samedi 11 février 2012

Un peu de politique... à propos d'une plaquette dauphinoise

En ce temps de politique omniprésente, j'ai hésité à présenter plus en détail les petites plaquettes que j'ai brièvement présentées la semaine dernière, parmi mes acquisitions récentes. Pourquoi, me direz-vous ? En effet, les deux plaquettes de Jacques Berriat-Saint-Prix reliées ensemble ne semblent guère propices à la discussion politique :
Recherches sur la législation criminelle et la législation de police, en Dauphiné, au Moyen Age, suivies d'une Notice sur le président de Valbonnais et d'une description des repas d'Humbert II, dernier Dauphin de Viennois.
Paris, Paul Renouard, 1836, in-8°, 67-[1] pp.
Comparaison approximative de la Criminalité en France au XVIIe et au XIXe siècles.
Paris, Joubert, libraire de la Cour de Cassation, 1845, in-8°, 15 pp.



Pourtant, une lecture attentive montre que derrière l'étude savante se cache un discours politique sur l'époque. Avant d'aller plus loin, rappelons que Jacques Berriat-Saint-Prix (1769-1845) est un jurisconsulte grenoblois, qui appartenait à cette bourgeoise montante, libérale et acquise aux conquêtes de la Révolution. Il avait favorablement accueilli la Révolution et a été présent à la fête de la fédération à Paris le 14 juillet 1790.Il fut ensuite favorable à Napoléon qu'il accueillit à Grenoble lors de son retour de l'île d'Elbe.Il est le frère du maire Hugues Berriat et le beau-frère de Jacques-Joseph Champollion-Figeac.


Pour revenir à la lecture politique que l'on peut faire de ces deux plaquettes, on y voit que Jacques Berriat-Saint-Prix souhaite défendre son époque et les évolutions morales et politiques qu'elle connaissait contre tous ceux qui regrettaient les époques anciennes, le « bon vieux temps » auquel devait se référer tous les nostalgiques de l'Ancien Régime. Rappelons que J. Berriat-Saint-Prix a été, dès le début, un partisan de la Révolution, puis de l'Empire. A travers un petit opuscule comme celui-ci, il en profitait pour défendre les valeurs qui étaient en train de se mettre en place, contre tous ceux qui voulaient revenir aux valeurs anciennes de la société française.

Ainsi, dans les Recherches...., il se montre très soucieux de démontrer que les époques anciennes ne le cèdent en rien en termes de criminalité, et donc de législation, à l'époque contemporaine : « Ces recherches servent encore de consolation à l'homme de nos jours. Sans cesse on le prévient contre son siècle, on l'aigrit contre sa situation : la corruption toujours croissante des mœurs de ses contemporains, corruption qu'on suppose démontrée, est l'argument que l'on emploie surtout pour lui faire regretter le bonheur de ses aïeux. Qu'il ouvre seulement le livre des lois des siècles féodaux, et l'amertume de ses regrets diminuera bien vite. ». Il parcourt ensuite par délits et crimes la législation ancienne. Il revient plusieurs fois sur son étonnement que, à une époque où l'on aurait pu imaginer une plus grande pureté de mœurs, la réalité était tout autre. Par exemple, il consacre un très long développement à la prostitution, en particulier dans une longue note en fin d'ouvrage.

Même sa Notice sur les ouvrages du président de Valbonnais est l'occasion de prendre la défense de Voltaire, accusé à tort d'inexctitude à propos des ouvrages sur le Dauphiné de Valbonnais.Une longue note est d'ailleurs un long plaidoyer en faveur de Voltaire et attribue « à l'esprit de parti, les imputations d'inexactitude faites à Voltaire. » On sait l'importance de Voltaire pour la bourgeoisie libérale du début du XIXe siècle. Enfin, la très anecdotique Description des repas d'Humbert II, dernier Dauphin de Viennois. permet à Jacques Berriat Saint-Prix d'affirmer que le plus mal traité des domestiques de son temps était toujours mieux traité que les valets du dernier Dauphin au XIVe siècle.

Une deuxième plaquette, qui n'a rien à voir avec le Dauphiné, nous rappelle inévitablement les débats dont nos journaux sont pleins : le niveau de la criminalité, son évolution et les comparaisons par rapport au passé (Ah le bon vieux temps !) :  Comparaison approximative de la Criminalité en France au XVIIe et au XIXe siècles. Il tente de répondre à la question de la plus ou moins grande « perversité », pour reprendre son mot, entre ces deux époques. Il conclut : « En résumé, nous croyons avoir démontré que, d'après les divers faits énoncés dans notre travail, tout annonce que, avec beaucoup moins de jouissances et de lumières, la société française du XVIIe siècle n'offrait pas moins de penchant au crime, que celle du XIXe. » Mais surtout il remarque : « [La] comparaison avec celle [la position sociale] des criminels de notre temps nous semble une preuve décisive que, loin d'un accroissement de perversité, il y a eu, au contraire, des progrès dans l'amélioration morale du corps social. En effet, depuis de longues années, les crimes les plus grands sont commis presque tous par des personnes appartenant aux classes inférieures de la société, à celles qui sont le plus dépourvues d'instruction ou d'éducation, tandis que, au XVIIe siècle, on y voit participer les bourgeois, les nobles, les prêtres, et même, chose à peu près sans exemple aujourd'hui, les magistrats. » (p. 12). Il poursuit : « Voilà donc les deux premières classes de la société, les prêtres et les nobles, participant aux plus grands crimes ! ». On retrouve dans ces quelques lignes une posture politique qui tend à défendre son époque, ses valeurs, contre ceux qui seraient tentés d'enjoliver le passé. Dans les années 1840, une telle position ainsi clairement exprimée revient à défendre les valeurs de la société bourgeoise libérale face à celles de la société d'Ancien Régime.Au passage, il ne semble pas mécontent de relever les turpitudes des nobles et des curés des temps passés !



Pour ne rien gâcher, ces plaquettes sont présentées dans une reliure janséniste, en plein maroquin violet, signée Ottmann Duplanil. J'en appelle aux possesseurs du Fléty pour m'en dire un peu plus que ce que j'ai découvert sur Internet : Charles Ottmann, né à Strasbourg, a épousé en 1836 à Paris, la fille du relieur Duplanil, d'une dynastie de relieurs active à Paris depuis le début du XVIIIe siècle jusque vers 1830. Il signe alors Ottmann Dupanil. Il a débuté vers 1825. En 1844, il est relieur 67 rue du Four-Saint-Germain à Paris. Il obtient une médaille de bronze à l'Exposition des produits de l'industrie. Il semble avoir été actif jusque vers 1856. Ernest Thoinan : Les relieurs français (1500-1800), 1893 « Le dernier des Duplanil eut pour gendre et successeur le nommé Ottmann, relieur de talent. »


Enfin, il contient un ex-libris : Henri Lambert, avocat, Versailles, avec la devise : « Amor et Labor ». Là aussi, les ressources d'Internet et des états civils anciens en ligne m'ont permis d'esquisser une biographie du propriétaire : Henri Lambert est né à Paris le 3 avril 1827. Avocat, il est mort à Versailles, à son domicile du 123 boulevard de la Reine, le 30 mars 1880. Il a épousé en juin 1861 à Paris, Marie Lassus, fille de Jean-Baptiste Lassus, l'architecte des cathédrales. Henri Lambert était collectionneur et membre de différentes sociétés savantes. Sa bibliothèque a été dispersée à Paris en 1884. On trouve des ouvrages de cette provenance sur le marché ou dans les bibliothèques publiques.


Pour voir la page complète de description de l'ouvrage : cliquez-ici.

Pour clore ce message, une vue de la cathédrale né-gothique de Saint-Jean Baptiste, de Belleville, terminée en 1859), œuvre du beau-père de l'heureux propriétaires de ces plaquettes :


Pour les lecteurs dauphinois, elle rappellera inévitablement la cathédrale Saint-Bruno de Voiron (Isère), œuvre de l'architecte Berruyer, terminée en 1872.


2 commentaires:

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

La bibliothèque de Henri Lambert a été dispersée à Paris en 1884.

Jean-Marc Barféty a dit…

Merci pour l'information. Je mets à jour mon message.