dimanche 18 avril 2010

Le Salon du Livre ancien du Grand Palais, et autres.

L'événement bibliophilique du week-end était évidemment le Salon du Livre ancien du Grand Palais. On y voit de belles choses. J'ai retenu deux ouvrages, hors de ma portée, mais qu'il est tout de même agréable d'avoir pu voir et toucher.

Le premier est un très bel exemplaire de l'édition original des Statuts du Dauphiné, de 1508, avec la belle page de titre au blason de la Province :


Le deuxième est un ouvrage d'Oronce Fine, célèbre mathématicien briançonnais du XVIe siècle (1494-1555). Je joins la notice du catalogue du libraire.


L'exemplaire est d'autant plus attirant qu'il provient d'un des très rares belles bibliothèques constituées dans les Haute-Alpes, celle de Clément Amat (1816-1895), maire de Gap (cliquez-ici).

Il y avait tout de même des "petites" choses bien plus accessibles, qui sont venues rejoindre ma bibliothèque.

La première est l'édition originale des
Scrambles amongst the Alps in the years 1860-69, d'Edward Whymper, publiée à Londres en 1871. C'est un texte fondateur de la littérature alpine, inaugurant une très longue série de récits d'ascensions et de courses en montagne. Pour le Haut-Dauphiné, ou massif des Ecrins, il est d'autant plus intéressant qu'il décrit un des premiers voyages de découverte dans ce massif. Rappelons que Whymper est le premier a avoir gravi le point culminant du massif, la Barre des Ecrins (4102 m), le 25 juin 1864.


Cet ouvrage a été traduit par Adolphe Joanne. Quelques extraits ont paru en pré-publication dans la revue
Le Tour du Monde, en 1872. La traduction complète a paru en 1873 chez Hachette sous le titre français de Escalades dans les Alpes (pour plus de renseignements, cliquez-ici).

Je vous laisse admirer la belle reliure en percaline verte, de style très anglais.


Autre acquisition, un petit in-12 de 1724 :
La vie et les avantures de Zizime, fils de Mahomet II, empereur des Turcs. Avec un discours préliminaire, pour servir à l'histoire des Turcs., ouvrage anonyme de Claude La Bottière, sur le triste destin de ce prince ottoman exilé en France, puis en Italie où il meurt (empoisonné ?) en 1498.


Pour les fidèles du blog, ils savent mon attachement à une petit ouvrage de Guy Allard, publié à Grenoble en 1673 :
Zizimi prince ottoman, amoureux de Philipine-Helene de Sassenage. Histoire dauphinoise.


Cet ouvrage traite du même personnage, avec un intérêt plus grand pour toute sa vie et ses malheurs au royaume ottoman. La deuxième partie de l'ouvrage, qui traite de son séjour en France, est essentiellement consacrée à ses amours nombreuses. Il n'est pourtant fait aucune allusion à la belle Philippine-Hélène de Sassenage.

Il est illustré de 3 gravures :





Au passage, signalons que certains bibliographes comme Barbier ont dit, à tort, qu'il s'agissait d'une nouvelle édition de l'ouvrage de Guy Allard. Preuve que notre bibliographe n'a pas eu entre les mains un des deux ouvrages, sinon il aurait été vite détrompé. Sur le Zizimi de Guy Allard, cliquez-ici.


Il n'est pourtant pas de Bon Bec que Paris. La lecture attentive des catalogues de ventes aux enchères offre souvent des bonnes surprises. Dans une belle vente en 4 vacations de la bibliothèque d'un érudit mosellan, à Nancy, essentiellement consacrée au régionalisme lorrain, il y avait pourtant une petite section "Montagne" dans la 4e vente. J'y ai trouvé un très bel exemplaire d'un ouvrage d'Henri Ferrand,
Le Mont-Blanc d'aujourd'hui, un des 50 exemplaires du tirage de tête, dans une très belle reliure de Stroobants.






Cet ouvrage appartient à une série publiée dans les années 1899-1914 par Alexandre Gratier et Jules Rey à Grenoble, dont je possède déjà
L'Oisans, Le Pays Briançonnais et Grenoble, capitale des Alpes françaises (pour plus de renseignements, cliquez-ici).

Il est contient un beau portrait d'Henri Ferrand en alpiniste, devant un paysage peint représentant le Mont-Blanc.



Pour finir, on m'a livré et installé un complément de bibliothèque, qui doit me permettre de ranger tout ce qui s'entassait de façon un peu désordonnée dans ma bibliothèque :


J'ai du travail de rangement ! D'autant plus que je voudrai en profiter pour rationaliser le classement et répertorier l'emplacement des livres. En effet, il m'arrive de plus en plus souvent de chercher longtemps, parfois en vain, un ouvrage que je sais avoir (peut-être est-ce aussi l'âge !).

Je crains qu'à peine elles seront pleines que je retrouverai mon problème de place et de rangement. Ce qui me rassure, c'est que c'est le lot commun de beaucoup de bibliophiles un peu bibliomanes.

lundi 12 avril 2010

"Le guide du botaniste en Dauphiné", de l'abbé Ravaud

Le bon abbé Ravaud, curé de Villard-de-Lans, a parcouru le Dauphiné à la recherche de plantes. Il a exploré essentiellement les environs de Grenoble et les massifs de la région : Belledonne, Chartreuse, Oisans, etc. Il a publié le résultat de ses herborisations dans 13 brochures, parues entre 1881 et 1894 dans la Bibliothèque du Touriste en Dauphiné, sous le titre générique de Guide du botaniste en Dauphiné, chacune étant la description d'une excursion.



Ce sont deux de ces excursions que je viens d'acquérir :

- 11e excursion. Isère et Hautes-Alpes.


-13e excursion, comprenant le Briançonnais, le Queyras et le Mont-Viso.

Pour en savoir plus, cliquez-ici.

Ce sont deux rares petites plaquettes. En 15 ans de chine dauphinoise, c'est la première fois que je les rencontre.

Dans les principaux lieux où il s'arrête, l'abbé Ravaud décrit les plantes qu'il rencontre. Il s'agit essentiellement d'ouvrages descriptifs , contenant de longues listes de plantes.


La 13e excursion est entièrement consacré aux Hautes-Alpes, surtout le Queyras qu'il explore en tous sens. C'est sa dernière excursion. Il conclut : "Voilà nos excursions terminées : l'âge et nos forces amoindries ne nous permettront plus, sauf quelques rares exceptions, de renouveler les herborisations que nous avons eu le plaisir de faire, et comme en la plupart des choses de ce monde, c'est par un adieu qu'il faut finir". Il a alors 72 ans. Il termine par un chaleureux souvenir et un rappel de tous les plaisirs que lui a amenés la botanique, répondant à ceux qui n'y voit "qu'une science de noms, aussi vaine que frivole" : "ils ne savent ni voir, ni réfléchir, ni comprendre". (on pourrait aussi appliquer cela à la bibliophilie !).

Une des deux brochures a servi d'exemplaire de travail. La 13e excursion contient de nombreuses annotations manuscrites, certainement par un botaniste qui a fait lui-même l'excursion à la recherches des plantes décrites. La couverture est abîmée et a été réparé avec un adhésif. Faut-il acheter un exemplaire en si piteux état ? Même si ce n'est pas un exemplaire de bibliophile, il respire la vie que doivent vivre certains livres. De plus, rare comme il est, il est fort peu probable de le trouver en très bon état, encore moins dans une belle reliure.

Pour finir, un beau livre de récits de courses en montagne, par un des pionniers de l'exploration des voies difficiles du massif des Ecrins dans les années 20, Jean Vernet : Nos amies les cimes, publié en 1948 chez J. Susse.



J'en recommande la lecture, en particulier pour la qualité du style.

Malgré la piètre qualité de ces reproductions, j'aime particulièrement ces photographies en noir et blanc du massif des Ecrins.

La face sud des Ecrins et le Glacier Noir


Ailefroide depuis le Plan du Carrelet


Une vue inhabituelle de la barre des Ecrins, point culminant du massif (4103 m.)

Les photos ont été prises par Georges Vernet, mort à Dachau en 1945. Son frère Jean lui dédie ce livre dans un texte liminaire d'une grande tendresses retenue.

lundi 5 avril 2010

Les libraires briançonnais à Lisbonne au XVIIIe siècle

Lorsque on se promène dans les rues de Lisbonne en étant attentifs, on remarque des librairies qui portent encore des noms visiblement français :


La librairie Bertrand, de la Rua Garrett, encore installée au rez-de-chaussée d'une bel immeuble couvert d'azulejos.

La librairie Aillaud & Lellos dans la Rua do Campo


Ce sont les restes de la forte présence de libraires français au Portugal depuis le début du XVIIIe siècle, jusqu'au XIXe siècle, l'apogée de la librairie française au Portugal se situant dans la deuxième moitié du XVIIIe.


Chose plus étonnante, presque tous ces libraires venaient de quelques villages du Briançonnais, dans les Hautes-Alpes : Le Monêtier-les-Bains, La Salle les Alpes et Pelvoux. Ils faisaient partie d'une vaste mouvement d'émigration temporaire et définitive depuis ces hautes vallées alpines qui a essaimé à travers toute l'Europe du Sud. On trouve des libraires briançonnais en Espagne (Madrid, Barcelone, etc), en Italie (Turin, Rome, Gênes, etc) et au Portugal. Ils ont même poussé leurs ramifications jusqu'au Brésil. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, au moins 14 des 17 libraires de Lisbonne sont briançonnais. A Coimbra, ils sont 5 et à Porto, 6. Les noms les plus célèbres sont Borel, Bertrand, Aillaud, Orcel, Rey, Gendron, Collomb, Reycend, Mallen, etc. La première mention d'un libraire français est l'annonce en 1727 dans la Gazeta de Lisboa pour Pierre Faure, vendeur d'estampes. Les frères Bertrand, liés à Pierre Faure, originaires du Monêtier-les-Bains, furent parmi les premiers installées en 1732 (pour un historique en portugais, cliquez ici).

Ce phénomène assez unique a été pour la première fois étudié par un érudit briançonnais Aristide Albert, dans une petite plaquette parue à Grenoble en 1874 :
Le maître d'école briançonnais. Les Briançonnais libraires.


L'émigration temporaire des instituteurs est un autre phénomène briançonnais, que je ne détaillerais pas ici, mais qui est lié à celui du réseau européen de libraires. Tous deux trouvent racine dans le même terreau favorable : un haut niveau d'instruction, une obligation d'émigration temporaire (qui était probablement aussi un goût), un sens du commerce, le goût d'entreprendre et la pratique de vertus comme le travail, l'épargne, une grande sobriété de vie. Ce terreau favorable est très probablement le résultat des conditions de vie difficile des régions alpines.

François Grasset, ancien premier commis chez les Cramer, libraires établis à Genève, écrit à Malesherbes en 1754 que :
le commerce de la librairie en Espagne et au Portugal, de même que celui de beaucoup de villes d'Italie est tout entre les mains des Français, tous sortis d'un village situé dans une vallée du Briançonnais, dans le Dauphiné. Ces gens, actifs, laborieux et extrêmement sobres, passent successivement en Espagne et s'allient presque toujours entre eux. [...] non seulement le commerce de la librairie est dans leurs mains, mais encore ceux des cartes de géographie, d'estampes, horlogerie, toiles, indiennes, bas, bonnet, etc.
Malesherbes lui-même écrivait :
J'ai appris par hasard qu'il se fait un grand commerce de livres imprimés en France, avec l'Espagne, le Portugal et l'Italie. C'est peut-être même le seul commerce actif que fassent les libraires français; car en Allemagne, en Hollande, en Suisse et ailleurs, on aime mieux contrefaire nos livres que de nous les acheter, parce que nos libraires les vendent trop cher. Ce commerce d'Italie et d'Espagne a pour objet des livres à l'usage de ces deux Nations, qui s'impriment à Lyon et dans d'autres villes méridionales [dont Avignon], et ce sont des marchans ambulants ou colporteurs qu'on appelle Bisoards, et qui habitent aux environs de Briançon qui tous les ans descendent de leurs montagnes pour faire des pacotilles de livres à Lyon et ailleurs, et vont eux-mêmes les porter jusqu'à Cadix et en Sicile.

Pour la première fois, Aristide Albert donnait une liste des libraires briançonnais installés au Portugal.

Lisbonne
- Borel frères et Martin, venant de La Salle les Alpes
- Bertrand, Aillaud, Pierre et Georges Rey et Orcel du Monêtier-les-Bains
- Dubeux frères et Sémion, de Pelvoux

Coimbra :
Jacques-Antoine Orcel, de Monêtier-les-Bains.

La meilleure synthèse récente a été donnée par Laurence Fontaine : Histoire du colportage en Europe. XVe - XIXe siècle, Paris, 1993, avec un chapitre complet sur les libraires briançonnais : III - Réseaux de libraires et colporteurs de livres en Europe du Sud (XVIIIe siècle), pp. 69-94 et, en annexe, Libraires briançonnais en Europe au XVIIIe siècle (pp. 263-272), liste de plus d'une centaine de noms et bibliographie.


Elle met particulièrement bien en évidence la force et la solidarité des réseaux familiaux, au sein d'une communauté de libraires qui couvre l'Europe du Sud. Ce réseau permet le passage et les allers-retours entre le colportage, qui est probablement à l'origine de toute cette dispersion, et la librairie. Autre aspect, l'importance de la diffusion du livre contrefait et/ou interdit. On retrouve quelques grands libraires suisses comme les Cramer ou la Société de Typographie de Neuchâtel comme fournisseurs de ces libraires français au Portugal. Ils ont été les vecteurs de la diffusion d'une littérature "philosophique" dans ces pays. Ils ont pu le faire car ils s'appuyaient sur un réseau solide, fiable pour contourner les interdictions et inspirant confiance aux libraires suisses. Ce réseau n'était évidemment pas uniquement dédiée au livre interdit. Il servait aussi à faire circuler la marchandise. Cette page de titre montre une livre portugais publié à Paris en 1827 par 3 libraires briançonnais, installés à Paris.


Parmi les libraires qui diffusent le livre au Portugal, on retrouve, à une exception près, les libraires briançonnais et, parfois, les mêmes noms.


Pour ceux qui comprennent le portugais, une bonne synthèses sur les libraires français du Portugal :
http://blog-de-historia.blogspot.com/2006/08/os-livreiros-franceses-em-portugal.html

Sur la Société Typographique de Neuchâtel, on peut se reporter à ce message du blog :
"Edition et sédition", de Robert Darnton. Il s'agit là aussi d'une description des réseaux de diffusion du livre "philosophique" qui associent la librairie et le colportage.


Pour terminer ce message, une vue de la vallée de la Guisane, origine de tous les libraires briançonnais. Cette vallée rejoint Briançon au col du Lautaret. Elle couvre le territoire des commune de Saint-Chaffrey, La Salle les Alpes et Le Monêtier-les-Bains.