Loin de moi l'idée de résoudre cette question qui divise les érudits depuis près de 500 ans, question d'autant plus difficile à résoudre que les textes de
référence de Polybe et Tite-Live sont
contradictoires entre eux. La bibliographie sur le sujet doit d'ailleurs être impressionnante.
Quasiment tous les cols des Alpes depuis la Méditerranée jusqu'au
Léman ont trouvé
leurs défenseurs. En complément, toutes les routes ont
été envisagées pour rejoindre le col pressenti
depuis le Rhône.
Le Dauphiné n'est pas en reste, car tous les grands cols du Dauphiné, qui se trouvent
tous dans les Hautes-Alpes, ont tour à tour été
envisagés. Le plus couramment évoqué, depuis le
début des recherches, est bien entendu le col du
Mont-Genèvre, un des cols majeurs qui permettent de rejoindre la
France à l'Italie. Cette hypothèse est d'autant plus
crédible qu'il s'agit du col de plus basse altitude entre les
deux pays. Ce n'est pas le seul col envisagé dans la
région. Le col de la Traversette, près du Viso, a
trouvé depuis longtemps ses partisans, mais on peut aussi citer
le col de Malaure ou le col de l'Echelle. De même, si la
route par la vallée de la Durance est la plus couramment admise
pour rejoindre le Mont-Genèvre, il existe aussi une grande
variété d'hypothèses, dont certaines par le col du
Lautaret.
Pour ma part, je n'ai pas d'opinion arrêtée, donc je suis partisan de l'hypothèse du col du Mont-Genèvre. Remarquez que ce ne sont pas de longues veilles sur les textes de Polybe et Tite-Live qui m'ont fait arriver à cette conclusion, mais un (regrettable ?) parti pris en faveur de mes montagnes.
Tout cela pour introduire un ouvrage rare d'un polygraphe avignonnais, le comte Fortia d'Urban qui défendit dès 1818 l'hypothèse du Mont-Genèvre, par la vallée de la Durance. En 3 ans, il donna pas moins de 3 éditions à son ouvrage, dont je décris la 3e édition :
Dissertation sur le passage du Rhône et des Alpes par Annibal, l'an 218 avant notre ère.
Troisième édition, accompagnée d'une carte; suivie de nouvelles observations sur les deux dernières campagnes de Louis XIV, et d'une dissertation sur le mariage du célèbre Molière. Paris, Lebègue, Treuttel et Wurtz, Libraires, novembre 1821, in-8°, [4]-XXXII-177 pp., une carte dépliante hors texte.
Troisième édition, accompagnée d'une carte; suivie de nouvelles observations sur les deux dernières campagnes de Louis XIV, et d'une dissertation sur le mariage du célèbre Molière. Paris, Lebègue, Treuttel et Wurtz, Libraires, novembre 1821, in-8°, [4]-XXXII-177 pp., une carte dépliante hors texte.
Revenant aux textes de Polybe et
Tite-Live, Fortia d'Urban détermine le lieu du passage du
Rhône (Roquemaure), l'île des Allobroges (Orange)
et le trajet jusqu'à Turin, en procédant
à une analyse fine du texte et des indications de distances
qu'ils contiennent. Il conclut à une traversée des
Hautes-Alpes passant par la Bâtie Mont-Saléon
(Mons-Seleucus), la vallée de la Durance et le Mont-Genèvre. Manifestement, certaines des conclusions sur le passage du Rhône et l'île des Allobroges ne sont plus retenues. Le mérite du comte de Fortia d'Urban est de s'être référé "aux manuscrits sans
s'arrêter aux textes imprimés tendancieux" comme le souligne Sir Gavin De Beer, dans Route Annibal,
1962 : « Malheureusement, les commentateurs se sont
engagés dès le départ dans une
impasse, parce que les passages-clés des principaux auteur,
Polybe et Tite-Live, quand ils ont été
imprimés, ont été
délibérément
altérés par les premiers éditeurs, qui
les ont ajustés à leurs idées
personnelles. »
La belle carte qui accompagne l'ouvrage permet de voir le tracé envisagé par Fortia d'Urban.
Pour aller plus loin, comme toujours, la page plus complète que je consacre à l'ouvrage : cliquez-ici.
Au passage, vous aurez remarqué, en lisant attentivement le titre, que cet ouvrage ne traite pas seulement du passage des Alpes par Hannibal, mais en profite pour corriger quelques faits à propos de l'histoire de Louis XIV (quel rapport ? aucun !). Comme si cela n'était pas suffisant, une petite dissertation sur l'épouse de Molière, Armande Béjart, n'est pas de trop pour arriver aux 177 pages. Vous comprenez maintenant pourquoi je qualifie le comte (devenu ensuite marquis) de Fortia d'Urban de polygraphe.
Je rappelle à la mémoire de mes lecteurs qu'en 1824 et 1825, William Brockedon parcourt 12 cols
entre la France, la Suisse et l'Italie à la recherche du
passage d'Hannibal dans les Alpes. Il consigne ses descriptions dans un
ouvrage largement illustré paru en 1828 : Illustrations of the Passes of the Alps by witch Italy communicates with France, Switzerland and Germany. J'en extrais cette vue du col de Mont-genèvre, sur la partie qui descend en Italie (la route que l'on voit n'existait pas pour les éléphants d'Hannibal !)
Sur le passage d'Hannibal, je vous renvoie à un billet sur le tour du Mont Viso (cliquez-ici) où j'évoquais l'hypothèse du passage par le col de la Traversette. Pour avoir gravi moi-même ce col, lors de cette randonnée, j'exprimais mon scepticisme : " Pour ma part, je n'ai pas d'opinion fixée sur le passage d'Hannibal à travers les Alpes, mais j'ai trouvé que la montée et la descente [du col de la Traversette] étaient bien rudes, alors j'ai du mal à imaginer les éléphants d'Hannibal sur ce chemin !"
Le col de la Traversette en août 2009