lundi 28 mars 2011

Epidémies dauphinoises...

Créée en 1778, la toute nouvelle Société Royale de Médecine promut la recherche et l'observation sur le terrain pour collecter, analyser et publier les informations sur les épidémies du royaume. Dans chaque généralité, un médecin est nommé pour suivre plus spécialement les épidémies et faire un recueil de ses observations. Pour le Dauphiné, ce médecin est Jean François Nicolas, qui publie en 1780 un premier ouvrage, fruit de ses observations.
Histoire des maladies épidémiques qui ont régné dans la Province de Dauphiné, depuis l'année 1775.
Grenoble, Imprimerie royale, 1780
(plus plus d'information, cliquez-ici).


Il donne une suite en 1786, pour les observations entre 1780 et cette date :
Mémoires sur les maladies épidémiques qui ont régné dans la Province de Dauphiné, depuis l'année 1780
Grenoble, Imprimerie royale, 1786
(plus plus d'information, cliquez-ici)


Ce sont des ouvrages d'observations médicales et de réflexions théoriques. A l'instigation de l'intendant du Dauphiné, M. Pajot de Marcheval, Jean François Nicolas observe, décrit et analyse les épidémies du Dauphiné. Il donne une place importante à la description du cadre de vie des malades, en introduisant chaque observation par une "topographie" de la région ou du village visités. Chaque mémoire est l'occasion de décrire le pays concerné, sa géographie, son histoire, les habitudes, le cadre de vie, la nourriture des habitants. Chaque observation débute par un rappel des conditions météorologiques de l'année, une description du village et de sa configuration géographique, des remarques sur les conditions économiques et sociales de la population, ainsi que sur leurs habitudes de vie. Ce sont ces observations qui donnent du prix à ces ouvrages. On y trouve aussi une description des symptômes, puis du traitement que le médecin Nicolas a appliqué, mais cela doit surtout avoir de l'intérêt pour un historien de la médecine.

Dans le deuxième ouvrage, il donne un récit d'un voyage à travers le Dauphiné à la découverte des sources d'eaux minérales pendant l'été 1783. Un long chapitre est consacré aux sources d'Uriage. Il évoque aussi les sources du Plan-de-Phazy, dans les Hautes-Alpes et étudie les sources chaudes de Monêtier-les-Bains. A cette occasion, il donne un récit (un des premiers) d'un trajet de Briançon à Bourg d'Oisans par le col du Lautaret.

Dans le même esprit, une petite plaquette écrite par Dominique Villars, médecin et botaniste haut-alpin (Le Noyer 1745 - Strasbourg 1814). Elle a été rédigée avec le chirurgien en chef de l'hôpital militaire de Grenoble, le docteur Cabanne :
Mémoire sur une fièvre putride soporeuse, Qui a régné à l'Hôpital Militaire de Grenoble, depuis le 10 Ventôse, jusqu'au 10 Germinal suivant; Rédigé par les Officiers de santé de l'Hôpital.
Grenoble, an V (1797)
(pour plus d'informations, cliquez ici)



C'est une étude sur une fièvre qui a touché les militaires de la 158e demi-brigade, arrivés à Grenoble le 10 ventôse an V (28 février 1797) en accompagnant des prisonniers autrichiens. La fièvre a duré jusqu'au 10 germinal an V (30 mars 1797). Elle a touché à peu près 150 soldats, sans compter les malades parmi les prisonniers autrichiens. Ceux-ci venaient d'Italie, capturés lors des guerres d'Italie conduites par Bonaparte. Ce sont eux qui amenèrent la fièvre, qu'ils transmirent aux soldats qui les conduisaient.

La démarche adoptée dans cet ouvrage se rapproche d'une des premières études de Villars, contemporaine des ouvrages du médecin Nicolas :
Observations de médecine sur une fievre épidémique qui a régné dans le Champsaur & le Valgaudemar en Dauphiné, pendant les années 1779 & 1780, (cliquez ici), ouvrage qui allie l'observation clinique, la description des traitements et la réflexion théorique sur la maladie.

Dans le même esprit, en plus des deux ouvrages du docteur Nicolas, on peut citer un peu antérieurement :

Epidémie observée [Maladie épidémique observée au Bourg-d'Oysans & à la Grave], par M. Clappier, Grenoble, 1768. (cliquez ici)



La lecture de ces ouvrage me ramène à une réflexion que j'avais déjà partagée sur ce blog. Elle est probablement due à mon manque de connaissance sur la littérature médicale de la fin du XVIIIe. A la lecture de ces ouvrages, j'ai le sentiment que la description des symptômes manquait totalement d'une méthodologie claire. Au lieu de chercher les symptômes communs à tous les malades, ils semblaient se disperser en notant de nombreux faits qui n'étaient probablement pas directement liés à la maladie principale. Ils étaient d'ailleurs extrêmement préoccupés par l'état des urines et des selles. En définitive, le lecture de ces documents ne me semblent pas permettre de faire avancer la connaissance des maladies. Mais, je répète, je ne connais absolument pas cette littérature. Peut-être que tous ces mémoires ont permis, peu à peu, de construire la science médicale et de faire progresser la description et la classification des maladies.

dimanche 20 mars 2011

Faits pour servir à l'histoire des montagnes de l'Oisans, de Léonce Elie de Beaumont, 1829

En 1822, Léonce Elie de Beaumont, jeune et brillant polytechnicien, ingénieur des Mines, est chargé par Brochant de Villiers d'établir la carte géologique de la France. Entre 1825 et 1836, avec son acolyte Dufrénoy, ils parcourent plus de 100 000 kilomètres à pied sur le territoire français.


Ils explorent ainsi une région presque totalement inconnue : le massif de l'Oisans, dans le Haut-Dauphiné, ce que l'on appelle aujourd'hui le massif des Ecrins. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cette région montagneuse et sauvage, actuellement à cheval entre les départements de l'Isère et des Hautes-Alpes, semble presque aussi inconnue que des territoires lointains. Comme le dira Forbes quelques années plus tard, "The soil of Palestine and Egypt is more trodden, and has been more minutely described than many parts of Europe"

Réparant cet oubli ou cette désaffection, Léonce Elie de Beaumont parcourt la région. Il rédige un mémoire sur la description géographique et géologique du massif et tente une explication de l'histoire géologique de ces montagnes. Après avoir présenté son mémoire devant deux sociétés savantes en mars 1829, il pense le voir publier dans le tome V des
Mémoires de la Société d'Histoire naturelle de Paris sous le titre de Faits pour servir à l'histoire des montagnes de l'Oisans. Malheureusement, l'ouvrage tarde à être livré au public. Il obtient donc 50 exemplaires qu'il distribue aux savants de son époque.


C'est l'exemplaire qu'il envoya à François Arago, célèbre homme de sciences de l'époque et futur homme politique de la IIe République, qui vient de rejoindre ma bibliothèque.

L'envoi de Léonce Elie de Beaumont à François Arago :



Pour découvrir cet ouvrage, vous pouvez cliquer-ici.

Au-delà de l'intérêt purement géologique de l'exposé, c'est aussi un incunable, si l'on me permet cette expression, de la découverte du massif des Ecrins, puisque il n'y a pas eu d'équivalent auparavant. Texte peu connu, il semble pourtant avoir ouvert la voie aux futurs "explorateurs" anglais, dont les plus fameux sont Forbes et Bonney (voir, pour plus de détail, la page thématique consacrée à l'Exploration du Haut-Dauphiné : Oisans/Ecrins).

On y trouve aussi la publication, pour la première fois, d'un profil des montagnes du massif, ce qui, à ma connaissance, n'avait jamais été fait auparavant. Ce profil représente le Pelvoux (a) et les montagnes adjacentes vues depuis Guillestre où l'on reconnaît le Pic-sans-Nom (e) et Ailefroide (g).

On peut comparer ce profil avec l'extrait de cette planche de Outline Sketches in The High Alps of Dauphiné, par Thomas-George Bonney, paru en 1865, et une photo récente trouvée sur Internet :




Il y a aussi une des premières évocation de la Meije, qu'Elie de Beaumont appelle encore l'Aiguille du Midi de la Grave :
"La partie inférieure des pentes qui bordent la vallée de la Romanche, au midi de la Grave et du Villard d'Areine, est aussi formée par des couches de ce grand système. Le talus qu'elles constituent s'étend jusqu'au pied des masses escarpées de roches primitives qui s'élevant jusqu'à la hauteur des neiges perpétuelles et couronnées de glaciers, forment les avant-corps du massif de l'aiguille du midi de la Grave qui atteint une hauteur d'environ 4,000 mètres au-dessus de la mer." (p. 24)

En 1830, il retourne dans le massif et procède à de nouvelles observations. Une deuxième édition revue et augmentée est publiée en 1834. C'est la plus recherchée, car la plus complète.

La rareté de l'ouvrage (50 exemplaires !, combien en reste-t-il aujourd'hui ?), son dédicataire, François Arago, si proche d'Elie de Beaumont dont il soutint les travaux, son intérêt pour l'histoire de la découverte et de l'étude des montagnes, font de cet exemplaire un objet bibliophilique hautement désirable, malgré la modestie de sa présentation.

Pour la petite histoire, j'ai acheté cette brochure à une libraire américain de Phoenix, en Arizona. Comme a-t-elle pu arriver là-bas ? J'aurais au moins rapatrié un peu du patrimoine français.

Pour finir par une belle image, ce tableau de Charles-Henri Contencin, représentant la Meije, vendu récemment à Drouot



dimanche 13 mars 2011

Relié ou broché ? Les deux...

Ce samedi j'ai résolu à ma façon ce débat récurrent : faut-il préférer les ouvrages brochés ou reliés ? J'ai choisi d'avoir les deux, pour un même ouvrage.

Il y a quelques années, j'ai acheté une petite curiosité régionale :
Episode de 1815 dans le Briançonnais, par Breistroff.
Grenoble, Imprimerie de Prudhomme, 1850

Sous le pseudonyme de Breistroff se cache le Briançonnais André Latour (1796-1852), président du tribunal civil de Grenoble.
Pour en savoir plus, cliquez-ici.

L'ouvrage est relié. Certes, ce n'est pas une reliure prestigieuse, mais plutôt une honnête basane aubergine (un peu passée) ornée de fleurons dorés, un peu à la manière romantique. Mais j'aime bien sa provenance très locale comme l'indique une note du contre-plat.


Ce samedi, chez un libraire parisien, je suis tombé sur un exemplaire broché du même ouvrage, avec ses belles couvertures jaunes. Je n'ai pas résisté, je l'ai acheté et il est venu rejoindre son frère relié. J'avoue beaucoup aimer ces exemplaires dans leurs jus, tels que parus. Les ans ont àpeine entamé la fraicheur de l'ouvrage.


J'en profite pour vous faire découvrir le faux titre et le titre, qui sont un festival de polices :|). Là aussi, j'aime ce goût très XIXe des agencements de polices de caractères.





Pour en venir à l'ouvrage, c'est une évocation très personnelle du blocus de Briançon en 1815 et, plus particulièrement, de quelques événements qui ont touché Saint-Chaffrey (une commune près de Briançon), lors de la présence des Piémontais dans la vallée.

L'ouvrage se présente comme le récit d'un vieillard de Saint-Chaffrey qui se remémore ces pages d'histoire briançonnaise, mêlant des souvenirs historiques – blocus et résistance de Briançon après la chute de l'Empire en 1815 et l'invasion du territoire par les Piémontais et les Austro-sardes – et des épisodes de la vie à Saint-Chaffrey au même moment – les incendies du village et le meurtre d'une femme par son époux, déguisé en mort accidentelle.

Le catalogue du libraire disait : "Sous une forme qui apparaît comme passablement romancée, et donc suspecte quant à l'authenticité de l'anecdote, il raconte un voyage fait à Briançon par la route du Lautaret, sur laquelle il rencontre un vieillard fort disert sur les Cent-Jours ...".

En fait l'authenticité n'était pas si suspecte, encore fallait-il avoir les clés de lecture. Une partie est donnée par Aristide Albert dans une longue notice consacrée à André Latour dans sa
Biographie Bibliographie du Briançonnais. Ensuite, il suffit de se référer à l'état civil de Saint-Chaffrey pour compléter les identifications. Je vous renvoie à la page que je lui consacre sur mon site pour avoir le résultat de mon patient travail d'identification des protagonistes de ce récit. Un jeu de pistes pour lequel j'ai beaucoup de goût, comme vous pouvez le deviner.

Les faits rapportés et les jugements de valeurs sur les habitants du pays, dont certains vivaient encore en 1850, appelaient une certaine prudence, surtout de la part d'un président de tribunal civil à Grenoble. On comprend qu'il ait pris un pseudonyme peu explicite.

Pour finir, il n'est pas nécessaire de préciser que cet ouvrage, si particulier, est évidemment rare. En 15 ans de chine dauphinoise et haute-alpine, je n'ai vu que deux exemplaires. Ils sont maintenant dans ma bibliothèque !

mardi 8 mars 2011

L'alpinisme social

C'est une petite plaquette comme je les aime que je vous présente aujourd'hui. Elle est sans prétention, mais elle représente bien l'esprit du temps :

Emile Roux-Parassac
L'Alpinisme populaire. Le Rôle social de l'Alpinisme.
Préfaces de MM. Armand Chabrand et Henri Ferrand. Avocats. Membres de Sociétés alpines. Lettre de M. le commandant Blazer.
Grenoble, Gratier et Rey, Libraires-Editeurs, 1904



Le fort oublié "barde alpin", Emile Roux-Parassac (Sisteron 23/4/1874 - Bagneux (Hauts-de-Seine) 6/8/1940) a été un infatigable défendeur de ses alpes. Il a patronné la création en 1899 d'un club d'alpinisme réservé aux travailleurs grenoblois dont le "programme peut se résumer en une ligne : «procurer un repos salutaire et un plaisir réconfortant à ceux qui le méritent le mieux, parce qu'il peinent.»"


En 1904, il prononce une conférence devant cette assemblée (une "causerie") où, après quelques généralités sur l'alpinisme et la naissance du sentiment de la montagne, il insiste sur le rôle social de la montagne qu'il résume dans cette formule : "Nous voyons se dresser, derrière les escarpements granitiques, une Alpe idéale, au front de laquelle les rayons du soleil avenir gravent en lettres d'or cet espoir sublime :
Régénération de l'Espèce humaine. L'Alpe mère de la virilité physique et morale, l'Alpe repétrissant l'individu pour reconstituer brin à brin la Société, l'Alpe sociale, qu'on excuse le néologisme mais il a son étonnante actualité."
Bigre !

Les trois premières parties de la conférence illustrent le propos de l'auteur :
I. - L'Alpinisme. Ce qu'il est. - Ce qu'on en pense. - Ce qu'on en fait. - Le culte de la Montagne.
II. - Le rôle de l'Alpinisme. La Montagne méconnue. - Régénération sociale. - L'Ecole des sommets.
III. - L'Alpinisme populaire. Les Sociétés Alpines. - Alpinisme et travail. - Le peuple sur la Montagne.

La composition du comité d'honneur est déjà tout un programme. On y trouve les grands notables de l'alpinisme dauphinois : Armand Chabrand, Henri Ferrand, Paul Guillemin, le Dr Auguste Vagnat, mais aussi quelques grand noms titrés : le prince David Léonidzé ou le marquis Wilfrid de Virieu.

Le texte est daté. Il est rare. Il montre cependant les efforts faits par les notables du tourisme et de l'alpinisme dauphinois pour associer les classes populaires aux plaisirs de la montagne. L'esprit "patronage" de ces tentatives est certes très vieilli, mais il rappelle le temps où les classes aisées se préoccupaient du sort des classes laborieuses, comme on disait alors. Je ne veux pas amener mon lecteur vers des considérations sociologiques, voire politiques, contemporaines, mais les 100 ans qui nous séparent de cette époque représentent-ils vraiment un progrès ?

La vignette au titre représente le Pelvoux vu depuis le refuge Tuckett. Elle est signée Tézier, un illustrateur très actif dans ce milieu à l'époque.



Pour plus d'informations sur cet ouvrage : cliquez-ici.