lundi 23 novembre 2015

Photos anciennes du Briançonnais

Une acquisition récente : un album photographique dépareillé, contenant essentiellement des vues du Briançonnais et quelques vues de Savoie. Il  doit avoir été constitué par un chasseur alpin, car de nombreuses photos représentent des chasseurs alpins. Il peut être daté du tout début des années 1900.
Parmi les 48 photos, j'en ai sélectionné quelques unes :

Briançon et la Croix-de-Toulouse


Briançon : la Petite Gargouille


Briançon : la Petite Gargouille


Briançon : la Durance, sous le pont d'Asfeld


La Durance, Sainte-Marguerite


Briançon : Pont Baldy


Briançon : Champ de Mars


Briançon : Peyre-Eyraute


Briançon : le Château et la chaîne de Montbrison


Briançon : vallée de la Guisane et Grand-Aréa


Col du Lautaret et massif de la Meije


Chalets du Granon


Briançonnais : lac d'Oule


Vallée de Névache :  Plampinet


Vallée de Névache : les Cerces et les chalets de Lacha


Vallée de Névache : cascade de Fontcouverte


Briançonnais : chasseurs alpins à ski


Massif du Pelvoux, depuis le Gondrand (au dessus de Mont-Genèvre)


Crevasses du Glacier Blanc


Glacier Blanc et refuge Tuckett


Mont-Dauphin, rue principale.


Vue de Gap (à noter le clocher de la Cathédrale en construction)


Parmi les photos de Savoie, je n'ai sélectionné que celle-ci :

Mer de Glace

Les photos sont collées sur des feuilles de carton fort, avec une légende manuscrite. La présentation de toutes les planches est similaire à celle-ci, la première de l'album (village de Combloux) :



dimanche 11 octobre 2015

Quand les Grenoblois s’amusaient…

Comme souvent, c'est l'acquisition d'un ouvrage qui m'a amené à m'intéresser aux amusements des Grenoblois au XIXe siècle.

A l'automne 1871, une nouvelle troupe prend possession du théâtre de Grenoble, la précédente ayant visiblement laissé des souvenirs mitigés. Le directeur, un certain M. Stainville, est accompagné d'un régisseur, Adolphe Le Pailleur, qui est aussi auteur, et d'une troupe de comédiens et chanteurs, dont Mme Le Pailleur. Parmi les premiers œuvres qu'ils donnent, dès le jeudi 28 septembre 1871, on trouve La Grande Duchesse de Gérolstein et une comédie mêlée de chants, en 5 actes, sur un auteur dauphinois : Gentil-Bernard. (L'Impartial Dauphinois, dimanche 1er octobre 1871)

Mais, ce que demandait le public de l'époque, c'était, certes, des créations nationales, mais aussi des revues locales. Adolphe Le Pailleur se met à l'œuvre et écrit, sûrement en quelques semaines, une revue :
De Grenoble à la Tronche.Voyage d'agrément en 4 montées et 8 relais.


C'est une œuvre qui mélange des textes,  des chansons, des aires d'opérette, de la musique. C'est le résultat d'une collaboration, plutôt que le travail d'un seul auteur : "Airs nouveaux de MM. E. Chanat & Renard. Musique orchestrée par MM. Ad. Buisson et Delattre. Direction de M. Stainville."


Au-delà de la forme, ce qui devait plaire au public était l'évocation de faits locaux, bien connus de tous : histoire, actualités, personnages historiques, « dauphinoiseries ». etc. La liste des tableaux (les « montées » du titre) donne déjà un aperçu de la variété, on pourrait presque dire le pêle-mêle, des sujets abordés :
Premier tableau. Les sept merveilles du Dauphiné.
Deuxième tableau. Grenoble à vol d'oiseau. Le chant en patois : Le Margotons, est d'Auguste Mouthier.
Troisième tableau. Le réveil de Bayard.
Quatrième tableau. Autrefois et aujourd'hui.
Cinquième tableau. La photographie dauphinoise.
Sixième tableau. Portraits sans retouche., avec une "Ode à l'amour" de Gentil-Bernard
Septième tableau. Une halte à Vaulnaveys.
Huitième tableau. Les eaux d'Uriage.

Visiblement, ces spectacles devaient beaucoup plaire au public, car 2 ans après, le journal local s'en souvient encore :
M. Cadinot s'est posé tout d'abord en continuateur de l'œuvre de M. Lepailleur. Nous lui prédisons un succès pareil à celui qu'avait eu dans notre ville, il y a deux ans, ce regretté régisseur, et nous lui recommandons d'avance la revue de l'année que son prédécesseur avait dû rendre si comique, si vrai et si profitable pour sa caisse et pour celle du directeur. (L'Impartial Dauphinois, 1er novembre 1873).

En 1885, Adolphe Le Pailleur donne une autre revue, qui rappelle quelques souvenirs au critique de théâtre de L'Impartial Dauphinois  :
Nouvelles théâtrales. — Grenoble à tort et à travers. — Ce soir a lieu la première représentation de Grenoble à tort et à travers, « Revue locale », dont l'auteur M. Lepailleur s'est déjà fait connaître par une œuvre du même genre, Grenoble à la Tronche, jouée sur notre scène en 1872. On n'a pas oublié le succès obtenu à cette époque par l'amusant panorama d'actualités locales qui se déroulait au milieu des rires et des applaudissements des spectateurs.
La Revue à laquelle nous assisterons ce soir offre les mêmes attraits, et pour parler plus exactement, elle nous promet des plus agréables surprises. Grenoble, ses environs, ses célébrités, ses industries, ses journaux, son histoire... défilent dans une série de tableaux dont la mise en scène a été l'objet de tous les soins de la direction.
N'en disons pas davantage aujourd'hui ; et attendons cette première représentation, qui sera le prélude d'un long succès : tout Grenoble ira voir sa Revue locale. (L'Impartial Dauphinois, dimanche 1er mars 1885)

J’ai fait l'effort de lire le texte de cette comédie (en partie, pour être honnête…) , pour en conclure que c'est aujourd’hui proprement illisible… Ce n'est pas tant le style, souvent vieilli, ni les faits rapportés, que l’on peut encore bien comprendre, mais c'est tout simplement une forme d’humour et de divertissement qui ne correspond plus à ce que l'on attend aujourd’hui, voire même de ce que l'on considère comme un divertissement. En disant cela, je pense que je n'exprime pas seulement ma propre perception (tout le monde n'est pas sensible au même humour). Il faut aussi dire que le texte n'a pas vocation à être lu, mais joué sur une scène. Il faudrait imaginer le spectacle, comme une opérette (je rappelle que le troupe a aussi produit sur la scène de Grenoble la Grande duchesse de Gerlostein).

A la lecture des différents rôles tenus par Mme Lepailleur, on imagine la diversité des scénettes présentées et la variété des thèmes : Méphisto, La Presse Dauphinoise, M. Collondon, Gentil-Bernard et Eau d'Uriage.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce texte oublié a été numérisé sur Gallica : cliquez-ici.

J'en connais au moins un qui a beaucoup aimé ce spectacle, c'est Paul Couturier de Royas. Quelques jours après la première, qui a eu lieu le samedi 27 janvier 1872, le libraire Maisonville de Grenoble, imprime le texte à 100 exemplaires, dont 20 sur un beau papier Hollande, sous une couverture illustrée. Il est annoncé à la vente pour le dimanche 4 février 1872. Paul Couturier de Royas, se porte tout de suite acquéreur de l'exemplaire n° 2.


J'en déduis qu'au-delà du simple intérêt pour une « dauphinoiserie », il a dû suffisamment apprécier le spectacle et le texte, pour le faire relier dans un beau maroquin rouge, au dos richement orné. Comme il se doit, dans les caissons du dos, se trouvent des petits dauphins dorés.



A la vue de ce petit ouvrage précieux, imprimé sur beau papier, on mesure l'écart entre ce monde de la deuxième moitié du XIXe siècle et le nôtre.

Vue actuelle de la façade du théâtre sur le quai de l'Isère

PS :
Je ne préjuge pas que ce qui nous fait rire et nous distrait aujourd’hui sera capable de distraire nos descendants dans 150 ans ! Si tant est qu'il en reste quelque chose, car nos distractions n'ont même plus droit à un support aussi pérenne et solide qu'un beau papier de Hollande (je ne parle même pas d'une reliure en maroquin).

Deuxième PS :
Notre amuseur en chef, Adolphe Le Pailleur (Rouen 1838- après 1922) a été un auteur très prolifique, célèbre et célébré. En fouillant dans les journaux d'époque, on trouve une notice biographique, où l'on voit que sa production a été très abondante (L’Écho des Jeunes, 1er mars 1901 : cliquez-ici). Là-aussi, il n'en reste quasiment plus rien, même pas une notice biographique dans un dictionnaire, ni de notice Wikipédia… Sic transit gloria

samedi 3 octobre 2015

Un candidat dans les Hautes-Alpes doit prouver qu'il est français et dauphinois ... en 1868 !

A un moment où le débat public est rempli (voire envahi) de considérations sur l'identité nationale, la souveraineté, les étrangers, les Français, etc. etc., il est amusant d'exhumer une petite plaquette où un candidat aux élections législatives de 1869 dans les Hautes-Alpes se trouve devoir défendre en même temps ses qualités de Français et de Dauphinois pour répondre aux accusations malveillantes de ses adversaires.
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En 1869, dans le cadre de la libéralisation du Second Empire, des élections législatives sont organisées, ouvertes à d'autres candidats que les candidats officiels, soutenus par le gouvernement. Georges Guiffrey, parisien d'origine, mais déjà conseiller général des Hautes-Alpes (canton de La Grave), veut se présenter face au candidat officiel, Camille Duvernois, et à un candidat de l'opposition, ancien député et opposant au second Empire,  Cyprien Chaix. Visiblement, dans cette campagne sans concession, on (sans que l'on sache exactement qui) met en doute la double qualité de français et de dauphinois de Georges Guiffrey. Pour répondre à cette attaque « Point d'étranger », il rassemble « des documents authentiques, irréfragables : actes notariés, pièces de greffe ou d'état civil, le tout légalisé, que l'on tient à la disposition des incrédules ou même des simples curieux, et dont les originaux reposent dans les dépôts d'archives paroissiales et communales. », avec l'objectif de prouver ses origines française et dauphinoise à la fois. Cela nous vaut cette petite plaquette qui retrace l'histoire de sa famille, depuis les premiers Guiffrey, originaires de Bardonnèche, au XVIe siècle. C'est Jean-Baptise Guiffrey, le bisaïeul de Georges Guiffrey, qui s'est installé au début du XVIIIe siècle près de Lyon, « pour demeurer Français comme tous ses aïeux », quittant « la vallée de la Haute-Doire, qu'un traité politique venait de détacher de la France et d'unir au royaume sarde. » Un rappel historique est nécessaire. Certaines vallées aujourd'hui italiennes, comme celle de Bardonnèche, appartenaient aux Briançonnais depuis le moyen-âge. Partant de là, elles étaient dauphinoises et, donc françaises, jusqu'au traité d'Utrecht de 1713, qui les rattachèrent au royaume de Piémont-Sardaigne. C'est cette histoire particulière qui explique que, sans bien connaître ce point, il était facile de penser que les Guiffrey étaient à l'origine une famille sarde et donc non française. Remarquons, et je n'en dirai pas plus, que l'on était chatouilleux sur la nationalité à cette époque car on reprochait à Georges Guiffrey une origine (faussement) étrangère ancienne de plus d'un siècle ! Lui-même était né à Paris, d'un père originaire de Saint-Didier-au-Mon d'Or, près de Lyon. Cela aurait dû au moins suffire à le considérer Français sans doute possible.


En conclusion : « Les Guiffrey, Français aujourd'hui comme de tout temps, sont de plus d'origine dauphinoise, enfants des Alpes depuis trois siècles ». Calomniateurs, passez votre chemin !

La fin de l'histoire est que le 24 mai 1869, M. Clément Duvernois, candidat du gouvernement, est élu député par 17 506 voix (28 868 votants, 33 851 inscrits), contre 7 454 voix à Georges Guiffrey et 3 825 à Cyprien Chaix. Remarquons que Clémont Duvernois, pour être lui aussi bien français (il était né à Paris) n'avait aucun lien avec les Hautes-Alpes, ni le Dauphiné. Mais, ce qui est important dans tout cela, et explique son élection, est qu'il était le candidat du gouvernement.

Georges Guiffrey a été élu sénateur des Hautes-Alpes le 9 novembre 1879, réélu le 25 janvier 1885, jusqu'à son décès à Gap le 12 septembre 1887. Il a siégé à gauche. Aujourd'hui, il est surtout connu pour sa traduction de la Foire aux vanités de Thackeray et ses études littéraires sur le XVIe siècle.

Description de la plaquette :
Les Guiffrey dans les Hautes-Alpes et en Dauphiné
Paris, Imprimerie de J. Claye, 1868, in-8° (230 x 148 mm), 16 pp.
Texte introductif, Aux habitants des Hautes-Alpes, signé en fin : Georges Guiffrey, Vice-Président du Conseil général  des Hautes-Alpes, Paris, 15 novembre 1868.
Un exemplaire à la BNF et dans le fonds dauphinois de la BMG.

lundi 14 septembre 2015

Les Briançonnais vus par un inspecteur des Eaux et Forêts au début du XXe siècle.

Une étude documentée sur la situation forestière et pastorale du Briançonnais peut se révéler instructive sur la vision de la société briançonnaise par un fonctionnaire des Eaux et Forêts,  progressiste et acquis aux idées de l'époque sur le développement économique des montagnes, au début du XXe siècle.


Pierre Buffault (1866-1942) a passé deux ans dans le Briançonnais comme inspecteur des Eaux et Forêts. 


Comme il le dit lui-même, il en a gardé des « sentiments d'admiration pour ses beautés naturelles, de sympathie pour ses qualités morales, d'intérêt pour sa situation économique, que le Briançonnais nous a laissés, durables et profonds, après un bref séjour ». Il publie en 1913 :
Le Briançonnais forestier et pastoral. Essai de monographie.
Paris-Nancy, Berger-Levrault, Libraires-Éditeurs, 1913, in-8°, 232 pp., 3 cartes et un schéma dans le texte, 11 planches hors texte avec 22 photographies en noir et blanc.

Je vous laisse découvrir ses points de vue  sur les politiques de reboisement des montagnes, de restauration des pâturages et sur la transhumance (cliquez-ici). Ce sont souvent des points de vue modérés et respectueux de la situation locale. Ce que je veux surtout mettre en exergue, c'est sa vision des Briançonnais, dans un chapitre particulièrement consacré à l'Étude de l'habitant. J'ai sélectionné quelques extraits, qui en disent probablement autant sur les habitants du Briançonnais que sur celui qui les regarde et les décrit. 

Dans le chapitre : Hygiène. Maladies :
Ce qui caractérise le plus, malheureusement, ces populations du Haut-Dauphiné, c'est l'absence absolue d'hygiène et même de simple propreté, sauf de rarissimes exceptions.
L'usage de l'eau et des ablutions est totalement ignoré, bien entendu, mais, en outre, on vit dans la crasse et la saleté accumulées, ainsi qu'en témoignent les vêtements tachés et poussiéreux, les cols de chemise noirs de crasse, les enfants malpropres, les intérieurs de logis jamais nettoyés

Dans beaucoup de villages, notamment en Vallouise, on couche l'hiver dans des draps en laine ou même dans des peaux de mouton plus ou moins mal mégissées. Ces peaux ne sont jamais nettoyées et servent à plusieurs générations; ces draps ne sont lavés qu'une fois par an, à Pâques; c'est assez dire dans quel état peu engageant et antihygiénique se trouve cette literie

Les deux maladies qui sévissent dans le Haut-Dauphiné et en sont caractéristiques — bien qu'en décroissance cependant — sont le goitre et le crétinisme. [...] Il nous semble que les causes principales, primordiales de ces deux affections, sont le manque d'hygiène, l'insuffisance d'alimentation et les rapprochements consanguins multipliés que comportent les mœurs des populations briançonnaises les plus arriérées (Vallouise et Saint-Chaffrey), précisément celles qui présentent le plus de goitreux et de crétins.

Nous ne pouvons oublier l'impression éprouvée lors de notre premier passage dans certain village de la Vallouise : de petits hommes, que nous prîmes d'abord pour de jeunes garçons, nous saluaient avec un sourire hébété sur leur visage glabre, à peau ridée, parcheminée et jaune ; des femmes, assises au soleil devant leurs maisons, tricotaient, littéralement couvertes de mouches; plus loin, un idiot, bizarrement accoutré, somnolait, accroupi au soleil, sur le seuil d'une porte, couvert lui aussi de mouches innombrables; sur les balcons des maisons ou sur des cordes tendues séchaient des effets et surtout des draps de laine roussis par l'usage et lieu d'élection encore d'essaims de mouches avides; les portes des maisons laissaient entrevoir des écuries ou des logis sales et sombres; du fumier et des excréments d'animaux se voyaient partout auprès des maisons et dans la rue, et toute cette misère et cette malpropreté contrastait douloureusement avec le soleil éclatant et l'idéal azur du ciel.
Dans le chapitre : Mentalité. Caractère :
Ils sont généralement intelligents, aptes au commerce, adroits en affaires, méfiants, mais honnêtes.
Très économes et sobres, ils se contentent de très peu. Mais ils ne sont vraiment ni laborieux, ni ingénieux. Indolents en même temps que sobres, ils recherchent plutôt le moindre effort. Sous ce rapport, ils participent du tempérament méridional.

Très routiniers, ils ne tirent cependant pas tout le profit possible et rationnel des ressources de leur pays. Pourtant ils sont instruits et supérieurs sous ce rapport à bien d'autres régions de France.

Très attachés à leur pays [...], ils ont le caractère indépendant, l'amour de l'égalité et de l'équité, qualités chez eux héréditaires. Ils n'en sont pas moins respectueux de l'autorité et fort déférents avec les fonctionnaires. A ces derniers, ils promettent d'ailleurs aisément ce qu'on leur demande, mais sans l'intention ferme de tenir leur promesse.

La méfiance qui est dans le caractère de tout montagnard et de tout paysan dispose encore peu le Briançonnais aux associations corporatives.
Dans le chapitre : Processivité. Criminalité :
Les Briançonnais sont très peu processifs et procéduriers. On doit leur adresser des éloges à cet égard et les féliciter de leur esprit d'équité et de concorde.
Les justices de paix n'ont que des affaires peu nombreuses et insignifiantes et il en est à peu près de même du tribunal civil.
Les affaires correctionnelles ne sont non plus ni nombreuses ni graves, en général. Les vols sont fort rares.

En somme, c'est une population de braves et honnêtes gens.

Dans la Vallouise, les incendies, même les assassinats, ne sont pas rares et sont la manifestation d'inimitiés de village et de querelles de voisins. C'est une sorte de vendetta, de justice par soi-même. On met le feu chez celui-ci pour se venger de tel acte ou de telle parole, et il y a tel créancier qui se garde de réclamer son dû à ses débiteurs de peur de représailles farouches. Généralement, les auteurs de ces crimes restent inconnus, leurs concitoyens, par sympathie ou par peur, faisant autour d'eux la conspiration du silence. On prétend aussi que le vol et le viol sont commune en Vallouise.
(pour télécharger la totalité du texte, cliquez-ici).

Après tout cela, je suis heureux de penser que mes ancêtre briançonnais « étaient de braves et honnêtes gens ». Ouf ! L'honneur est sauf. Et encore, je n'ai pas d'ancêtres en Vallouise. Je n'ose imaginer l'idée que je m'en ferais après avoir lu Pierre Buffault !

dimanche 6 septembre 2015

Conflit à propos de la route du Lautaret entre les préfets de l'Isère et des Hautes-Alpes... en 1804 !

En ces temps où la route de Grenoble à Briançon par l'Oisans et le Lautaret est coupée depuis le mois d'avril et qu'il y a des "chamailleries" publiques entre l'Isère et les Hautes-Alpes (et les régions concernées) à propos du financement du rétablissement de la communication, il est amusant de ressortir un Mémoire de 1804 sur le même sujet : Mémoire pour la ville de Gap, S.l.n.n, An XII de la République [1804], in-8°, [2]-25 pp., signé en fin : « Gap, le quinze germinal, an douze de la République française. Le Maire de la ville de Gap, BLANC. » [Le 15 germinal an XII correspond au 5 avril 1804.]


A l'époque, c'était l'Isère qui était le farouche défenseur de cette route,  en assurant un financement de 500 000 francs pour sa construction, alors que les Hautes-Alpes, par la voix de son préfet (ou de son porte-parole), étaient farouchement opposées à cette construction. Gap craignait alors d'être économiquement et politiquement marginalisée à partir du moment où les communications entre la France et l'Italie via le Mont-Genèvre pourraient se faire directement par la route du col du Lautaret, sans passer par Gap. Les arguments avancés étaient essentiellement sur les risques et les difficultés de cette route. Il est amusant de voir qu'ils craignaient : "les bancs énormes de roches schisteuses", crainte qui s'avère aujourd'hui fondée, puisque c'est ce qui est en train de se passer au-dessus du lac du Chambon, où une masse de près d'un million de m2 de schiste est peu à peu en train de s'écrouler, coupant la route depuis des mois.


Le rédacteur du mémoire insiste surtout sur les dangers et les risques d’impraticabilité de la route. Ils sont intéressants à rapporter, car, en filigrane, c'est aussi une image de la montagne et de ses dangers, qui est rapportée. J'en extrais ces quelques passages :
On avance de la sorte jusqu'au Mont-de-Lans, montagne escarpée et toujours périlleuse, et de là, jusqu'à l'affreuse Combe-de-Mallaval.
Ici, le voyageur le plus impassible ne peut s'empêcher de reculer d'effroi; des bancs de rochers suspendus sur sa tête, et à chaque instant près de s'écrouler, menacent de l'engloutir au fond des précipices. Des avalanches dont le bruit retentit au loin, semblent lui montrer une mort certaine;
[...]
On dit qu'on a le projet d'élever la route sur l'un des flancs d'un rocher à pic; mais pense-t-on se jouer ainsi des obstacles de la nature ? Qu'on élève le chemin tant qu'on voudra, le pays en sera-t-il moins horrible ? les quartiers ou plutôt les bancs énormes de roches schisteuses seront-ils mieux assujettis à leurs masses, lorsque les eaux pluviale les pénétreront en automne, en hiver, au printemps ? les amas de neige resteront-ils suspendus au sommet, quand les chaleurs les détacheront des pentes sur lesquelles ils reposent ? 
[... ]
Arrivé entre la Grave et le Villard-d'Arènes, le voyageur est encore menacé d'un péril imminent. Là gît une vaste ardoisière décomposée par l'infiltration des eaux; il s'échappe à tout moment de son sommet des blocs de schistes qui roulent avec fracas dans le torrent. 
[...]
Nous nous hâtons d'arriver au Lautaret. Cette montagne offre, pendant quelques mois, des pâturages riches et émaillés de fleurs; mais pourquoi nous dire d'un ton affirmatif : la tourmente n'y est jamais dangereuse;[...]
Voila des faits qu'attesteront tous les habitans de cette contrée sauvage, et quoique vous ajoutiez qu'on ne cite pas de malheur qui y soit arrivé, ils vous avoueront que dans un grand nombre d'occasions, ils ont retiré des cadavres du milieu des fondrières, où des amas énormes qu'avait formés l'éboulement des terres des rochers ou des avalanche.
[...] Vous reste-t-il un mois ou deux sans autre danger que celui des tourmentes, dites-nous si, même en supposant que les talens connus des ingénieurs vous procurent une route aisée, c'est le cas de sacrifier des millions à de si faibles avantages, lorsque tant de projets utiles réclameraient les épargnes du trésor public et celles de vos concitoyens !
Il conclut par : "L'entreprise est impraticable."

L'opposition à ce projet était menée par le préfet des Hautes-Alpes, le baron Ladoucette.  Pour ne pas s'exposer personnellement, et donner le sentiment de s'opposer publiquement à son collègue Fourier de l'Isère, il a fait signer ce mémoire par le maire de Gap, Etienne Blanc. La rédaction en a été assurée par son homme à tout faire et fidèle serviteur, le secrétaire général de la préfecture, Pierre-Antoine Farnaud. Ce qui est amusant est que le baron Ladoucette sera peu après en conflit ouvert avec le maire Blanc. Le différend portait sur un point de forme. Dans sa correspondance administrative, le maire affectait avec persistance de terminer ses lettres au préfet par cette simple formule : « Je suis avec considération... » Le ministre, informé, fait enjoindre au maire d'avoir à suivre la formule officielle : « avec respect. », ce qu'il ne fit pas. Il fut révoqué. Le fond du conflit était probablement, pour reprendre la formulation de Joseph Michel, «la lutte pour l'indépendance municipale contre le despotisme du pouvoir centralisateur ».


Pour consulter la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici.

jeudi 27 août 2015

Les Dynastes, Pierre Van der Meulen, illustré par Samivel, 1948

En février 1942, en plein occupation, paraissait le premier roman du président du Tribunal civil de Valence, Pierre Van der Meulen. Les Dynastes est un roman fantastique dans un village des Alpes au pied d'une montagne inaccessible : enchantement, sorcellerie, vengeance, meurtres, etc. Le village et tous les lieux géographiques ne sont pas situés, mais il est aisé de situer l'action dans les Hautes-Alpes. En particulier, ce village abrite une communauté protestante, ce que l'on ne trouve que dans cette région.

En 1948, Samivel apporte son talent d'illustrateur pour une nouvelle édition, toujours éditée par Arthaud, à Grenoble. Cela donne un beau livre de bibliophilie, comme on les faisait à cette époque, sur beau papier, en feuilles, sous emboîtage. J'ai eu du plaisir à lire ce livre, mais, encore plus, à découvrir les illustrations de Samivel, dont certaines (je pense à l'image de la femme nue, morte), sont inhabituelles chez lui, ou, pour être plus précis, n'appartiennent pas aux images traditionnellement associées à Samivel, peut-être à tort.

Cette édition contient la reproduction de 15 aquarelles de Samivel, qui se répartissent en 6 gravures en tête de chacune des 6 parties et 9 gravures en pleine page.

Les 6 gravures en tête des 6 parties de l'ouvrage :







Les 9 gravures en pleine page :










 
L'édition originale publiée en 1942 contenait 4 planches photographiques en noir et blanc. Pas plus que pour le texte, ces photos ne sont légendées, ni situées.





Pour en savoir plus sur ces deux éditions, vous trouverez plus d'informations en cliquant ici.

J'ai vainement essayé d'en savoir plus sur Pierre Van der Meulen. J'imaginais qu'un auteur de 8 ouvrages, plus quelques contributions, lauréat de 2 prix décernés par l'Académie français, aurait laissé quelques traces. Malgré cela, sur Internet, je n'ai rien trouvé. C'est visiblement un auteur tombé dans le plus complet oubli car on ne trouve aucune notice biographique qui lui est consacrée sur Internet. On ne sait même pas s'il s'agit de son nom ou d'un pseudonyme. Grâce à un entretien accordé au journal Le Journal : « Au tribunal de Valence, quelques instants avec Pierre Van der Meulen », dans le numéro du 12 août 1942 (consultable ici), on apprend qu'il est président du tribunal de Valence en 1942, après des études de droit à Paris, en vue de préparer un doctorat. Il a été lycéen à Grenoble, où il a été condisciple d'Henri Petiot, connu sous le nom de Daniel-Rops. Grâce au catalogue CCFr, on peut reconstituer sa bibliographie. On constate qu'il débute par la poésie en 1938. Son premier roman est Les Dynastes, paru en 1942. Ensuite, les romans se succèdent à un bon rythme jusqu'au dernier, paru en 1947. Après, c'est un silence qui semble complet. On en déduit tout de même qu'être président d'un tribunal sous l'Occupation laissait suffisamment de loisir pour écrire...