La très parisienne auteur (auteure ?) de Une Amitié de Femme, roman de mœurs, Paris, 1843, de l'Histoire d'un mobilier, scènes de mœurs, Paris, 1844 ou encore des Entretiens sur les sacrements de baptême et l'eucharistie, 1847, a décidé en 1846 de s'intéresser au Dauphiné. Pourquoi ? On ne sait pas, car rien ne semblait la relier à cette province. Elle fait donc paraître deux articles en juillet et août 1846, dans le Musée des familles. Lectures du soir, dans une série "Voyage en France". Quelques mois plus tard, elle en donne une version largement plus développée :
Le Dauphiné. Histoire. – Descriptions pittoresques. – Antiquités. – Scènes de mœurs. – Personnages célèbres. – Curiosités naturelles. – Châteaux et Ruines. – Anecdotes. – Monuments et Édifices publics. – Coutumes locales.
Paris, Amyot, 1848, in-8°, [4]-388 pp.
Récit d'une excursion dans
le
Dauphiné, depuis Lyon. L'itinéraire suivi
débute
par Vienne, passe par Rives, le lac de Paladru, Saint-Marcellin, le
Royannais, Lans (Villard-de-Lans), Sassenage, Grenoble, Uriage, la
Grande Chartreuse, Vizille, Bourg d'Oisans, La Grave,
Briançon,
le Queyras et finit par Embrun, Gap, Tallard et la Drôme et
Valence. Il s'agit surtout d'un voyage pittoresque, mélange
de
notations sur les paysages, les monuments, les mœurs locales,
avec une attention particulière pour les modes de vie des
différentes classes sociales. Le tout est
complété
de notations historiques, avec, pour certaines personnalités
ou
périodes, des développements plus longs, comme
l'histoire
du Dauphiné, Lesdiguières, le baron des Adrets,
Bayard,
Philis de la Charce, le prince Djeam (aussi connu sous le nom de
Zizime), les hommes politiques illustres comme Barnave, Mounier,
Casimir-Périer, etc. Pour une raison qu'elle ne donne pas,
elle
consacre pas moins de 2 chapitres (sur 20) au seul
Lesdiguières.
Le récit est
donné à la
première personne, comme s'il s'agissait d'un journal de
voyage,
avec de nombreuses anecdotes pour donner un caractère vivant
et
animé au récit : l'orage en allant
à Lans, la
semaine de pluie à Briançon, le colonel qui les
amène au lac de Paladru sans les prévenir, etc.
Pour
renforcer le côté vivant et pris sur le vif, elle
choisit
souvent la forme dialoguée.
Camille Lebrun a-t-elle
réellement parcouru
le Dauphiné ? Certaines notations – je pense aux
glaciers
du Casset – laissent penser qu'elle a réellement
vu le
pays. En revanche, le récit en a probablement
été
arrangé. En une seule rencontre avec une femme et ses enfants en Oisans, elle fait connaissance avec les « Coutumes bizarres des habitans de cette contrée agreste » : la vie quotidienne dans l'étable, la bouse séchée comme combustible, le pain cuit une fois par an que l'on casse à la hache, le mort sous le toit, les colporteurs et, plus précisément, les instituteurs ambulants, etc. (pp. 300-305). Au passage, comme cela arrive plusieurs fois, elle s'étonne qu'une petite fille parle le français, et pas seulement le patois (p. 300).
Et la montagne dans le livre ? Elle passe à La Grave sans même s'arrêter et voir la Meije et ses glaciers. Ce n'est qu'au Casset qu'elle évoque pour la seule fois les glaciers :
A une demi-lieue du Monestier, est un petit hameau nommé Casset où nous allâmes nous promener a pied le lendemain. Vis-à-vis ce hameau, se dresse un glacier dont la rampe excessivement raide nous découragea d’en tenter l’ascension. Le glacier du Casset, haut, dit-on, de 1,600 pieds, est un des contre-forts du Pelvoux qui, lui-même, se rattache au Lautaret ; ce dernier glacier est plus élevé du double que celui du Casset.Nous déjeunâmes dans une guinguette d’où nous avions en vue l’imposant tableau de cette agglomération de montagnes qui, comme tout ce qui est superbe ou terrible, attire et fascine pour ainsi dire le regard de l’homme. La glace amoncelée depuis un temps immémorial et parvenue à un état de solidification qui lui donne une dureté bien supérieure à celle de beaucoup d’espèces de pierre, n’a pas la transparence qui résulte de la congélation éphémère et fréquemment renouvelée des cascades ni des fontaines; sa blancheur mate lui donnerait plutôt de loin l’apparence de marbre poli. Les glaciers des Hautes-Alpes se trouvent presque tous sur la lisière du département de l’Isère. Parfois il s’en détache des blocs volumineux qui roulent de monts en monts, jusque dans les vallées inférieures. Néanmoins, ces incommensurables lits de glace , au milieu desquels se dessinent d’énormes masses simulant des tours, des obélisques, des buffets d’orgue, des forteresses en ruines, augmentent toujours au lieu de diminuer. (pp. 307-311)
Les notations sur les glaciers des Alpes dauphinoises sont suffisamment rares pour que ce passage mérite d'être souligné. Il prend d'autant plus d'intérêt que l'on est à la fin du petite âge glaciaire, moment de la plus grande extension des glaciers dans la région.
Chose curieuse, j'ai parlé récemment du glacier du Casset dans le message consacré à : Sur la minéralogie et la géologie du département des Hautes-Alpes, Émile Gueymard, 1830. Visiblement, dans la première moitié du XIXe siècle, le glacier du Casset avait une telle ampleur qu'il attirait l'attention de tous les voyageurs. En effet, William Brockedon en avait aussi parlé dans Illustrations of the Passes of the Alps, dont la première édition a paru entre 1827 et 1829, récit d'un voyage de l'été 1824.
Aujourd'hui, le glacier est bien en retrait :
Qui est Camille Lebrun ? Après avoir acheté le livre, je suis parti à la découverte de cet auteur. Si son œuvre est bien répertoriée (voir par exemple : http://data.bnf.fr/12203857/camille_lebrun/), sa vie était mal connue. Certes, on savait que Camille Lebrun est le pseudonyme de Pauline Guyot. En revanche, même sa date de naissance n'était pas connue. Je ne voulais pas en rester là. Après quelques recherches, j'ai pu trouver ses dates de naissance et de décès. Dans son acte de décès, il est d'ailleurs préciser qu'elle est femme de lettres, dite "Camille Lebrun". L'identification ne faisait plus de doute. J'en ai profité pour créer une page Wikipédia pour faire partager mes trouvailles. La galaxie "Bibliothèque Dauphinoise" s'enrichit ainsi de pages Wikipédia : Camille Lebrun (vous verrez dans l'historique que le créateur de la page est Bibliotheque-dauphinoise) et de généalogies dans Geneanet : cliquez-ici.
Un dernier mot sur la rareté du livre. Dans le catalogue Perrin, il est dit :
« Ouvrage devenu rare ». Cela peut paraitre étonnant pour ce type de livre. Pourtant, on n'en trouve que 6 exemplaires au CCFr et un seul exemplaire en vente sur les sites Internet de livres anciens.
Lien vers la page consacrée à cet ouvrage sur Bibliothèque-Dauphinoise : cliquez-ici.
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