aujourd'hui, ce "Loyal Serviteur" est identifié comme étant Jacques de Mailles, archer dans les compagnies de Bayard et futur notaire. Ensuite, Théodore Godefroy (1580-1649), historiographe de France d'origine genevoise et protestante. Il a modernisé le texte lorsque il l'a fait paraitre en 1616 et 1619, toujours à Paris. Ce fameux personnage dauphinois n'avait pas encore été honoré par les livres dans sa région. Il faut attendre Jean Nicolas, qui donne cette édition en 1650, pour lui rendre hommage, en complétant la réédition du texte établi par Théodore Godefroy, par les commentaires de Claude Expilly (1561-1636), magistrat et poète dauphinois. Enfin, Louis Videl, le biographe de Lesdiguières, y a apporté sa touche par quelques annotations. Certains ont pensé qu'il n'avait été que le prête-nom de Denis de Salvaing de Boissieu, président de la cour des Comptes de Dauphiné, qui voulait profiter de cette édition pour mettre faire passer ces "rêveries" sur ses "illustres" ancêtres.

Voilà en quelques pages, beaucoup de beau monde dauphinois invité à participer à cette édition !

Pour finir, Jean Nicolas, le libraire-éditeur, n'est pas un inconnu. Deuxième du nom dans cette dynastie de libraires grenoblois actifs de 1608 à 1682, circonstance extraordinaire, ses registres de libraire ont été conservés et ont fait l'objet d'une étude magistrale par Henri-Jean Martin et Martine Lecoq :
Livres et lecteurs à Grenoble. Les registres du libraire Nicolas (1645-1668)


On y trouve une liste de libraires et de clients qui ont acheté cet ouvrage. Il semble avoir été assez largement diffusé par Jean Nicolas. Les ventes aux libraires courent de fin 1649 à 1661. Elles concernent près de 550 exemplaires, vendus essentiellement à des libraires de Lyon et Paris, mais aussi de Genève, Avignon et Grenoble (Philippe Charvys). Pour les particuliers, les vente vont de 1649 à 1659, pour un total de 34 clients et 35 exemplaires. Le prix habituel était de une livre. On trouve quelques prix inférieurs (16 sous) ou supérieurs (1 livre 10 sous). Il y aurait beaucoup a dire sur la diffusion du livre au XVIIe siècle par un libraire de province.

Enfin, pour compléter, la reliure est signée de François Koehler, relieur parisien, élève de Thouvenin, qui a exercé de 1834 à 1849.


La morale de l'histoire : pour qui sait partir à la recherche des informations, un simple ouvrage est une ouverture extraordinaire sur notre histoire et sur la librairie ancienne.

J'en ai profité pour mettre à jour la notice consacrée à une des premières éditions modernes du texte du "Loyal Serviteur", reproduit fidèlement par Joseph Roman en 1879 sous l'égide de la
Société d'Histoire de France :
La très joyeuse, plaisante et récréative histoire du gentil seigneur de Bayart, composée par le Loyal Serviteur, publiée pour la Société d'Histoire de France



Toutes ces recherches ne m'ont pas détourné du Salon de Saint-Sulpice qui se tenait ce week-end. Je présentai hier quelques ouvrages bien reliés, mais récents. La découverte de ce salon est un recueil d'eaux-fortes sur le Dauphiné, par J. Moallard, paru en 1861 chez Cadart à Paris. Reproduction de la page de titre gravée et d'une représentation d'une chasse dans les Alpes.


On pourra noter le côté déjà archaïque de la représentation de la montagne en 1861, alors que l'on voyait déjà des représentations réalistes de la montagne. Cette vision romantique et irréelle est la seule dans l'ouvrage, puisque on peut voir par ailleurs un vrai talent de dessinateur, déjà réaliste.

On touche du doigt que la montagne, même en 1861, restait empreinte d'une aura romantique.

Cet ouvrage est aussi l'occasion de lancer une de ces recherches comme je les aime : qui était J. Mollard ? D'où vient cet ouvrage? Grâce à l'ouvrage récent de Yves Deshairs et Maurice Wantellet :
Dictionnaire des peintres, sculpteurs et graveurs du Dauphiné, Editions Alzieu, 2008, je l'ai identifié comme Joseph Gabriel Hippolyte Mollard, élève de Henri Blanc-Fontaine, mort à Grenoble en 1888. En creusant, on trouve un Joseph Gabriel Hippolyte Mollard dans le corps diplomatique, officier de la Légion d'Honneur, né à Grenoble en 1833. S'agit-il du même ? Très probablement. Mais quel est le destin de cet artiste diplomate. Cela reste à déterminer. Dans tous les cas, cet ouvrages est très rare puisque on ne le trouve dans aucune bibliothèque française, même pas à la Bibliothèque Municipale de Grenoble, ce qui est particulièrement inhabituel pour un ouvrage dauphinois. La seule mention que j'en ai trouvée est qu'un exemplaire a été vendu dans la vente Perrin en 1902. L'enquête continue !

Pour conclure, je vous rappelle mon message d'hier sur la Bibliophilothérapie !

dimanche 28 juin 2009

Message du dimanche soir

Pour ceux qui sont habitués à mon message du dimanche soir, ils devront attendre lundi. Je n'ai pas préparé un message suffisamment conséquent pour alimenter votre curiosité. Pour ne pas vous laisser sur votre faim, je vous présente quelques ouvrages que j'ai achetés au Salon de Saint-Sulpice (c'est infernal, les salons se succèdent, on ne sait plus où donner de la tête !)


J'ai aussi décrit un nouvel ouvrage, une acquisition du Salon du Grand-Palais dont j'ai parlé la semaine dernière. Je vous en parlerai plus longuement demain, mais vous pouvez aller voir la page que je lui consacre :
Histoire du Chevalier Bayard

Pour finir, au hasard de mes flâneries dans la blogosphère, je suis tombé sur ce message sur le site de Christophe André :
Se soigner par les livres, sur la Bibliothérapie. Je me suis ensuite demandé s'il existait la Bibliophilothérapie, soit l'art de soigner ses troubles psychologiques, ou plus modestement, ses états d'âme ou son mal de vivre par la bibliophilie. Je suis enclin à le penser. Dans tous les cas, comme dans tout bibliophile se cache un lecteur, vous serez peut-être intéressé par la démarche de Pierre-André Bonnet. Pour les bibliophiles d'ouvrages contemporains, ils se demanderont s'ils ont bien lu. Non, il ne s'agit pas de Pierre-André Benoit, célèbre éditeur, mais on en est pas bien loin !

dimanche 21 juin 2009

Centième message : le salon du livre ancien du Grand-Palais

Ce week-end, à Paris, se tenait le grand rendez-vous de la bibliophilie de qualité : la Salon du Livre ancien du Grand-Palais.

Ma première acquisition :
Histoire du Chevalier Bayard, et de plusieurs choses mémorables advenuës sous le Regne de Charles VIII. Louis XII. & François I. Avec son supplément par Mre Claude Expilly, Président au Parlement de Dauphiné. Et les Annotations de Théodore Godefroy, augmentées par Louis Videl.
Grenoble, Jean Nicolas, 1650. 2 parties en un volume.

Il s'agit d'un bel exemplaire dans une reliure en veau blond de Koehler.

Je n'ai pas encore eu le temps de trop chercher, mais il s'agit probablement de François Koehler, un élève de Thouvenin, qui a été actif dans le deuxième quart du XIXe siècle à Paris. Si quelqu'un en sait plus, je suis intéressé.

J'ai acheté cet ouvrage pas tant pour l'histoire de Bayard, mais parce qu'il s'agit d'une édition de Jean Nicolas, un libraire-éditeur de Grenoble du XVIIe dont j'ai déjà eu l'occasion de parler et pour lequel j'ai un intérêt tout particulier. Ensuite, Louis Videl, autre personnalité à laquelle je me suis intéressé, a donné son nom pour couvrir les "augmentations" qui sont en réalité de Salvaing de Boissieu qui a profité de cet ouvrage pour, une fois de plus, glorifier indument ses ancêtres. Le "marketing" et la désinformation ne sont pas d'aujourd'hui !

Autre acquisition:
Principes de la fortification antique, publié en 1888 par Albert de Rochas d'Aiglun.



Vous me direz, quel rapport avec votre Dauphiné, vos Hautes-Alpes ou encore vos montagnes ? Toute simplement, derrière son aspect modeste, cet exemplaire est celui d'Albert de Rochas d'Aiglun, encore une personnalité dauphinoise et même haut-alpine, pour laquelle j'ai une sympathie toute particulière. De plus, l'exemplaire est truffé de nombreuses lettres manuscrites, dont une lettre de l'helléniste Emile-Louis Burnouf.

Toujours à propos du Salon, je profite de l'occasion pour saluer l'initiative d'Anne Lamort, libraire parisienne, qui distribuait gratuitement une petite plaquette :
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur La Bibliophilie sans jamais avoir osé le demander, qui, en mots simples, donne les principes de bases de la bibliophilie, avec la volonté affichée de démythifier, sans galvauder, en donnant les quelques clefs d'entrée pour les néophytes. Après, à chacun de trouver sa voie dans cet univers extraordinaire !


Ce salon a été aussi l'occasion de recevoir la
La Nouvelle Revue des Livres Anciens, excellent travail mené par Hugues Ouvrard et Jean-Paul Fontaine.


Je n'ai eu le temps que de la parcourir et de lire les deux articles qui introduise et clôture la revue. Le premier est un excellent article de Christian Galantaris, dans lequel on retrouve ce style fluide et agréable qui faisait tout le charme de son
Manuel de Bibliophilie.. C'est une hommage à la bibliophilie et aux bibliophiles. L'autre article est l'interview de Patrick Sourget. Il me semble moins indispensable. Faire 5 pages sur la Haute-Librairie, avec majuscules, est comme un démenti au propos de Christian Galantaris, qui, dans sa grande sagesse, se fait le chantre d'une bibliophilie où chacun peut trouver sa place, tant que l'amour exigeant du livre, comme contenu mais surtout comme objet, y est. On est loin des explications un peu prosaïque sur l'évolution du chiffre d'affaire de Sourget comparé à celui de Berès.

Malgré cette petite réserve, que je soupçonne nos auteurs d'avoir voulu comme un aiguillon pour faire réagir la communauté des bibliophiles qui est souvent rétive à parler "gros sous", je salue encore l'excellence de cette initiative.

dimanche 14 juin 2009

Louis Fantin, un libraire briançonnais à Paris

La semaine dernière, je signalais que j'avais trouvé, en feuilletant le catalogue d'une libraire vendômoise :
Catalogue des livres en feuilles de Louis Fantin, Libraire à Paris.
Paris, Louis Fantin, 1802 (An X.), in-4°, 4 pp.

La notice du libraire précise : "I have not been able to find much information about Fantin, but he definitely worked in Paris between 1805 and 1829 as we find books published by him with these dates."

J'avais promis de vous en dire plus. J'ai travaillé ces derniers jours et le résultat est une nouvelle page : Louis Fantin, qui donne une synthèse de ce que j'ai trouvé.

En deux mots, il appartient à cette population de libraires briançonnais qui, au XVIIIe siècle, depuis la vallée de la Guisane, est partie vendre des livres à travers le monde : Italie, Espagne, Portugal, Brésil, etc. Louis Fantin, né à Château-Queyras en 1764, fils d'un chirurgien major et rejeton d'une lignée de notables d'Arvieux (notaires, médecins, consuls), s'est d'abord associé comme libraire avec Yves Gravier à Gênes. Il est venu s'installer à Paris vers 1800 sur le quai des Grands-Augustins. Il est alors rejoint par un compatriote, Simon Gravier, dont je détaille les tribulations dans cette Europe révolutionnaire : il a dû fuir Rome en 1796 à l'arrivée des troupes françaises, poursuivi qu'il était pour avoir publié un livre contre-révolutionnaire. en 1794. C'est Simon Gravier, avec un autre compatriote, Pierre-Joseph Rey, libraire de Lisbonne, qui se porte acquéreur de la librairie Fantin. Cependant, ce dernier ouvre de nouveau boutique rue de Seine en 1817 jusque vers 1829. Il est mort en 1832. Voici quelques illustrations de ses adresses.




Au catalogue de la BNF, on trouve une trentaine de titres édités par ses soins. Il s'était fait l'éditeur de certains de ses compatriotes : Louis-Etienne Faure et son Berger des Alpes
, en 1807 et, plus connu, l'ouvrage de l'ancien préfet des Hautes-Alpes, le baron Ladoucette : Histoire, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes.

Autre catalogue de Louis Fantin, en 1807, en annexe de l'ouvrage de L.-E. Faure :


Pour finir, un portrait sympathique de cette personnalité, par Aristide Albert :
"Le nom de Louis Fantin a été en honneur parmi les Hauts-Alpins du commencement de ce siècle pour ses manières courtoises, pour sa droiture comme éditeur, et aussi pour sa généreuses hospitalité et ses procédés de
cicerone obligeant envers ses compatriotes dauphinois tout à fait dépaysés à Paris, lors des voyages rares et peu en faveur à cette époque dans la bourgeoisie de province."

Une très belle lithographie de Victor Cassien, extraite de l'Album du Dauphiné, représentant Château-Queyras, la patrie de Louis Fantin:


vendredi 12 juin 2009

Une publication forcée !

Adolphe Rochas (1816-1889) est un des grands érudits du Dauphiné. Il reste une des principales sources sur la biographie et la bibliographie du Dauphiné.

Il fit paraître en 1860 son ouvrage fondamental :
Biographie du Dauphiné, en 2 volumes, chez Charavay.



Son esprit légèrement railleur et volontiers frondeur ne se faisait pas faute d'égratigner quelque grandes familles :
"La publication de la
Biographie du Dauphiné manqua d'attirer à son auteur plus d'une fâcheuse affaire. Il avait traité, il faut le reconnaître, d'honorables familles avec une désinvolture outrepassant les droits de la critique.
Il en advint ce qu'il advient toujours dans ces sortes d'affaires. Les familles vraiment historiques, sûres de leur généalogie, se turent et n'attachèrent aucune importance aux attaques de Rochas; les familles les plus ambitieuses qui cherchaient à se greffer sur des races éteintes par des rattachements ingénieux, les gentilshommes douteux, ornés d'un titre de comte ou de marquis par la bienveillance du Saint-Père poussèrent des cris d'aigle.
On se souvient encore de tout le bruit que fit à cette occasion un ancien notaire, fils lui-même d'un porte-balle, qui prétendait faire remonter sa généalogie jusqu'à l'une des maisons les plus chevaleresques du Dauphiné. Il en fut de même d'un juge dont Rochas accusait sans preuve l'aïeul de s'être habilement approprié les recherches historiques d'autrui."

Dans les notices consacrées à la famille de La Tour du Pin, Adolphe Rochas met en doute le rattachement de la famille subsistante avec la famille du même nom qui constitue la 3e race des Dauphins qui se termina par Humbert II, dernier Dauphin du Dauphiné. Cela ne plut pas au marquis de La Tour du Pin.

Ecoutons Joseph Roman qui rapporte cette anecdote, dans l'ouvrage qu'il a consacré à Adolphe Rochas sous le pseudonyme de Philolèthe :
"Un beau matin, Rochas vit deux grands messieurs sanglés dans des redingotes d'une coupe irréprochable et porteurs de cannes d'une nature suspecte, se présenter avec une extrême politesse, dans son petit bureau du ministère : "Voici, Monsieur, ce qui nous amène, dit le marquis de la Tour du Pin, car c'était lui, après avoir présenté son compagnon, M. Edouard de Barthélemy. Vous avez écrit dans votre
Biographie du Dauphiné, ouvrage du reste fort intéressant, que la famille de la Tour du Pin n'était point de la même race que les derniers Dauphins de Viennois; c'était votre droit, des historiens éminents, entre autres Valbonnais, ont été de cet avis, mais vous avez exprimé cette opinion en termes blessants, incorrects, qui ne sauraient nous convenir. Vous voudrez bien les rétracter. – Mais, Monsieur le Marquis... – Pardon, laissez-moi achever, je vous prie. Vous ferez donc imprimer un carton que vous insérerez dans chacun des exemplaires de votre remarquable ouvrage; je vous apporte les termes de cette rectification auxquels vous voudrez bien ne rien changer, et moyennant cela il ne sera plus question de cette fâcheuse affaire. – Mais si je refuse. – Libre à vous, mais alors vous voudrez bien vous couper la gorge avec moi sur l'heure. – Permettez, je ne suis pas un spadassin, je suis un père de famille. – Monsieur, il ne faut rien écrire qu'on ne veuille soutenir les armes à la main. – Non, décidément, rétractation et duel, je refuse l'un et l'autre. – Fort bien; alors je vais me voir obligé, à mon grand regret, de vous administrer, en présence de M. de Barthélemy, une légère correction avec la canne que vous examinez depuis un moment avec tant d'attention. – Au secours ! Je vais sonner ! – N'en faites rien, si vous m'en croyez." La discussion ne se prolongea pas longtemps; Rochas mollit et accorda la rétractation demandée. Imprimée dans le même format que la Biographie, elle est devenue assez rare ; elle a huit pages et est datée du 23 avril.
Cette aventure, dont je tiens le récit de M. de Barthélemy, laissa beaucoup d'amertume dans le coeur de Rochas; il évitait d'en parler et jusqu'à la fin de sa vie il chercha un bailleur de fonds pour faire imprimer quelque chose, n'importe quoi (ce sont ses expressions), contre la famille de la Tour du Pin."

Cette petite plaquette a paru en 1861, aussi chez Charavay. J'ai eu la chance d'en trouver un exemplaire :
Note historique sur la maison de La Tour du Pin d'après des documents inédits.
Appendice à la Biographie du Dauphiné, de M. Rochas.
Paris, Charavay, Libraire-Editeur, 1861, in-8°, 7 pp.
Elle est signée en fin E. de Barthélemy et datée du 21 avril 1861.


Dans la note introductive, A. Rochas préfère évidemment taire sa mésaventure et en appeler à l'impartialité historique :
"Cet ouvrage [la
Biographie du Dauphiné] était déjà en vente, lorsque la famille de la Tour du Pin, émue des difficultés que nous soulevons sur divers points de sa généalogie, nous a fait remettre un mémoire destiné à établir son origine et sa filiation. Notre impartialité et notre désir de ne rien négliger de ce qui peut contribuer à la découverte de la vérité historique, nous ont engagé à reproduire ici ce document".

dimanche 7 juin 2009

Un "Dictionnaire des expressions vicieuses", la famille Chaper et Louis Fantin

A l'aube du XIXe siècle, les élites éclairées de la France, tout juste sortie de la Révolution française, étaient préoccupées de la maitrise du français par une population en cours d'intégration dans une nation unique et indivisible. Les "patois" étaient alors considérés comme un frein à la bonne intégration de chacun dans la grande nation française. On vit alors surgir des ouvrages sur la bonne connaissance du français, tel qu'il se parle selon l'Académie. En 1802, un certain Etienne Villa faisait paraître à Montpellier ses Nouveaux gasconismes corrigés. Bien plus au nord, en Lorraine, Jean-François Michel publiait à son tour un Dictionnaire des expressions vicieuses usitées dans un grand nombre de départemens, et notamment, dans la ci-devant province de Lorraine ; accompagnées de leur correction, d'après la V.e édition du dictionnaire de l'Académie. A l'usage de toutes les écoles.

Probablement inspirée par ces exemples, la Société d'Emulation ds Hautes-Alpes, sous l'égide du préfet le baron Ladoucette, lança en 1807 un concours, doté d'un prix de 300 francs, pour un ouvrage aidant à corriger les fautes de français les plus communes dans les Hautes-Alpes. Jean-Michel Rolland, alors directeur du collège de Gap et un des membres les plus actifs de la Société d'Emulation, obtint le prix en 1809.


Son Dictionnaire parut en 1810, chez Joseph Allier, à Gap :
Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Hautes et les Basses-Alpes, accompagnées de leurs corrections,
D'après la V.e Edition du Dictionnaire de l'Académie.
Ouvrage nécessaire aux jeunes personnes de l'un et l'autre sexe, aux instituteurs et aux institutrices, et utile à toutes les classes de la Société.

L'exemplaire que je présente est broché.

Cet ouvrage a fait l'objet d'une deuxième édition parue après le décès de l'auteur :
Dictionnaire des expressions vicieuses et des fautes de prononciation les plus communes dans les Départemens Méridionaux, accompagnées de leurs corrections.
D'après la V.e Edition du Dictionnaire de l'Académie.
Ouvrage nécessaire aux jeunes personnes de l'un et l'autre sexe, aux instituteurs et aux institutrices, et utile à toutes les classes de la Société.
Seconde édition.


Une observation attentive montre que cette nouvelle édition, sans date, de 1823 selon Brunet, n'est que la reprise telle quelle de l'édition précédente avec un titre et un avertissement différents. L'auteur était mort avant même la parution de la première édition. Constatant que ce dictionnaire s'est vendu non seulement dans les Hautes et Basses-Alpes, mais aussi en Provence et Languedoc, l'éditeur ne craint pas "de changer une partie de cet ancien titre, en le généralisant et en l'appliquant aux départemens méridionaux." L'avertissement rappelle clairement l'objectif : le patois, encore parlé "exclusivement" par "les dernières classes de la société dans le midi de la France", obligeant "les hommes même instruits, à l'employer à leur tour dans beaucoup d'occasions", est "la première causes de ces vices de langage si communs dans le discours et même dans la parole écrite". Ce dictionnaire veut y remédier.

Il s'agit d'un exemplaire de prix, du séminaire de Nîmes, offert à l'élève Henricus Guez en 1833, dans un reliure en basane racinée.




Sans transition, j'ai acheté récemment un ouvrage inconnu de toutes les bibliothèques :
Les origines de la famille Chaper, par G. M. J [Georges Morel-Journel]. C'est probablement un tirage hors commerce, réservé aux membres de la famille Chaper. Il a dû être édité dans les années 1950.


Je l'ai acheté pour compléter ma documentation sur le grand bibliophile dauphinois Eugène Chaper (1827-1890).


Cet ouvrage s'est avéré particulièrement intéressant. Il est essentiellement constitué des informations et renseignements extraits des actes notariés et de l'abondante correspondance de Barthélémy Chaper avec Achille Chaper, son fils et des correspondances croisées entre les différents membres de cette famille de la génération d'Achille Chaper. L'ouvrage couvre l'histoire de la famille depuis le début du XVIIe siècle, jusqu'à Achille Chaper. Il présente une double intérêt. Il illustre l'ascension sociale d'une famille depuis des modestes tourneurs sur bois lyonnais jusqu'à la bourgeoisie éclairée dauphinoise, représentée par Achille Chaper, avec ses alliances prestigieuses avec la famille Périer. Cette ascension s'est faite, génération après génération, essentiellement par le travail, par l'éducation, Achille Chaper est ancien élève de l'Ecole Polytechnique, et par le mariage, qui permet à Achille Chaper d'entrer dans deux grandes familles notables de l'Isère : les Périer et les Teisseire. On les voit d'ailleurs brasser des sommes d'argent importantes, dans des spéculations parfois hasardeuses. L'auteur n'occulte pas les réussites moins brillantes. L'autre intérêt de l'ouvrage est de nous faire pénétrer dans l'intimité des relations entre les membres de cette famille, avec parfois une grande liberté de ton, dans un style toujours châtié et soutenu. La correspondance la plus abondante est celle entre Barthélémy Chaper et son fils Achille, qu'il guide dans ses débuts dans la vie, au moment où il a acheté la forge de Pinsot, dans l'Isère. Il y a une belle lettre d'Achille Chaper à son père (pp. 58-59) où il lui demande en même temps de l'aide, de l'indulgence et plus de confiance, accompagné de ce bel appel à "sortir" de lui-même : "Tu ne te plaisais que dans de grandes occupations ou dans la solitude. Toi qui sens si vivement le bonheur de l'intérieur, tu semblais nous fuir ou nous dérober la trace de tes chagrins. Tout cela m'affectait vivement mais j'étais trop jeune pour pouvoir rien dire : j'attendais". Barthélémy Chaper n'y a pas répondu. On peut aussi citer la lettre d'Henriette Teisseire à son fils Eugène Chaper (p. 135), de février 1841, qui nous donne un aperçu de sa personnalité. Il a alors tout juste 14 ans : "Allons donc; une fois dans ta vie, parle donc ouvertement. Ne te poses pas en dieu du silence. A quoi bon sentir vivement pour être muet ? Dans quel cœur ami déposeras-tu tes confidences plus sûrement que dans celui de ta mère ? Pourquoi crains-tu toujours de te laisser aller avec moi ? Quand tu as dit un mot, tu le retires bien vite comme si tu t'étais brûlé et tu changes de sujet."


Pour finir, en feuillant un catalogue de libraire, j'ai trouvé une notice sur :
Catalogue des livres en feuilles de Louis Fantin, Libraire à Paris.
Paris), Louis Fantin, 1802 (An X.), in-4°, 4 pp.


La notice du libraire précise : "I have not been able to find much information about Fantin, but he definitely worked in Paris between 1805 and 1829 as we find books published by him with these dates." Ces détails proviennent probablement des quelques informations sur Louis Fantin que j'ai incluses dans ma notice de cet ouvrage qu'il a publié en 1807 : Le berger des Alpes, de Louis-Etienne Faure.

Je me suis piqué au jeu d'en savoir plus sur ce libraire briançonnais, installé à Paris. J'ai déjà trouvé qu'il était né à Château-Queyras en 1764 et mort à Paris en 1832. Lorsque j'aurai rassemblé plus d'éléments sur lui, je vous en parlerai.

lundi 1 juin 2009

"L'Alpe". Emile Guigues.


J'avais annoncé début mars que la revue L'Alpe avait sélectionné mon texte dans le cadre du concours : "Et vous ? dites-nous votre alpe". Le numéro de L'Alpe vient de paraitre et j'ai eu le plaisir de voir mon texte bien mis en valeur dans cette superbe revue. Je vous laisse juge (en cliquant sur les photos, vous devez pouvoir lire).



Pour certains des lecteurs, ils reconnaitront les photos que j'avais publiés dans un article du blog du bibliophile : Quand la bibliophilie va sur le terrain !.

Après ces différents week-ends peu propices à la description, je me suis remis au travail, profitant de ces 3 jours tranquilles à Paris. J'ai décrit 2 petits ouvrages illustrés par Emile Guigues. Cet illustrateur haut-alpin est malheureusement peu connu en dehors des Hautes-Alpes. Né à Embrun en 1825, percepteur, il mit à profit ses loisirs pour illustrer de très nombreux ouvrages, se faisant même auteur. Ses dessins se caractérisent par leur trait léger, parfois caricatural et facétieux. Sa bibliographie est assez réduite, mais il a participé à de très nombreux ouvrages, en particulier dans le sillage du mouvement de découverte et de mise en valeur de la montagne, en particulier les montagnes du Haut-Dauphiné, au moment de la création du Club Alpin et de la Société des Touristes du Dauphiné. Dans cette veine, le premier ouvrage est une Chanson de route du Club-Alpin, parue vers 1894, dont il a illustré la page de titre et chacun des 8 couplets.

Cet exemple des deux premiers couplets donnera une idée précise de son style.


Au passage, on notera le style des couplets ! L'auteur est Jules de Beylié (1848-1918), sous le pseudonyme de Jules Cholet, magistrat et président du Tribunal de Grenoble. Dans la Dédicace de la page de titre, on y reconnait la dimension patriotique, presque militaire, du Club Alpin Français à ses débuts (à ce sujet, voir le très intéressant ouvrage d'Olivier Hoibian : L'invention de l'alpinisme).

Autre ouvrage d'Emile Guigues, l'illustration d'un conte facétieux où l'on voit un âne se métamorphoser en homme, jusqu'à ce que la gendarmerie y mette bon ordre : La métamorphose. Vieux conte villageois traduit en 21 croquis. Grenoble, Emile Baratier, 1889. Mis à part un rapide texte introductif, appelé Légende, les 21 dessins ou croquis suffisent à raconter l'histoire, un peu comme une bande dessinée. Quelques exemples d'illustrations permettront là-aussi de se faire une idée du style d'Emile Guigues.





Emile Guigues devait avoir le projet de publier plusieurs ouvrages de ce type, puisque c'est le n°1 des
Albums d'Emile-Emile. Malheureusement, c'est le seul numéro.

Pour finir sur Emile Guigues, j'ai la chance de posséder l'exemplaire de Joseph Roman du
Congrès du Club alpin à Briançon, 1887, illustré par Emile Guigues, qui est complété d'un envoi humoristique à Joseph Roman et d'un dessin original :

L'envoi est : "A monsieur Rom.... mais sapristi!...ceci parle du C.A.F!!!!.....Ah pardi !..Tant pis...
A monsieur Roman. 22 mai 87. Guigues".

Pour ceux qui veulent aller plus loin, la page que j'ai consacrée à Emile Guigues renvoie vers de nombreuses illustrations, tirées des ouvrages de ma bibliothèque. Il existe aussi un site créé par des descendants d'Emile Guigues, particulièrement complet et bien illustré : http://emileguigues.9online.fr/.

Pour conclure, une Reine des Alpes dessinée par Emile Guigues :