mercredi 18 août 2010

Le chevalier de Lamanon et l'expédition de La Pérouse.

Un passage à Albi sur le chemin des vacances, agrémenté d'une visite du musée Lapérouse (Jean François de Galaup, comte de La Pérouse est né près d'Albi, comme chacun sait) m'a opportunément remis en mémoire une petite curiosité bibliographique concernant l'histoire naturelle du Dauphiné et plus précisément des Hautes-Alpes.


Le chevalier de Lamanon, naturaliste né à Salon-de-Provence en 1752, a porté ses recherches sur la géologie, avec une attention particulière sur le volcanisme. En 1784, il fait paraître un mémoire où il décrit la découverte d'un volcan éteint dans les Hautes-Alpes, plus précisément à côté de la montagne du Vieux Chaillol, dans le Champsaur :
Mémoire litho-géologique sur la Vallée de Champsaur et la Montagne de Drouveire dans le Haut-Dauphiné, par M. le Chevalier de Lamanon, Correspondant de l'Académie des Sciences de Paris, et Associé Etranger de celle de Turin.
Paris, 1784, in-8°, 78 pp., une carte.





Malheureusement, il s'était trompé dans son identification des rochers qu'il avait trouvés sur cette montagne. Cette erreur fut reconnue par Dominique Villars, botaniste de la région, qui fit paraître un
Mémoire sur la prétendue découverte d'un volcan éteint en Haut-Dauphiné, annoncée par M. le Chevalier de Lamanon (Affiches du Dauphiné, 7 novembre 1783), qui était une réponse à la lettre du Chevalier de Lamanon, datée de Saint-Clément le 25 septembre et publiée par les Affiches le 10 octobre. Elle fut aussi mise en évidence par Faujas de Saint-Fond. Par honnêteté intellectuelle, Lamanon préféra détruire ou supprimer l'édition de son mémoire, en n'en gardant que 12 exemplaires. Ecoutons-le s'expliquer sur ce mémoire :
"Depuis l'impression de ce Mémoire, j'ai cherché et trouvé des caractères très distinctifs entre le basalte et le trapp ; d'où il résulte que la pierre de Drouveire est un trapp, comme le pense M. Faujas de Saint-Fond. J'allois faire connaître ces caractères dans un Mémoire très-détaillé sur les caractères distinctifs des volcans éteints, qui est presque achevé ; mais, je suis obligé de tout abandonner pour me préparer au voyage du tour du monde ordonné par le Roi pour le progrès des sciences.
Ne pensant pas que les discussions ci-dessus soyent assez dignes du public, n'étant pas suivies du Mémoire sur les volcans éteints, je prends le parti de le supprimer, et je n'en fait tirer que douze exemplaires."

Cette expédition ordonnée par le roi est justement celle de La Pérouse qui devait partir de Brest en mars 1785, ne lui laissant pas le temps d'approfondir son étude. C'est ainsi qu'il n'existerait que 12 exemplaires d'une des premières études géologiques sur les Hautes-Alpes.

Ce qui est plus romanesque est ce que rapporte le bibliographe Fernand Drujon dans
Destructarum Editionum Centuria, où il recense 100 ouvrages "dont les éditions ont été détruites, en totalité ou en notable partie, par suite d'événements funestes, de catastrophes telles que les incendies, les naufrages, les révolutions". Il affirme en effet que le chevalier de Lamanon emporta avec lui, sur "La Boussole" (un des deux bâtiments de l'expédition) les 12 exemplaires sauvés. L'idée peut paraître curieuse, mais pourquoi pas ? Le destin mouvementée de cette malheureuse édition n'était donc pas terminé. Il devint même tragique. En effet, le chevalier de Lamanon périt dans une échauffourée avec des indigènes de l'île de Maouna, dans l'archipel des Samoa en décembre 1787. Comble de malheur, si tant est que ces exemplaires aient alors survécu, ils ont définitivement disparu dans le naufrage de l'expédition devant l'île de Vanikoro au printemps 1788. Il était dit que ce mémoire serait rayé de la surface de la terre. On connaît des ouvrages comportant des erreurs plus grossières qui ont eu un avenir plus glorieux et qui ont survécu à toutes les misères dont peuvent souffrir les livres.

Cependant, tous les exemplaires n'ont pas disparu. Il y en a un à la BNF, un dans le fonds Dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble, un dans la collection Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes et il y en aurait un à la bibliothèque Saint-Geneviève. On pourrait imaginer qu'il en existe d'autres, soit dans des bibliothèques publiques, soit privées, le mémoire ayant dû être donné ou diffusé par l'auteur avant de reconnaître son erreur.

Pour aller plus loin, un lien vers un site de très bonne qualité où ce mémoire, et plus généralement le travail de Lamanon, sont étudiés (cliquez-ici).

Les deux reproductions ont été extraites de cet article.

Voir aussi la notice Wikipedia sur le chevalier de Lamanon, qui s'intéresse surtout à sa participation à l'expédition de Lapérouse (cliquez-ici).

Pour finir ce billet, je recommande vivement la visite d'Albi, dont cette image donnera un rapide aperçu :


1 commentaire:

Textor a dit…

Voilà que les blogs de bibliophilie reprennent de l'activité avec leur moissons de trouvailles de l'été. Merci Jean Marc pour ce beau billet.
Textor