Dans les années 1830, au moment où une nouvelle bourgeoisie s'installe en France et, pour ce qui nous intéresse, à Grenoble, le besoin se fait de plus en plus criant d'échanger, de partager les découvertes, les innovations, les recherches, les projets, etc. Dans ce foisonnement à la croisée de la recherche scientifique et de l'innovation industrielle, le tout sur fond d'une nouvelle impulsion des affaires, ce sont quelques uns des représentants de cette bourgeoisie qui se rassemblent, avec la bienveillante attention des autorités, pour créer la
Société de Statistique des Sciences naturelles et
des Arts industriels du département de l'Isère. En juin 1838, ils se retrouvent et définissent les objectifs de la société :
Une société ayant pour but spécial l'étude de la statistique et des sciences utiles manquait au département de l'Isère. [...] C'est afin d'atteindre ce but que quelques citoyens de Grenoble, à la tête desquels s'est placé M. Pellenc, préfet de l'Isère, se sont réunis et ont fondé une société qui doit s'occuper principalement de statistique, c'est-à-dire de tous les faits et de toutes les connaissances scientifiques ou littéraires intéressant le département.
Elle se distingue de l'Académie delphinale,
qui venait d'être réactivée en 1836, en
donnant plus de place aux sciences naturelles et aux études
statistiques. La présence de l'histoire, souvent
prépondérante dans ces
sociétés savantes, est moindre, surtout si on
excepte les nombreuses études de J.-J-A. Pilot sur
l'histoire municipale de Grenoble. Il est aussi probable qu'elle se
distingue pas sa composition, moins littéraire et juridique,
moins aristocratique et "oisive", mais plus représentative
de la bourgeoisie montante, mélange de
représentants du système
éducatif d'excellence de l'époque
(ingénieurs, polytechniciens, médecins,
universitaires), de représentants des affaires et de
l'industrie et des administrateurs. Il y a cependant
quelques personnalités comme Scipion Gras, Jules
Ollivier, Crozet qui se retrouvent dans les 2
sociétés. De même, les
ecclésiastiques étaient moins nombreux dans cette
société, alors que l'on note
la présence discrète
de quelques francs-maçons.
Dès sa création, la Société publie un Bulletin. Ce que je présente aujourd'hui est la tête de collection des Bulletins de la
Société de Statistique des Sciences naturelles et
des Arts industriels du département de l'Isère,
comprenant 7 volumes : 1re
série (4 volumes : 1838, 1841, 1843 et 1846) et début de la 2e
série (3 volumes : 1851, 1854 et 1856)
Page de titre du 1er tome de la 1ère série.
Page de titre du 1er tome de la 2ème série.
Parmi les quelques texte intéressants de ces premiers volumes, je relève :
Notice
sur les restes de la voie romaine de l'Oisans,
par Scipion Gras.
La republication de
Observations de
météorologie et de botanique sur quelques
montagnes du Dauphiné, par Dominique Villars.
Table
des hauteurs au-dessus du niveau de la mer de divers lieux
situés dans le département de l'Isère
ou sur ses
frontières.
Note statistique sur les
eaux minérales du département des Hautes-Alpes,
par Scipon Gras
Notice
historique sur Villars,
par M. le docteur Albin Gras.
Recherches
sur l'histoire municipale de Grenoble,
par J.-J.-A. Pilot.
Notice
biographique des ouvrages de D. Villars,
par H. Gariel.
Essai
historique et statistique sur l'Oisans,
par M. Roussillon, docteur-médecin au Bourg d'Oisans.
Nicolai
Chorerii Viennensis J. C. Adversariorum de vita et rebus suis libri III,
publié par Hyacinthe Gariel.
Positions
géographiques et hauteurs absolues des principaux points de
la nouvelle carte de France.
Pour une description plus complète : cliquez-ici.
Au gré de la lecture de ces
volumes pour préparer cette notice, j'ai relevé
ces deux passages, probablement assez illustratifs de l'esprit de cette
bourgeoise cultivée et industrieuse de Grenoble.
Dans une Notice sur quelques branches
d'industrie du canton de La Mure,
lue par M. Guillot, aîné lors de la
séance du
49 juin 1840, à propos des ouvriers qui fabriquent des clous :
D'après les renseignements que nous nous sommes procurés, la journée d'un ouvrier en moyenne ne s'élève pas au delà d'un franc vingt-cinq centimes ; ce salaire, bien que modique, pourrait suffire à la nourriture et à l'entretien des ouvriers s'ils étaient plus économes ; les plus habiles pourraient même faire quelques petites économies ; mais une grande partie du fruit de leur travail est absorbée par les dépenses de cabaret, que malheureusement les ouvriers de la Motte, dont le nombre dépasse trois cents , ont la facilité de payer avec des clous. C'est une monnaie de billon qui a cours depuis longtemps dans les communes de la Motte-Saint-Martin et de la Motte-d'Aveillans; les cabaretiers qui la reçoivent sont assurés de trouver à la Mure un agent de change dans chaque marchand de clous.
(Tome I, 1838, p. 395)
Une discussion
s'engage après la lecture d'une Notice sur un fœtus
monstrueux, présentée par le Dr
Charvet lors de la séance du 27 janvier 1843 :
Un membre fait observer que [les monstruosités] sont particulièrement fréquentes chez les individus du sexe féminin, et que ce fait s'applique [sic, probablement pour s'explique] naturellement par la théorie des arrêts. D'après cette théorie, les êtres femelles aussi bien que les individus monstrueux étant produits par des espèces d'arrêts survenus dans le développement de l'organisation, les circonstances qui donnent lieu à la naissance des uns doivent être favorables à la formation des autres.
(Tome III, 1843, pp. 11-12).
Ces deux exemples ne doivent pas nous faire oublier l'intérêt de la lecture de ces textes. On y voit des sciences et des techniques qui se découvrent, qui se cherchent. On y voir le foisonnement des initiatives, des idées, des projets, etc. Certes, beaucoup des mémoires publiés sont obsolètes, dépassés depuis très longtemps par d'autres recherches, d'autres études, d'autres découvertes. Mais on y lit une foi en l'avenir, en la puissance de la pensée et de l'intelligence, alliées à la volonté d'agir et de faire, souvent au service de la société et de la collectivité.
Cette photo de Scipion Gras, un des fondateurs de la société, n'est-elle pas une belle illustration de ces personnalités assemblées pour discuter doctement sur tous ces sujets.
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