mardi 27 janvier 2015

Exposition Dominique Villars à Grenoble




L’année 2014 marquait le bicentenaire de la disparition de Dominique Villars (1745-1814). Cette nouvelle exposition évoque le parcours singulier de cet homme, botaniste humaniste, né au cœur du Champsaur.
Fort de sa passion pour la nature et les plantes, il mène diverses excursions dans les massifs du Dauphiné et dresse un catalogue : L’ Histoire des plantes de Dauphiné, une flore de référence. Ce travail lui confère le rang de savant au sein d’ un réseau naturaliste qui se tisse progressivement en Europe au XVIII e siècle. Montagnard et médecin, il pressent les atouts de la montagne, la qualité de l 'air et ses bénéfices sur la santé. Éclairé, il s ’attache à promouvoir la réforme de l’ enseignement de la médecine à Grenoble. Professeur, directeur du Jardin botanique de Grenoble, il traverse la seconde partie du XVIIIe siècle, témoin et victime des changements politiques, des avancées scientifiques et des réformes. En 1803, avec la suppression de l’ Hôpital militaire, il perd son poste de médecin. N ’obtenant pas de place à l’ Hôpital civil, il est contraint de quitter Grenoble en 1805, pour Strasbourg. Sa mort interrompt sa carrière : il est alors âgé de 68 ans.

J'ai contribué à cette exposition en prêtant quelques ouvrages :

 Flora Delphinalis, 1785

Prospectus de l'histoire des plantes de Dauphiné, 1779

Bibliothèque du Dauphiné, de Guy Allard, revue par Chalvet. 
Exemplaire de Dominique Villars

Notice autobiographique de Dominique Villars, 
dans son exemplaire de la Bibliothèque du Dauphiné

Renseignements pratiques

Musée grenoblois des Sciences médicales, Grenoble

Horaires d’ouverture :
L’exposition est ouverte le mardi de 14h à 17h, le mercredi de 12h à 17h et le jeudi de 14h à 18h.

Pour plus d'informations : cliquez-ici.

lundi 19 janvier 2015

Guide bleu illustré des Alpes françaises, Stéphane Juge

Il y a plusieurs façons de faire un guide touristique. Quand on pense que son pays, voire sa petite patrie, n’est pas assez mis en valeur, le mieux est d’en faire un. C’est probablement ce qu’a dû penser Stéphane Juge, un journaliste  parisien. Parisien, il l’était dans les années 1890, mais ses lointaines origines se trouvaient dans les Hautes-Alpes et, encore plus précisément, dans le Haut-Oisans, à Villard d’Arène où, nous dit-il : « L'auteur de ce guide s'honore de descendre d'une vieille famille d'instituteurs de Villard-d'Arène, dont plusieurs représentants aujourd'hui exercent encore le professorat dans les départements des Hautes-Alpes, de la Loire et du Rhône. »
Stéphane Juge, caricaturé par son ami Eugène Tézier.

Il en est résulté le Guide bleu illustré des Alpes françaises (1894), où le Dauphiné est particulièrement bien représenté, et plus précisément la Grave et le massif de la Meije, à cause de l'origine familiale de l'auteur et du parti pris d'une approche plus personnelle, voire subjective, de la description touristique. Stéphane Juge l’annonce lui-même « Ce livre est donc un témoignage d'admiration affectueuse ». Ce guide est plus particulièrement destiné aux alpinistes et randonneurs (le terme n'était pas alors utilisé), plutôt qu'aux touristes intéressés par l'histoire et les monuments. Il contient en particulier un long récit d'une ascension de la Meije par l’auteur.
Un décompte du nombre de pages montre que le Dauphiné est proportionnellement mieux servi. Si on entre dans le détail, Chamonix a droit à 19 pages quand La Grave et sa région est décrite sur 36 pages. Je vous laisse découvrir sur la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici. Ces quelques images de la 2e édition de 1896 nous permettent de nous faire une idée de l’ouvrage.



Trois planches :


 
Stéphane Juge dirigeait alors une agence de presse, le Service central de la Presse, qui a édité l’ouvrage. Cela explique qu’il ait fait appel à de nombreux représentants de la presse parisienne, comme Georges Montorgueil, Henry Fouquier, etc. pour des textes introductifs. De même, que ce soient ses « exploits » d’alpiniste (ascension de la Meije en août 1893 qui a fait l’objet d’un compte-rendu dans La Croix, Le Figaro, etc.), ses excursions hivernales (quatre articles dans Le Temps en mars 1895) ou ce guide (compte-rendu flatteur dans Gil Blas), tous ont fait l’objet d’une belle couverture médiatique, pour utiliser un terme moderne, dans la presse de l’époque.

Il a aussi voulu soigner sa notoriété personnelle, et la publicité de son guide, dans le milieu de l’alpinisme dauphinois. Pour cela, Stéphane Juge n'a pas ménagé ses efforts pour se faire admettre. Il adhère à la Société des Touristes du Dauphiné en mars 1893. Les bulletins de 1893, 1894 et 1895 annoncent ses ascensions. Malgré cela, l'accueil critique du guide est mitigé. Ni l'Annuaire du Club Alpin français, ni l'Annuaire de la Société des Touristes du Dauphiné n'ont annoncé la parution du guide. Il est seulement référencé, sans commentaire, dans le Bulletin de la Société d'Études des Hautes-Alpes, année 1894. Pis, dans l'Annuaire de 1896 de la Société, il reçoit le coup de grâce, de façon assez indirecte. Dans une Bibliographie topographique de la région, au détour du commentaire sur le Guide du touriste en Savoie, de A. Weissen (p. 316), un avis, sans appel, est donné : « Publication peu sérieuse, très supérieure toutefois au Guide-Bleu de S. Juge. »

Une façon peu orthodoxe de faire de l'alpinisme.

C’est probablement pour cela que l’on entend plus parler de lui dans les Alpes dauphinoises après cette date. Dans ce milieu, comme dans d’autres, il faut savoir se faire admettre, faire ses preuves. Alors, peut-être que l’on reconnaîtra vos mérites. Mais cela ne se fait pas en 3 ans, surtout si l’on est parisien ! Après tout cela, il préfère d’ailleurs se consacrer à l’élevage des pur-sang. Après avoir quitté Paris, où il était journaliste à l’Écho de Paris, on le retrouve à Villechétive dans l’Yonne, avant la Première Guerre Mondiale, à Meuvaines dans le Calvados, puis, pour finir, il est propriétaire d'un haras dans la Sarthe, à la Potardière, sur la commune de Crosmières, dans les années 1930. Tout cela nous éloigne des Hautes-Alpes. L’âge et la fortune aidant, il est loin le temps où Stéphane Juge chantait la simplicité du pays de ses ancêtres.

Le haras de la Potardière

Il n'existait aucune notice biographique de Stéphane Juge. J'ai constitué une notice à partir de :
- recherches dans l'état civil de Saint-Étienne, Anse (Rhône) et Paris.
- recensements Villechétive (Yonne) et Crosmières (Sarthe).
- informations trouvées grâce à Gallica, Google Books et Archive.org, recoupées et synthétisées.
Vous pouvez la consulter : Stéphane Juge.

jeudi 1 janvier 2015

Un manuscrit d'histoire locale

C'est un petit document que je trouve émouvant que je souhaite partager avec vous aujourd'hui. En 1902, Maximin Rey, instituteur à Puy-Saint-Pierre, une commune qui domine Briançon, prend sa plus belle plume pour coucher sur le papier tous les éléments qu'il a rassemblés sur son village de résidence. De tout cela résulte un cahier manuscrit de 51 feuillets (feuilles quadrillées de cahier d'écolier) sous une couverture, portant le titre :
Département des Hautes-Alpes
Arrondissement de Briançon
Monographie de la Commune de Puy St Pierre
par
Rey Maximin, Instituteur
10 juillet 1902
Prière de retourner ce travail à son auteur 
après l'avoir examiné et pris les notes voulues.


La page de titre ne se distingue que par la dernière phrase que Maximin Rey a ajoutée, en forme de sentence qui résume tout son programme : « Pour aimer un pays, il faut le connaître ».


C'est ce programme qu'il applique dans son travail. Dans sa conclusion, qu'il dénomme : « Emploi de la monographie », il précise son objectif :
En un mot faire connaître et aimer son pays, combattre l'émigration, trouver des ressources nouvelles, profiter de l'expérience des anciens pour se diriger dans la vie, tel doit être à mon humble avis l'usage de la monographie communale. Pa là on verra que du labeur de chacun dépend la prospérité et la grandeur de notre pays et de la Patrie.
Il ne s'agit pas du tout d'une vision passéiste et immobile de sa petite patrie, mais plutôt d'une envie de continuer à la faire vivre en ces temps de transformations profondes de la société agricole et pastorale de montagne. Quelques lignes auparavant, Maximin Rey se situe clairement dans la vision progressiste qui était celle des instituteurs du temps.
En morale, nous combattrons les préjugés, les superstitions, les abus, les usages ridicules, pour diriger l'éducation vers le progrès, c'est-à-dire vers la justice et l'humanité.
L'ouvrage contient plusieurs parties : Description géographique, La vie au village, Histoire locale, Archives, L'école. La plus intéressante est La vie au village par les descriptions des usages et coutumes : habitations, mariages, enterrements, costumes, religion, etc. Il a illustré cette partie de dessin à la facture un peu naïve, mais très expressive comme :

Les Pénitents, une institution importante de solidarité villageoise
au moment d'accompagner les décès.

Le détail de la coiffure traditionnelle des Briançonnaises.

L'outil traditionnel utilisé pour "casser" le pain dur,  lorsque on ne le faisait cuire qu'une ou deux fois par an.

Maximin Rey n'a pas hésité à utiliser des photographies collées dans le cahier pour illustrer son travail.

Vue de Briançon au premier plan, avec les casernes, et Puy-Saint-Pierre au 2e plan.

Enfin, je reproduis ci-dessous un exemple de page. On constatera la qualité de l'écriture et sa lisibilité.
Je ne résiste pas au plaisir de transcrire le savoureux début du texte sur le "Caractère". Certes, ce travail est à usage privé, mais, comme l'indiquait le titre, il pouvait être prêté. Cela n'a pas empêché Maximin Rey d'émettre un jugement sans bienveillance, ni compromis, sur ses contemporains. Certes, il n'était pas originaire de ce village, mails il était né seulement quelques kilomètres plus loin. Peut-être faut-il voir dans ce passage la volonté réformatrice de l'instituteur qui souhaitait mettre chacun devant son propre portrait.
A Puy St Pierre, les gens sont dissimulés  et très intéressés. Ils sont extrêmement formalistes et ont peu de confiance les uns aux autres. Les hommes sont rusées, plaideurs et peu sincères, ils ont une haute opinion d'eux-mêmes. Souvent on leur entend dire qu'il faut trois Français pour tromper un Grenoblois et trois Grenoblois pour tromper un Briançonnais.
Quelqu'un a ajouté, d'une écriture différente : « Ce dicton est plus malin qu'exact »

Pour finir, qui était Maximin Rey. Fils de cultivateurs de Saint-Chaffrey, il est né le 8 mai 1858. Instituteur au Lauzet, sur la commune de Mônetier-les-Bains, il s'y marie en 1882 avec Eugénie Vial. Nommé instituteur à Puy-Saint-Pierre en 1894, il y restera jusqu'à sa retraite, le 1er novembre 1910, après 32 ans 5 mois 23 jours de service. Il a eu deux enfants, Fridoline, qui épouse un instituteur de Puy-Saint-Pierre, et Félix, douanier, qui a disparu à Douaumont en mai 1916.

Ce texte a été publié en 2013 par les Éditions Transhumances.


Tous les dessins de l'auteur, ainsi que la grande carte dépliante sont reproduits.

Pour ceux qui ont eu la persévérance d'arriver jusqu'à la fin du texte :
Je vous souhaite une bonne et heureuse année 2015, toujours pleine de découvertes et de plaisirs bibliophiliques, pour les uns, montagnards, pour les autres.