Pour paraphraser une phrase célèbre : « Rien de ce qui est dauphinois ne m’est étranger ». C’est en appliquant cette maxime que je me suis attentivement penché sur une vente entièrement consacrée à la gastronomie, qui a eu lieu à Paris il y a quelques semaines. De tout cela, il est ressorti deux acquisitions, à la croisée entre la gastronomie et le Dauphiné.
La première acquisition est un rare mémoire sur le commerce de la viande de boucherie à Grenoble au XVIIIe siècle. L’intérêt de ce texte rejoint aussi les grands mouvements de la pensée économique de cette fin du siècle des Lumières. Le sujet en est simple. Chaque année, un accord était passé entre la municipalité de Grenoble et un ensemble de bouchers sur l’approvisionnement en viande de la ville, avec des quantités définies et des prix fixes, selon les périodes de l’année. L’accord de 1769 a été très mal respecté, les bouchers ne se sont pas conformés aux prix convenus, l’approvisionnement n’a pas été de qualité. Un conseiller au Parlement du Dauphiné, probablement Claude Gaspard Berger de Moydieu, pétri des théories et principes des physiocrates, s’empare du sujet et produit un mémoire, publié en février 1770, pour répondre à la question très simple (et toujours d’actualité, voir le récent débat sur le prix de l’électricité) : "s'il est une méthode sure d'approvisionner suffisamment et constamment les Villes, est-ce d'invoquer l'autorité et de fixer les prix d'une manière juridique, ou d'appeler la liberté, et de laisser jouir les denrées de leur valeur, et les acheteurs se les procurer par des conventions libres ?"
La réponse du conseiller est simple : la liberté du commerce vaut mieux. Il développe sa démonstration en quatre points :
- L'injustice sociale que constitue ce prix unique, et le mécontentement des consommateurs.
- L'absence de rationalité économique du prix unique des viandes de bœuf et de mouton.
- La rareté des bonnes espèces à proximité de Grenoble où les bas prix n'encouragent pas l'élevage.
- La difficulté à obtenir à Grenoble des viandes de qualité, celles-ci allant là où les prix sont plus élevés.
La réponse du conseiller est simple : la liberté du commerce vaut mieux. Il développe sa démonstration en quatre points :
- L'injustice sociale que constitue ce prix unique, et le mécontentement des consommateurs.
- L'absence de rationalité économique du prix unique des viandes de bœuf et de mouton.
- La rareté des bonnes espèces à proximité de Grenoble où les bas prix n'encouragent pas l'élevage.
- La difficulté à obtenir à Grenoble des viandes de qualité, celles-ci allant là où les prix sont plus élevés.
Ce mémoire est publié dans les Éphémérides du citoyen, ou Bibliothèque raisonnée des sciences morales et politiques, tomes IX et X, 1770, le journal des Physiocrates. Sans que l’on sache dans quel ordre les publications ont été faites, le mémoire est aussi imprimé à Grenoble par Faure, sans date :
Mémoire concernant le commerce de la viande de boucherie, par un magistrat du Parlement de Dauphiné
Grenoble, Faure, Imprimeur-Libraire, s.d. (1770), in-12, 125 pp.
Mémoire concernant le commerce de la viande de boucherie, par un magistrat du Parlement de Dauphiné
Grenoble, Faure, Imprimeur-Libraire, s.d. (1770), in-12, 125 pp.
C’est ce rare mémoire qui vient de rejoindre ma bibliothèque. Je dis rare car il n’en n’existe qu’un seul exemplaire dans les bibliothèques publiques, à la BNF. La Bibliothèque Municipale de Grenoble, dans le fonds Dauphinois, ne possède que l’extrait des Éphémérides, ainsi qu’une version manuscrite de ce mémoire.
Ce texte, qui mériterait de plus longs développements, est intéressant car il situe bien la pénétration des idées nouvelles parmi les membres de ce Parlement de Province, parlement dont le rôle a été déterminant quelques années plus tard dans le déclenchement de la Révolution.
Mon exemplaire a appartenu à la bibliothèque de la famille princière Starhemberg, au château d'Eferding.en Autriche (Fürstlich-Starhemberg'sche Familien Bibliothek. *Schloss Eferding*). On peut s’interroger sur l’intérêt de posséder un tel ouvrage dans leur bibliothèque. Il a ensuite appartenu à l'Österreich Bibliothek, dont l’ex-libris qui ne porte que les deux grandes lettres capitales O.B. recouvre totalement le cachet du précédent propriétaire, que l’on ne peut identifier que par transparence.
Juste un mot sur l’auteur du mémoire. Nous avons suivi René Favier, qui l’identifie dans un bon article de synthèse : Le marché de la viande à Grenoble au XVIIIe siècle. In: Histoire, économie et société. 1994, 13e année, n°4. pp. 583-604 (accessible sur Persée). Né à Grenoble en 1732 et mort à La Verpillière en 1807, Claude Gaspard Berger de Moydieu appartient à une famille de magistrats du Parlement du Dauphiné à Grenoble. Conseiller de ce Parlement de 1754 à 1775, il sera ensuite procureur général de 1779 à 1789, jusqu’à sa suppression. Il est aussi l’auteur d’une pièce Jouachim, bey de Tunis, ou le Saut périlleux. Tragédie burlesque en trois actes et en vers, 1781, A Tunis, de l'imprimerie du Divan [Grenoble], composé en 1763, à l'occasion des démêles du marquis Du Mesnil avec le parlement de Grenoble, ainsi que, selon Rochas, d’un mémoire sur la liberté des grains, autre sujet de prédilection des physiocrates.
Pour revenir à un deuxième ouvrage plus gastronomique (la liberté de vente de la viande de boucherie à Grenoble, est-ce vraiment de la gastronomie ?), c’est un exemplaire du tirage de tête de La cuisine dauphinoise à travers les siècles, par René Fonvieille, paru en 1983, qui vient lui aussi orner ma bibliothèque dauphinoise.
C’est un des 8 exemplaires hors commerce reliés en maroquin par Daniel Saporito, un relieur grenoblois bien connu.
Cet ouvrage, bien illustré, est une mine d’informations sur les plats régionaux, aussi variés que l’est la géographie de l’ancienne province. Je tiens à disposition la recette du gratin dauphinois telle que la préconise René Fonvieille.
Pour aller plus loin, sur le site Bibliothèque Dauphinoise, cliquez-ici.
Pour aller plus loin, sur le site Bibliothèque Dauphinoise, cliquez-ici.
6 commentaires:
Belle reliure en effet. Je suis preneur pour la recette du gratin, merci.
Sylvain
Vous seriez sans doute intéressé par le N° 229 Avril /mai 2002 d'art et métier du livre. Il y avait un article sur la bibliothèque de Grenoble et ses fonds et un article sur le relieur de votre livre Daniel Saporito. Si vous ne la trouvez pas, je peux vous faire une copie de ces articles, en échange de la "vraie" recette du gratin Dauphinois, la mienne apprise de source Grenobloise : pomme de terre sel crème et noix muscade (eau,si avant les vacances d'été! ) ? quoi de plus ? ;))
Daniel B.
Bonjour
Très interessée aussi par la recette du fameux gratin !
Merci
Heu pas compassion
Christine
A la demande générale, j'ai répondu par un message de ce jour. Merci de me tenir au courant de vos essais de Gratin Dauphinois.
Pour Daniel, merci de la proposition.J'ai déjà ce numéro. Il se trouve, hasard, que c'est le premier numéro de cette revue que je possède.
Jean-Marc
Bonsoir.
Fait amusant des hasards de l'internet : J'ai découvert cet été que je descendais de la famille du Berger de mes deux xD
Depuis tout petit j'aime beaucoup le gratin : je suis donc très fier de ce dauphinois.
J'aime aussi beaucoup l'agneau et le veau, le mouton, le bœuf, mais clairement, en ces moments, on en mange trop xD
Par contre, j'aimerais bien qu'on surveille de près l'absence de rationalité financière conduisant à l'injustice sociale xD
Et la paix dans le monde xD
...
C'était ma réminiscence évéquo- magistrale xD
Voilà, merci !
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