Ce dont je vais vous parler n'est pas un livre. Cela n'a pas non plus de rapport avec le Dauphiné. C'est pourtant une trouvaille récente que je suis heureux d'avoir ajoutée à ma collection. Il s'agit d'un tableau que je vous laisse découvrir :
Il est signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger/1861" (pour en savoir plus sur ce peintre, voir en fin de message).
Comme on peut le voir, il représente un tombeau avec, en arrière plan, un paysage méditerranéen que l'on identifie immédiatement comme la baie de Naples, avec le le Vésuve fumant légèrement au dernier plan. En s'approchant, on voit que ce mausolée porte une longue inscription :
On peut la déchiffrer avec un peu de patience (et une bonne vue !) :
A la mémoire chérie
de Etienne Janus Girard
Négociant Paysagiste Amateur
Né à St-Alban (Savoie) le XXVIII Décembre MDCCCXX
Décédé à Naples le IV Septembre MDCCCXLIX
La prédilection pour le genre d'art qu'il cultiva
lui mérita de bonne heure
plusieurs mentions honorables.
Fils tendre, frère affectueux,
tu vivras sans cesse dans le cœur de tes parents
et le bonheur que tu goûtes en l'autre vie
peut seul adoucir
l'amertume de leurs regrets.
Priez pour lui
Comme on le voit, le peintre a représenté le tombeau d'un de ses confrères. Mais qui est donc cet Etienne Janus Girard ?
Son acte de baptême dans les registres de Saint-Alban-Leysse, en Savoie, nous apprend qu'il est le fils de Joseph Girard et de Jacqueline Rosset :
Son acte de décès passé le 4 septembre 1849 dans le quartier (Circondario)
San Fernando nous apprend qu'il est mort célibataire le 3 septembre 1849 (et non le 4 comme l'annonce la tombe) à l'âge de 28 ans. Il est appelé Stefano Girard, son prénom ayant été italianisé. Il est alors cartaio, comme son père, dont le prénom a été lui aussi italianisé en Guiseppe. Il vit avec ses parents au 185 de la Via Toledo, la grande artère commerçante de Naples.
En réalité, avant même d'avoir acheté ce tableau, j'en savais plus sur cette famille et la raison de sa présence à Naples en ce milieu du XIXe
Au mois d'août
1821, le pharmacien grenoblois Etienne Breton dépose avec ses fils
une demande pour la construction d'une papeterie au Pont-de-Claix, un hameau proche de Grenoble, célèbre pour son pont en une seule arche au-dessus du Drac. Pour constituer son personnel, il fit visiblement appel à des ouvriers ayant déjà des compétences dans le métier. Justement, à Saint-Alban-Leysse, en Savoie, près de Chambéry, se trouve une papeterie fondée par la famille Aussedat, provenant d'Annonay. On peut imaginer que c'est à ce titre là que Joseph Girard, né à Saint-Alban en 1791, et sa femme Jacqueline Rosset, née au Bourget-du-Lac, sont venus habiter le Pont-de-Claix, où on les retrouve dès 1825. Joseph Girard est alors qualifié de papetier, résidant près le Pont-de-Claix à la papeterie de Mr
Breton, né Saint-Alban (Savoie). Leurs deux premiers enfants, dont Etienne qui nous intéresse ici, sont nés à Saint-Alban. Ensuite, l'ouvrier papetier semble avoir bien évolué. Vers 1830, sans que l'on connaisse la date précise, il s'installe à Naples, on on le trouve qualifié de "negoziante di carta", de "fabricante di carta" ou "cartaio", tous termes que l'on peut résumer sous le titre de "papetier" (Carta est un faux ami en italien; cela signifie papier). Il assurait probablement la distribution des productions de la papeterie du Pont-de-Claix dont on sait qu'en 1838, elle vend 38 % de sa production dans la péninsule.
Dans cet Album scientifico-artistico-letterario. Napoli e sue provincie, publié en 1845 par Borel et Bompard (deux libraires briançonnais installés à Naples !), dans la rubrique : Librai, Ligatori e Negozianti di Carta ed Oggetti da Scrittoio, il est mentionné :
Le "G" pour Guiseppe, soit Joseph en italien.
Joseph Girard et Jacqueline Rosset se sont installés avec leur 3 enfants. Ils auront deux autres enfants, nés à Naples en 1834 et 1836. C'est comme cela que l'enfant Etienne, de Saint-Alban, s'est retrouvé à Naples où il a pu donner libre cours à sa passion pour la peinture dans une ville propice à cela. Cependant, la peinture n'occupera pas toute sa vie, car il contribue aussi, avec son père et ses frères, au négoce de papier qui est en train de faire la fortune de la famille, d'où son qualificatif de "Négociant" sur son tombeau et de "Cartaio" (papetier) dans son acte de décès. C'est peut-être l'origine du prénom supplémentaire "Janus", choisi pour illustrer les deux faces de sa personnalité : négociant et peintre. Il l'a peut-être utilisé comme nom d'artiste.
La présence de la famille est attestée à Naples jusqu'au milieu des années 1850. Ils reviendront s'installer au Pont-de-Claix où il feront construire une belle maison bourgeoise à l'entrée de la ville, au bout du cours Saint-André, en venant de Grenoble.
Une dernière remarque. Même si les liens entre cette famille et la papeterie de Pont-de-Claix expliquent en partie leur présence à Naples et leur activité de papetier, je m'interroge sur le choix de cette destination. N'y avait-il pas déjà un représentant de la famille dans cette ville ? En effet, lors de mes recherches sur Guisepppe Girard, j'ai trouvé une autre personne portant ce nom et ce prénom, d'origine française et installé au début du XIXe siècle aussi via Toledo où il exerçait la profession d'éditeur de musique (il a publié les œuvres de Rossini, Donizetti, etc.) S'agissait-il d'un oncle de notre Joseph Girard, ce qui expliquerait ce regroupement familial. L'enquête continue !
Pour revenir au peintre Etienne Janus Girard, il faut constater que, malheureusement, il ne semble pas avoir signé ses œuvres. J'ai la chance de posséder un de ses tableaux, que m'avait donné une de mes cousines :
Comme on le voit, il est de bonne facture. Je sais qu'il en existe, dispersés dans la famille, ainsi que d'autres que les partages et ventes ont fait disparaître, si l'on peut dire, puisqu'il est désormais impossible de les identifier, à cause de leur anonymat.
Le tombeau d'Etienne Janus Girard existe toujours au cimetière de Poggioreale à Naples. Il a été répertorié dans un inventaire du patrimoine. A ce titre, il a fait l'objet d'une notice (cliquez-ici), illustrée d'une photographie qui met malheureusement mal en valeur le monument :
Comme pour répondre à ce tombeau, tout le reste de la famille Girard, c'est à dire ses parents, ses frères et une partie de ses neveux, jusqu'à nos jours, est enterrée au cimetière Saint-Roch à Grenoble. Hasard ou prémonition, j'ai photographié ce tombeau monumental cet été :
En définitive, pourquoi je m'intéresse tant à ce peintre ? Tout simplement, c'est un de mes lointains oncles. Son frère aîné, Antoine Girard (Saint-Alban-Leysse 9 septembre 1818 - Pont-de-Claix 21 septembre 1896) est l'arrière-grand-père de mon arrière-grand-mère.
Jean Grossgasteiger
Jean Grossgasteiger est un peintre autrichien, né dans le Tirol en 1820, actif à Naples au milieu du XIXe siècle. On le trouve ensuite à Madrid (1862). Sur Internet, on trouve quelques informations, ainsi que quelques œuvres, comme ces deux tableaux dont le style est proche du nôtre.
Napoli, Capo Posillipo con Ischia sullo sfondo
signé et daté en bas à droite : "Jean Grossgasteiger/1857"
signé et daté en bas à droite : "Jean Grossgasteiger/1857"
Napoli dalla collina di Posillipo
signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger./1857"
signé et daté en bas à gauche : "Jean Grossgasteiger./1857"
Dans le même ouvrage dont nous parlions plus haut, il existait à Naples en 1845 un horloger du même nom :
"Grossgasteiger Nicola orologiaio al vico Birri a Toledo numero 2"
Est-ce que, comme Etienne Girard, Jean Grossgasteiger était arrivé à Naples en suivant ses parents ? Il aurait ainsi un destin semblable à celui d'Etiene Girard dont il était le strict contemporain.Peut-être étaient-ils amis et ce tableau était un hommage à un ami trop tôt disparu ?
2 commentaires:
Incursion sur mon territoire ! :) En feuilletant un petit livre difficile à trouver, «Guide de l'étranger à Chambéry et dans ses environs » par Thimoléon Chapperon, 1837, j’avais été étonné qu’il cita un village inconnu, Leysse, alors que je croyais connaitre tous les recoins des pentes du Nivolet, jusqu’au moment où j’ai fait le rapprochement avec St Alban-Leysse. La fusion de ces deux communes ne date que de 1946. Le registre où figure la naissance d’Etienne Girard doit être celui de St Alban, plutôt que de St Alban-Leysse.
La papeterie de Leysse sur la Doria, avait été fondée en 140 par M. Augustin Montgolfier d’Annonay.
C’est émouvant d’avoir su garder le souvenir du nom du peintre qui ne signait pas ses œuvres. Bravo !
Textor
1740
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