samedi 18 avril 2015

Une petite plaquette, dans son jus, un peu dauphinoise

C'est une de ces petites plaquettes comme je les aime. Elle est parvenue jusqu'à moi telle qu'elle a paru en 1826. Le papier qui était encore de chiffon, est resté très blanc, sans rousseurs. Lorsque on le touche, il a gardé la texture unique du papier chiffon, au moment même où apparaissait le papier mécanique, plus lisse. Non rognés, les bords portent encore la marque de la forme. La couverture de papier rose, ornée de beaux motifs comme on les faisait à l'époque, est attaché aux 2 feuillets et demi qui composent la plaquette avec une petite ficelle.


Ce n'est pas seulement pour la matérialité du livre que je l'ai acheté. Il suffit de lire le titre pour immédiatement détecté ce qui m'a attiré l’œil :
Aux mânes du Général Foy. Stances libres, suivies de notes explicatives et de l'analyse des anciennes chartes du Dauphiné par M.***, ancien officier supérieur d'état-major.
Paris, Eymery ; Lyon, Baron, 1826, in-8° (218 x 135 mm), un portrait lithographié en frontispice hors texte.



Au-delà du mot Dauphiné, c'est l'étrange appairage entre le général Foy et les chartes du Dauphiné qui m'a intrigué. Nous allons vite comprendre pourquoi.

Ce poème, renfermé dans cette petite plaquette, appartient à la très importante littérature qui a fleuri après le décès du Général Foy, en novembre 1825. Député, il était l'un des représentants les plus notables des libéraux, sous la Restauration. Sa mort, privant le parti libéral d'une personnalité écoutée et admirée, a provoqué une grande émotion, qui s'est traduite par une nombre très important de textes d'hommage, sous forme de plaquettes ou libelles, voir de chansons et autres œuvres. Ces Stances, parues quelques mois après son décès, en font partie. Elles sont très probablement l’œuvre d'un Dauphinois, même si l'attribution reste problématique.


Si le poème n'occupe que 8 pages sur les 40 que contient la plaquette, il y a pas moins de 28 pages de notes qui éclairent le texte. C'est une de celles-ci, particulièrement longue, qui est entièrement consacrée aux chartes ancienne des libertés du Dauphiné. Elle est appelée par ces 2 vers du poème :
Mais pour le défenseur des libertés publiques
Toute la France prend le deuil.

Après avoir rapporté cette phrase de Bossuet, « Toute l'Égypte était noble, et d'ailleurs on n'y goûtait de louanges que celles qu'on s'attirait par son mérite », l'auteur fait un parallèle avec le Dauphiné :
« Le Dauphiné qui a retrouvé un dauphin dans le vainqueur du Trocadéro, jouissait, de temps immémorial, des mêmes avantages que l’Égypte. L'on n'a pour s'en convaincre qu'à jeter les yeux sur les chartes delphinales et royales de ce pays, entre autres sur celle qui établissait, fixait, confirmait et garantissait les privilèges, les libertés, les franchises, les droits, les prééminences et les prérogatives des hommes et habitans ». Après avoir rapporté l'historique de ces chartes et les différentes confirmations par les Dauphins, il analyse quelques articles, ceux qui servent sont propos sur les libertés contemporaines et sur l'égalité des droits. Par exemple, un article sur les règles de successions en vigueur dans le Dauphiné ancien est l'occasion de ce commentaire : « Nous laissons à tous les hommes éclairés le soin de juger du mérite de ce second article, qui repousse, comme destructif de nos droits, le projet de loi présenté à la Chambre des députés, sur le droit d'aînesse et les substitutions. »

La note se termine par cette conclusion qui met bien en exergue la valeur politique de cette illustration par la charte du Dauphiné, lorsqu'on l'applique à la problématique contemporaine du début du règne de Charles X, qui se mettait en rupture par rapport au règne de Louis XVIII et de la charte constitutionnelle :
« Usages précieux, droits inestimables que d'autres provinces pouvaient également posséder, et qui seraient à regretter si la charte qui a été donnée aux Français par le Roi Louis XVIII, n'était pas une compensation pour les hommes raisonnables, qui préfèrent l'instruction à l'ignorance , la liberté à l'esclavage, le pouvoir légal au pouvoir absolu, la religion de l'évangile, professée par cette église gallicane qu'ont illustrée les Bossuet, les Fleury, les Massillon , aux superstitions, aux momeries et aux tartuferies jésuitiques. »

Comme on le voit, les chartes du Dauphiné sont appelés à la rescousse pour se faire le défenseur des libertés, à l'occasion de la mort d'un grand libéral.

Pour finir, juste un mot sur l'identification de l'auteur. C'est Edmond Maignien qui, le premier, attribue cette plaquette au colonel César-Louis Mounier, né à Veynes (Hautes-Alpes) le 21 septembre 1784 dans son ouvrage Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes du Dauphiné, Grenoble, 1892, sous le n° 1461. Elle a ensuite été reprise, jusque dans les catalogues de bibliothèques (BNF, BMG). Cette attribution peut être remise en question. En effet, ce qui ne « colle » pas, c'est qu'en 1826, le colonel Mounier n'était pas un ancien officier supérieur d'état-major. Il était colonel au 5e régiment d'infanterie de la Garde Royale, en passe de rejoindre le 28e régiment d'infanterie de ligne. Ces pour toutes ces raisons que j'ai remis en cause et n'ai pas retenu l'attribution proposée par Edmond Maignien.

Pour aller plus loin, cliquez-ici.



mardi 7 avril 2015

Images du Maquis, poème de Célestin Freinet, fusains d'Élise Lagier-Bruno

Complétant la bibliographie haut-alpine du célèbre pédagogue Célestin Freinet et de son épouse Élise Lagier-Bruno, j'ai exhumé du fond de ma bibliothèque un ouvrage rare : 
Images du Maquis. Poème de C. Freinet. Fusains originaux de Mme E. Lagier-Bruno.
Gap, Éditions Ophrys, [1945], in-4°, 18-[2] pp., 20 reproductions hors texte de fusains, dont 2 rehaussés en couleurs, titre illustré, couverture illustrée  d'une reproduction d'un fusain rehaussé en couleurs.
Ouvrage en feuilles sous une chemise rempliée.


Pourquoi rare ? Malgré un tirage annoncé de 1500 exemplaires, il ne se trouve dans aucune bibliothèque publique française (répertoire CCFr). J'ai repéré un exemplaire avec envoi dans le Fonds Maurice Thorez des Archives Municipales d'Ivry-sur-Seine (Célestin Freinet appartenait au parti communiste avant la guerre).


De quoi s'agit-il ? Cet ouvrage rassemble 13 poèmes de Célestin Freinet en hommage au maquis du Briançonnais, à Saint-Martin-Béassac, en Vallouise (le dernier poème est daté du 4 décembre 1944), illustré de fusains par son épouse Élise Lagier-Bruno.


Il a été achevé d'imprimer le 5 février 1945 sur les presses de l'Imprimerie Louis-Jean à Gap. Cette édition est vendue au bénéfice des Œuvres sociales des F.F.I.


Les 20 fusains d'Élise Lagier-Bruno représentent des scènes du Maquis à travers la peinture des différents personnages dans leurs actions quotidiennes. Un des fusains est repris en couverture.



Ces poèmes rappellent l'engagement de Célestin Freinet dans le maquis de la Vallouise et du Briançonnais. Pendant l'Occupation, après une période de détention, venant de Vence, il a rejoint cette région dont était originaire sa femme, Élise Lagier-Bruno. Il rejoint le maquis en juin 1944, qui s'était replié sur Béassac, dans la Vallouise. Après la Libération, il siège au Comité Départemental de Libération (C.D.L.) des Hautes-Alpes, en tant que représentant du Parti Communiste. Il fait partie de la commission d'épuration. Il quitte ses responsabilités à l'été 1945.


Pour plus d'information, cliquez-ici.

Cette épisode de sa vie a aussi fait l'objet, en 1964, d'un numéro de la Bibliothèque de Travail (n° 584, 10 mai 1964) :  Le Maquis, dans lequel Célestin Freinet décrit la vie et les actions du maquis où il se trouvait, à Béassac, près de Vallouise (Hautes-Alpes).