En ces temps où la route de Grenoble à Briançon par l'Oisans et le Lautaret est coupée depuis le mois d'avril et qu'il y a des "chamailleries" publiques entre l'Isère et les Hautes-Alpes (et les régions concernées) à propos du financement du rétablissement de la communication, il est amusant de ressortir un Mémoire de 1804 sur le même sujet : Mémoire pour la ville de Gap, S.l.n.n, An XII de la République [1804], in-8°, [2]-25 pp., signé en fin : « Gap, le quinze germinal,
an douze de la
République française. Le Maire de la ville de
Gap, BLANC. » [Le 15 germinal an XII correspond au 5 avril
1804.]
A l'époque, c'était l'Isère qui était le farouche défenseur de cette route, en assurant un financement de 500 000 francs pour sa construction, alors que les Hautes-Alpes, par la voix de son préfet (ou de son porte-parole), étaient farouchement opposées à cette construction. Gap craignait alors d'être économiquement et politiquement marginalisée à partir du moment où les communications entre la France et l'Italie via le Mont-Genèvre pourraient se faire directement par la route du col du Lautaret, sans passer par Gap. Les arguments avancés étaient essentiellement sur les risques et les difficultés de cette route. Il est amusant de voir qu'ils craignaient : "les bancs
énormes de roches
schisteuses", crainte qui s'avère aujourd'hui fondée, puisque c'est ce qui est en train de se passer au-dessus du lac du Chambon, où une masse de près d'un million de m2 de schiste est peu à peu en train de s'écrouler, coupant la route depuis des mois.
Le
rédacteur du mémoire insiste surtout
sur les
dangers et les risques d’impraticabilité de la
route. Ils
sont
intéressants à rapporter, car, en filigrane,
c'est aussi
une image de la montagne et de ses dangers, qui est
rapportée. J'en extrais ces quelques passages :
On avance de la sorte jusqu'au Mont-de-Lans, montagne escarpée et toujours périlleuse, et de là, jusqu'à l'affreuse Combe-de-Mallaval.Ici, le voyageur le plus impassible ne peut s'empêcher de reculer d'effroi; des bancs de rochers suspendus sur sa tête, et à chaque instant près de s'écrouler, menacent de l'engloutir au fond des précipices. Des avalanches dont le bruit retentit au loin, semblent lui montrer une mort certaine;[...]On dit qu'on a le projet d'élever la route sur l'un des flancs d'un rocher à pic; mais pense-t-on se jouer ainsi des obstacles de la nature ? Qu'on élève le chemin tant qu'on voudra, le pays en sera-t-il moins horrible ? les quartiers ou plutôt les bancs énormes de roches schisteuses seront-ils mieux assujettis à leurs masses, lorsque les eaux pluviale les pénétreront en automne, en hiver, au printemps ? les amas de neige resteront-ils suspendus au sommet, quand les chaleurs les détacheront des pentes sur lesquelles ils reposent ?[... ]Arrivé entre la Grave et le Villard-d'Arènes, le voyageur est encore menacé d'un péril imminent. Là gît une vaste ardoisière décomposée par l'infiltration des eaux; il s'échappe à tout moment de son sommet des blocs de schistes qui roulent avec fracas dans le torrent.[...]Nous nous hâtons d'arriver au Lautaret. Cette montagne offre, pendant quelques mois, des pâturages riches et émaillés de fleurs; mais pourquoi nous dire d'un ton affirmatif : la tourmente n'y est jamais dangereuse;[...]Voila des faits qu'attesteront tous les habitans de cette contrée sauvage, et quoique vous ajoutiez qu'on ne cite pas de malheur qui y soit arrivé, ils vous avoueront que dans un grand nombre d'occasions, ils ont retiré des cadavres du milieu des fondrières, où des amas énormes qu'avait formés l'éboulement des terres des rochers ou des avalanche.[...] Vous reste-t-il un mois ou deux sans autre danger que celui des tourmentes, dites-nous si, même en supposant que les talens connus des ingénieurs vous procurent une route aisée, c'est le cas de sacrifier des millions à de si faibles avantages, lorsque tant de projets utiles réclameraient les épargnes du trésor public et celles de vos concitoyens !
Il conclut par :
"L'entreprise est impraticable."
L'opposition à ce projet
était menée par le préfet des
Hautes-Alpes, le baron
Ladoucette. Pour ne pas s'exposer personnellement, et donner
le
sentiment de s'opposer publiquement à son
collègue Fourier de l'Isère,
il a fait signer ce mémoire par le maire de Gap, Etienne
Blanc.
La rédaction en a été
assurée par son homme à tout faire et
fidèle
serviteur, le secrétaire
général de la
préfecture, Pierre-Antoine
Farnaud. Ce qui est amusant est que le baron Ladoucette sera peu après en conflit ouvert avec le maire Blanc.
Le différend portait sur un point de forme. Dans sa correspondance administrative, le
maire affectait avec persistance de terminer ses lettres au
préfet par cette simple formule : « Je suis avec
considération... » Le ministre,
informé, fait
enjoindre au maire d'avoir à suivre la formule officielle :
« avec respect. », ce qu'il ne fit pas. Il fut révoqué. Le fond du conflit était probablement, pour reprendre
la formulation de Joseph Michel, «la lutte pour l'indépendance
municipale contre le despotisme du pouvoir centralisateur ».
Pour consulter la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici.
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