vendredi 27 juin 2014

Gastronomie dauphinoise (bis)

A la demande générale, je vous donne la recette du Gratin Dauphinois, telle que la décrit René Fonvieille dans son ouvrage (voir message précédent). Au passage, je remarque que lorsque on parle de bien manger, il y des commentaires. En revanche, lorsque il s'agit de théories économiques (le prix de la viande doit-il être libre ou pas ?) je sens moins d'enthousiasme, même si je ne doute pas de l'intérêt de mes lecteurs au sujet de cette question cruciale.



Pour en revenir à la recette, elle est précédée de quelque considérations sur l'introduction de la pomme de terre en Dauphiné. La thèse de l'auteur, probablement juste, est que le diffusion de la pomme de terre a largement précédé les initiatives de Parmentier (encore un qui a su gérer son image, avant l'heure des communicants!). Je vous laisse découvrir et, pour les cuisiniers, tester cette recette : La cuisine dauphinoise à travers les siècles, René Fonvieille, pp. 215-217 :

Le « gratin dauphinois » est connu du monde entier, peut-on dire sans trop d'exagération, ce qui est, certes, une référence flatteuse pour un plat régional. Mais cela a eu une conséquence fâcheuse : celle de laisser croire par cette étouffante renommée, que le Dauphiné ne connaît que cette spécialité. J'espère avoir apporté la preuve de la richesse gastronomique de notre province depuis des siècles.

Au point de vue historique, l'erreur fondamentale est de croire que le gratin a attendu Parmentier pour apparaître sur les tables dauphinoises. Un homme d'une vaste culture me disait : « Votre gratin n'a pu être confectionné qu'à la fin du XVIIIe siècle, après les travaux scientifiques de Parmentier ». Je pense avoir démontré (voir dans le chapitre consacré aux légumes, la notice sur la pomme de terre) que les paysans dauphinois ont pu l'apprécier dès le XVIe siècle, car c'est à cette époque que la pomme de terre, originaire d'Amérique, a pénétré en Dauphiné par la Suisse, qui l'avait reçue elle-même de l'Allemagne. Si bien que l'on peut dire que c'est le Dauphiné qui a accueilli la pomme de terre, avant toutes les autres régions de France.

J'ai expliqué aussi pourquoi le gratin de pommes de terre n'est apparu sur les tables distinguées que beaucoup plus tard : par snobisme, après la campagne publicitaire (ce n'était que cela) de Parmentier, encouragé par Louis XVI, qui craignait de mauvaises récoltes de céréales. Cela n'a donc rien d'étonnant que la première mention du gratin dans les documents d'archives dauphinois relatifs aux repas d'apparat ne soit que de la fin du XVIIIe siècle. Le gratin figure dans le menu d'un dîner offert le 12 juillet 1788 aux officiers municipaux de Gap mandés à Grenoble par le lieutenant général de Clermont-Tonnerre (arch. Grenoble CC 1128).

De nombreux ouvrages culinaires donnent la recette du « vrai gratin dauphinois » mais beaucoup comportent des contre-indications graves. La recette est toute simple ; il n'y a pas lieu d'en « rajouter » comme le conseillent certains augures (on pourrait citer de très grands noms).

« Coupez en rondelles fines et d'égale épaisseur (1 mm et demi environ) des pommes de terre d'excellente qualité à chair farineuse (voir plus loin les variétés recommandées)

Prenez de préférence un plat de terre, dont vous frotterez le fond et les côtés avec une gousse d'ail. Ensuite beurrez légèrement.

Déposez dans le plat une couche de pommes de terre, salez et poivrez. Posez ainsi plusieurs lits en assaisonnant chaque fois. Les amateurs d'ail peuvent parsemer chaque couche d'un peu d'ail, mais très modérément, car il suffit d'un soupçon de goût.

Versez dans le plat du lait entier et de la crème, de telle façon que les rondelles de pommes de terre baignent presque entièrement, c'est-à-dire que les dernières rondelles doivent rester légèrement apparentes. On peut ajouter quelques noisettes de beurre.

Mettez le plat au four assez chaud, puis augmenter la chaleur jusqu'à ce que le liquide entre en ébullition. Puis ralentissez un peu et laissez cuire pendant trois quart d'heure environ, ou plus suivant la qualité de la pomme de terre.

Surveillez de temps en temps, pour voir si les pommes de terre n'ont pas trop absorbé le lait et la crème. En ce cas, rajoutez-en. Il faut que le dessus ait pris une belle couleur (le four ne doit pas être trop vif : sinon le dessus serait calciné et les pommes du dessous ne seraient pas cuites à point).

Présentez dans le plat de terre qui a servi à la cuisson, en sortant du four.

Surtout n'ajoutez pas d'œufs ni de fromage. Sinon ce n'est plus le gratin dauphinois. Les œufs privent le gratin du moelleux et de l'onctueux qui sont ses caractéristiques, en y laissant des caillots qui en gâtent l'aspect et la finesse. Le fromage enlève la délicate saveur du lait crémeux.

On peut varier la quantité de crème à mélanger au lait. Agissez suivant votre goût. Certains ne mettent que de la crème ; c'est un peu lourd pour des estomacs fragiles, mais c'est exquis (à condition d'employer de la crème légère, dite Fleurette).

Il va de soi que la qualité des pommes de terre est d'une grande importance. Autrefois, on utilisait celles à chair blanche, moyennes, farineuses, comme « Institut de Beauvais ». Il est préférable de choisir la bintje à chair jaune, qui est moelleuse. On peut se reporter également sur la belle de Fontenay, essteling, viola, arly. Les délicats vous diront qu'après la fin de l'année, il faut utiliser d'autres variétés qui se conservent mieux, ker pondy, par exemple. Il est certain que les pommes de terre de montagne, venues en terre sablonneuse et jamais détrempée, sont les meilleures pour le gratin, car elles sont fondantes. N'utilisez jamais des pommes de terre nouvelles.

Comme l'a indiqué Maurice Champavier avec la pointe d'exagération qui convient à un poète :
Un gratin cuit à point est le régal suprême !
En pays dauphinois, c'est un plat vénéré,
L'élément familial si souvent savouré,
Mets d'été, mets d'hiver et même de carême...
Certains gourmets agrémentent le gratin dauphinois en y ajoutant, avant la fin de la cuisson, quelque alouettes ou becfigues. Un autre poète grenoblois, Henri Second, a même écrit un sonnet en l'honneur du « gratin aux becfigues » et dans lequel il donne ces conseils :
Le gratin cuit presque aux trois quarts,
En damier, sur lui, l'on dispose
Becfigues gras dont la chair rosé
Juste sous des bardes de lards.
Ce jus délicieux parfume
Votre gratin qu'un gourmet hume...

De plus délicats encore vous diront qu'il ne faut pas disposer les oiseaux sur le gratin, mais les enfouir dedans après avoir soulevé partiellement les premières pommes de terre qui commencent à prendre couleur.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour la recette et tous ces bons conseils.

Sylvain

Anonyme a dit…

Si vous ôtez, le lait et la crème et les remplacez par du bouillon obtenu en faisant cuire longuement, la veille, les abats d’un poulet de la Bresse (ailes, ergots, cou et tête dans de l’eau salée et aromatisée) vous obtenez un vrai gratin savoyard, le seul qui avait le droit de citer à la maison ! :)
Textor