samedi 24 mars 2012

Deux dessins de l'Oisans

Aujourd'hui, petite trêve dans la bibliophilie dauphinoise, pour parler de deux dessins récemment acquis. Trouvés sur un célèbre site d'enchères en ligne, pour un prix à la limite du dérisoire, ils représentent deux vues de l'Oisans. Comme je l'ai déjà expliqué ici, les dessins, peintures, gravures, etc. représentant cette région des Alpes sont rares jusqu'au milieu du XIXe siècle. Cela donne d'autant plus d'intérêt à ces deux dessins au crayon. De bonne facture, ils sont signés d'un simple "N" et datés de 1859.

Le premier est un paysage de l'Oisans, croqué soit depuis la plaine de Bourg d'Oisans, soit depuis la vallée de l'Eau d'Olle (il faut que j'y retourne, dessin en main, pour parfaire l'identification, autrement dit, il est temps d'y aller en vacances).



Le deuxième représente la voie romaine de l'Oisans. Je n'ai pas complétement identifié le lieu, mais il doit s'agir du début de la vallée de la Romanche, dans la partie que l'on appelle l'Infernet. Il existe encore des vestiges de la voie romaine, en particulier la porte de Bons.




dimanche 18 mars 2012

Un achat particulier (pour moi) à Drouot : les Transactions du Briançonnais, de 1645.

Acheteur régulier, je reçois des catalogues de ventes aux enchères. Il y a deux ou trois semaines, j'ai reçu le catalogue d'une vente de livres anciens assez généraliste, opérée par la SVV Ader Nordmann, le 13 mars 2012 (expert : Eric Busser).


Je feuillette le catalogue et mon regard est arrêté par un ouvrage qui a tout pour m'intéresser :  Les Transactions d'Imbert, Dauphin de Viennois, Prince du Briançonnais, etc.


Je lis la notice de l'ouvrage (lot n° 56) et, belle et flatteuse surprise, je reconnais ma prose et vois mon nom, comme référence :


L'expert de la vente s'est référé à la notice que j'ai consacrée à l'édition de 1641 de cet ouvrage (pour plus de détails, cliquez-ici), qui avait aussi fait l'objet d'un message sur ce blog :  Deux impressions anciennes de la charte de franchise du Briançonnais, en 1641 et 1788.

La vente proposait l'édition de 1645 que je n'avais pas. Je n'ai pas hésité longtemps pour participer. Après une courte et peu disputée enchère, j'ai acquis cet ouvrage, qui vient utilement compléter ma bibliothèque qui comprenait déjà les éditions de 1641 et 1788 de cette Charte de Franchise du Briançonnais. 



Je lui ai consacré une page (cliquez-ici). On y retrouve les mêmes textes que dans l'édition de 1641, ensemble de textes qui ont pour but de justifier les droites et privilèges du Briançonnais. Au delà de la reprise de ces documents, cette édition se justifie surtout par la publication de la confirmation des privilèges du Briançonnais par le tout nouveau roi de France, Louis XIV (confirmation datée de février 1644). Saine prudence de nos ancêtres qui, à chaque nouveau roi, veillaient à faire reconnaître les droits chèrement acquis de la principauté. Prudence d'autant plus nécessaire que Louis XIV, dans le cadre de sa politique absolutiste, tentera peu à peu de rogner les privilèges des provinces au profit du centralisme royal. Il faudra attendre la Révolution pour parachever le travail de centralisation et d'égalitarisme qu'avait entrepris la royauté, sans toujours se donner les moyens d'y arriver (pour ceux que l'idée d'une continuité entre l'Ancien Régime et la Révolution ne rebute pas, je vous conseille la lecture d'un livre trop (volontairement ?) méconnu d'Alexis de Tocqueville : L'Ancien Régime et la Révolution).

J'avoue avoir trouvé un secret plaisir à acquérir cet ouvrage dont la notice faisait explicitement référence à mon travail de publication de bibliographie dauphinoise sur Internet.  J'ai eu l'impression de boucler une boucle en l'intégrant à ma bibliothèque.

La description de cet ouvrage m'a aussi offert un de ses petits plaisirs que j'affectionne. La page de titre comporte deux ex-libris manuscrits. Le premier que l'on voit bien au centre, encadrant les armoiries, et le second, en bas à droite (on ne le voit pas sur l'image ci-dessus), qui été effacé par mouillage :


Je me suis donné le défi d'identifier ces propriétaires. Pour ceux que cela intéresse, je peux leur expliquer comment j'y suis parvenu, mais j'ai identifié sans doute possible le premier propriétaire. Il s'agit de François Fantin (1619 (?) - après 1695), fils d'un consul de Briançon, dont la signature sur l'acte de mariage de sa fille à Briançon le 14 février 1674 est identique à celle que l'on devine encore sur la page de titre, jusqu'au "f" initiale si caractéristique.


La signature en dessous est celle de sa femme Marguerite Estienne.

Dans ce même acte de mariage, les titres et fonctions de François Fantin sont donnés :


Transcription (en orthographe modernisée) : François Fantin, docteur en droits, avocat au parlement, juge ordinaire des mandements de Bardonnèche et de Névache, garde du petit scel (sceau) de la ville et bailliage de Briançon.
On comprend qu'avec de telles fonctions, il ait eu besoin de posséder un des documents juridiques majeurs du Briançonnais.  C'était presque un outil de travail pour lui.

Pour l'identification de la deuxième signature, c'est plus hypothètique, mais il s'agit peut-être de son petit-fils. Ce qui est sûr est qu'il s'agit d'un docteur en droit, comme l'indique les trois lettre "J. V. D." qu'il a ajoutées en dessous de sa signature : 

C'est l'abréviation de Juris Utriusque Doctor : "Docteur en l'un et l'autre droits", autrement dit en droit canon et en droit civil.

dimanche 11 mars 2012

Essai sur l'origine et la formation des Dialectes vulgaires du Dauphiné, de Jules Ollivier, 1836

Au moment même où se mettait peu à peu en place un système éducatif qui tendait à promouvoir l'usage exclusif du français au sein de la population, les érudits locaux s'intéressaient alors aux "patois" régionaux. Pour le Dauphiné, le premier ouvrage exclusivement consacré à ce sujet est celui de Jacques-Joseph Champollion-Figeac, paru en 1809 : Nouvelles recherches sur les patois ou idiomes vulgaires de la France et en particulier sur ceux du département de l'Isère. Cependant, il ne concernait que l'Isère.

Il faut attendre les années 1830 pour que deux érudits aussi jeunes qu'enthousiastes publient chacun de leur côté des ouvrages qui allaient ouvrir la voie à l'étude des parles régionaux du Dauphiné. Le premier est Paul Colomb de Batines, un gapençais qui utilise l'argent que lui donnait son père pour ses études de droit, pour publier la première Bibliographie des patois du Dauphiné.


Presque au même moment, un autre érudit, aussi juriste de formation, Jules Ollivier, publie un Essai sur l’origine et la formation des dialectes vulgaires du Dauphiné, en 1836.



C'est réellement le premier essai sur les langues régionales du Dauphiné (Drôme, Isère, Hautes-Alpes). En effet, celui de Jacques-Joseph Champollion-Figeac ne concernait que l'Isère, ce qui écartait de fait toutes les langues de la zone provençale. Jules Ollivier lui fera cependant de nombreux emprunts.

Ensuite, Jules Ollivier et Paul Colomb de Batines collaboreront. Ils publieront ensemble une nouvelle version de leurs travaux dans les Mélanges biographiques et bibliographiques relatifs à l'histoire littéraire du Dauphiné. De cette réunion des deux textes, il a été fait un tirage à part de 24 exemplaires : Essai sur l'origine et la formation des Dialectes vulgaires du Dauphiné, suivi d'une Bibliographie des Patois du Dauphiné, Valence, Borel, 1838, grand in-8°, VI-95 pp.

A ce titre, ils font œuvre de pionniers, même si le résultat n'est probablement pas à la hauteur des attentes. Dans son Essai, Jules Ollivier n'identifie par la différence entre le provençal et le franco-provençal qui sont les deux langues que se partage le Dauphiné. C'est pourtant un trait majeur de la linguistique dauphinoise. Quelques années plus tard, l'abbé Moutiers, autre grand spécialiste des langues dauphinoises, se montre sévère : "Jules Ollivier et Colomb de Batines publièrent un aperçu général sur l'origine et la formation des dialectes vulgaires du Dauphiné. Malheureusement l'importance de cette nouvelle publication ne répond que d'une manière imparfaite à l'ampleur de son titre. Elle se perd dans des généralités ne pouvant descendre dans le détail des faits précis faute de matériaux. Le premier essai bibliographique patoise, pour notre province, remonte à cette époque."

Pour plus d'informations sur :
- Essai sur l'origine et la formation des Dialectes vulgaires du Dauphiné : cliquez-ici.
- Bibliographie des patois du Dauphiné : cliquez-ici.


Correspondance

En répertoriant un ensemble de plaquettes, j'ai trouvé une de ces correspondances comme je les aime. Vous allez voir ce que j'appelle une correspondance

La plaquette en question est :
Pouillés de 1516 ou Rôles des décimes des diocèses de Gap et d'Embrun, publiés d'après le Ms. Latin 12.730 de la Bibliothèque nationale., par l'abbé Paul Guillaume
Gap, Imprimerie Jouglard père et fils, 1888.
Comme on le voit le faux titre porte un envoi :
"Au cher "Concelié dou Féliblige". Petit souvenir d'un mauvais accueil fait à Gap le 18 août 1888. P. G." Il s'agit d'un envoi de Paul Guillaume à Victor Lieutaud (1844-1926), érudit, majoral du Félibrige, bibliothécaire à Marseille, puis notaire à Volonne.

Or quelques mois plus tard, l'abbé Paul Guillaume fait paraître des Observations et corrections sur son ouvrage, dans le Bulletin de la Société d'Etudes des Hautes-Alpes, 1888. A la page 330 :

il y a cette précision :

C'est ce que j'appelle un correspondance. Cette petite notation d'une rencontre à Gap le 18 août 1888 se trouve concrétiser par un envoi sur l'ouvrage en question dans cette note. Cela donne comme un épaisseur humaine à une simple note ou un simple envoi. C'est une petite chose, mais cela donne de l'humanité à cet ouvrage lorsqu'on imagine l'abbé Paul Guillaume donnant cette plaquette à son ami, lui rédigeant un envoi puis rappelant cette rencontre quelques mois plus tard en note d'un de ses articles. L'article et l'envoi se trouvent maintenant réunis par le hasard dans ma bibliothèque.

samedi 3 mars 2012

Une petite plaquette de souvenirs briançonnais

Aujourd'hui, je vous présente une de ces petites plaquettes sans prétention qui font mon bonheur. Datée d'Orange, le 6 mars 1893, et signée V.V., il s'agit très probablement d'une impression à très petit tirage, à usage privé (mon exemplaire comporte d'ailleurs des corrections à l'encre). Il n'y a pas de page de titre ni de faux titre : A propos de l'abbé Tane. Souvenirs briançonnais.



Sur ses vieux jours, Victor Vincent, né en 1819 au sein d'un vieille famille briançonnaise, avoué, puis receveur des finances, ressent le besoin de mettre sur le papier certains de ses souvenirs anciens sur Briançon, souvenirs personnels, mais aussi souvenir d'un temps qu'il n'a pas lui-même connu. C'est à travers l'évocation d'un prêtre de la vallée de Névache, Marcellin Tane (1745-1826), qu'il nous fait partager quelques images du passé. Lors de la Révolution, ce prêtre a enseigné aux enfants de la bourgeoisie briançonnaise, dont le père de Victor Vincent.

Un des charmes de cette plaquette est de nous rapporter quelques usages anciens du Briançonnais. J'en ai retenu trois :

La rigueur des hivers était telle qu'il était presque impossible de chauffer les maisons, le bois étant rare et les techniques de chauffages très sommaires (pas de poêles, pas de charbon, etc.). Il n'y avait alors qu'une solution : se tenir dans les étables en hiver. Cela était vrai pour les classes pauvres, mais aussi pour la population aisée : 
Le mode de chauffage, en la froide saison, en imposait une de réelle nécessité : L'anthracite, qui s'exploite maintenant largement, n'est entré dans les ressources locales que depuis 60 et quelques années et le bois était coûteux; c'était donc dans les étables que nos devanciers se réfugiaient, il est vrai, disons vite : très propres elles étaient et disposées pour la destination de ces temps anciens; un espace était réservé, dans la partie le mieux éclairée, assez grand, servant aux soins du ménage, aux repas et aux réunions de la famille, des parents et amis; quelques unes, plus commodes, d'accès plus facile, attiraient les voisins; même les personnes de la haute classe, s'assemblaient pour y passer la soirée; j'ai beaucoup entendu parler, particulièrement, des veillées de l'écurie de M. Bonnot, le sub-délégué de l'Intendant de la Province (Sous-Préfet de cette époque, avant 1790) qui réunissait, durant l'hiver, à chaque soir l'élite de la Société dans l'étable de sa maison, qui était celle portant le N° 3 de la rue Basse du Rempart.


Dans ce pays pauvre et isolé, il y avait tout de même une bourgeoisie qui veillait à l'éducation de ses enfants et à tenir son rang. Une des manières les plus communes pour affirmer une différenciation sociale était le costume. C'est ainsi qu'il décrit la tenue de son père lors de sa première communion, au tournant des années 1800 :

Mon père avait vrai plaisir en ses récits; sa bonne humeur y croissant, il nous faisait alors son portrait tel qu'il était au jour de sa première communion dans l'humble église de Plampinet, mais il ne le pouvait achever sans rire. Représentons nous un jeune éphèbe de 12 à 13 ans, en bel habit en longues basques couleur noisette, gilet de soie verte, culotte de drap bleu, bouclée d'argent sous le genou, bas blancs à côtes et encore boucle d'argent aux chaussures (son père avait envoyé les siennes) enfin haut chapeau monté à deux cornes et la queue se dandinant sous la corne de derrière. Déjà alors il nous était incroyable que telle mode eut existé.

On remarquera la variété des couleurs, probablement signe de richesse (les habits pauvres étaient de la couleur des textiles sans teinture), les boucles d'argent, ornements qui se passent de père et fils, et l'allusion à la queue de cheveux, à une époque où les hommes portaient facilement les cheveux longs.

Ce document, extrait de Les anciens costumes des Alpes du Dauphiné, de Edmond Delaye, peut nous idée de ce costume masculin :


Enfin, dernier souvenir que je rapporte, l'importance du pain dans cette société très agricole. L'usage briançonnais était de faire cuire le pain pour plusieurs mois. C'est ce pain, dur, que les familles fournissaient à leurs enfants en pension chez le curé Tane. Etre capable de fournir du pains pour plusieurs mois était aussi un signe d'aisance, aussi paradoxale que cela puisse nous paraître. Il rappelle au passage que les boulangers n'étaient pas là pour fournir du pain frais aux habitants, mais répondaient aux besoins ponctuels ou exceptionnels. A côté du pain, on voit que la nourriture était frugale : de la viande une fois par an (du mouton), à Pâques, et parfois des truites de la Clarée.

D'après les essais d'Antoine Froment, les hivers étaient encore beaucoup plus rigoureux, les communications interrompaient même entre communes voisines devant les énormes quantités de neige; les marchés nuls ou très rares, alors a dû s'imposer la nécessité, en fin d'automne, de se pourvoir de tous les objets alimentaires; dans chaque maison se sont amassés force salaisons de porc, mouton, etc, etc., et le pain cuit pour toute la durée de l'hiver; même dans les familles les plus aisées, la coutume, encore générale vers 1825, 1830, était de s'avitailler en pain; seulement la provision se renouvelait chez les uns de quinzaine en quinzaine, chez les autres de mois en mois; c'était encore l'âge du pouvoir des vieilles coutumes et traditions. Il y avait donc moins de boulangers, ils ne travaillaient que pour les hôtels, auberges, pour jours de fête et repas d'extra. Aujourd'hui très nombreux ils sont, en plus, donnant à boire, manger, puis café, bière, liqueurs et aussi l'apéritif, nécessairement ! la Civilisation a marché ! n'est-ce pas ?


Un autre intérêt de cette petite plaquette est que l'on y croise comme des connaissances. Une belle page évoque l'érudit Aristide Albert, ami de Victor Vincent. Ce même Aristide Albert a terminé sa bio-bibliographie du Briançonnais, vaste entreprise de biographies briançonnaises qui s'étale de de 1877 à 1895, par une dernière notice justement consacrée à Victor Vincent, comme un devoir de mémoire à son cher Briançonnais et à ses amis du vieux temps.

Je termine là ma description. La petite plaquette contient aussi : 
Projet de nouvelle dénomination pour les rues et places de Briançon, adressé à M. le Maire en 1891.
C'est l'occasion pour lui de rendre hommage aux personnalités briançonnaises. Il reconnaît, mi amer, mi désabusé, que la municipalité de Briançon n'a même pas accusé réception de sa proposition.

Signalons que l'auteur, loin d'être passéiste, se montre un chaud partisan des acquis de la Révolution, d'autant plus qu'il ne se fait pas faute de rappeler que le Briançonnais jouissait d'institutions démocratiques bien avant la Révolution, institutions qui ont ouvert la voie à celles de la France.

Une vue de Plampinet, dans la vallée de Névache, où l'abbé Tane a été curé de 1791 à 1826.



La chapelle Saint-Sébastien de Plampinet contient de très belles fresques du XVIe siècle.



Pour en savoir plus sur ces fresques : cliquez-ici.