Un des plaisirs de tenir un blog comme celui-ci est que cela suscite des échanges spontanés avec d’autres passionnés, soit de la chose livresque, soit de la chose dauphinoise et montagnarde. C’est ainsi que récemment, un lecteur m’a offert une carte postale, intéressante à double titre.
Au premier titre, et c’est celui qui est le plus habituel, c’est ce qu’elle représente :
Il s’agit d’une photo de la face sud de cette fameuse montagne dont je vous ai déjà souvent entretenu : La Meije. A ce titre-là, elle va venir enrichir ma collection d’images que j’accumule peu à peu (je vous renvoie au message que j’ai fait récemment sur La Meije, comme fil rouge d’une bibliothèque).
Une carte postale c’est, certes, une photo, mais cela peut aussi être une correspondance. Et c’est à ce deuxième titre que cette carte postale est intéressante. Je vous laisse découvrir le texte :
et un « zoom » sur la signature :
Pour tous les connaisseurs de la chose meijesque, le patronyme « Gaspard » est immédiatement évocateur. C’est en effet le nom du guide, Pierre Gaspard, qui, avec son client Emmanuel Boileau de Castelnau et son fils Pierre, a fait la première ascension de la Meije le 16 août 1877.
Le signataire de la carte n’est pas le père Gaspard, mais l’un de ses fils, Devouassoud Gaspard. Celui-ci, né le 2 décembre 1880 à Saint-Christophe-en-Oisans, a suivi les traces de son père comme guide de montagne, à l’instar de ses autres frères Pierre, Maximin, Joseph, Alexandre et Casimir :
Mais, me direz-vous, quel est donc le saint éponyme qui lui a donné son prénom ? Existerait-il un Saint-Devouassoud en Dauphiné ? De fait, non. Le père Gaspard a tout simplement voulu donner comme deuxième prénom à son fils le patronyme d’un guide chamoniard pour lequel il avait une particulière admiration : Henri Devouassoud. Remarquons qu’au moment d’enregistrer cette naissance dans l’état civil de la commune, l’employé n’a pas sourcillé lorsqu’il a fallu donner ce prénom, certes précédé du très classique Joseph. C’est pourtant ce prénom original qui sera son prénom d’usage.
Devouassoud Gaspard sera un grand guide. Il fera la première ascension de la face nord de la Meije, par le couloir Gravelotte en 1898. Comme on le voit dans le texte de la carte postale, ses étés seront toujours occupés par des courses avec ses clients, clients avec lesquels il prend soin de garder le contact.
Comme certain de ses frères, il avait passé quelques temps en Angleterre pour apprendre la langue, conscient qu’une part importante de sa clientèle était britannique, comme les pionniers de l’alpinisme. On sait par exemple qu’en 1908, il habitait chez le capitaine Loriner, au 161, Bambury Road : "Mais, semble-t-il, à partir de cette année-là [1901], ayant besoin de travailler et se rendant compte de toute la place qu'occupait dans le monde alpin la clientèle anglaise, Devouassoud résolut d'aller lui-même en Grande-Bretagne. Tout en gagnant sa vie il y apprendrait la langue. De 1902 et jusque vers 1910, par l'intermédiaire de touristes qu'il avait rencontrés en Oisans, il alla chaque année se placer l'hiver dans la région d'Oxford. Homme de peine, sorte d'ordonnance chez un officier de l'armée anglaise qui se déplaçait jusqu'aux Indes, il jouissait de l'entière confiance de ses patrons. Il entretint d'excellents rapports avec tous les membres de la famille puisque la maîtresse de maison et l'une de ses amies furent pendant la durée du conflit 1914-1918 ses propres marraines de guerre." (Mémoires d'en-haut, p. 227)
Sur mon site, j’ai déjà eu l’occasion d’en parler. En effet, il fait partie des guides qui ont accompagné Paul Helbronner dans ses campagnes géodésiques, en particulier dans l’ascension de la Meije en 1906 dont il a donné le compte-rendu : Au travail sur le Grand Pic de la Meije.
De façon plus anecdotique, ses chaussures de montagne sont exposées au Musée de l’Alpinisme de Saint-Christophe-en-Oisans :
Il est décédé le 10 avril 1962 à La Tronche, près de Grenoble.
Hasard des échanges avec mes lecteurs, j’ai reçu quasi-simultanément une photo d’un tableau de Charles-Henri Contencin représentant La Bérarde, le petit hameau de Saint-Christophe-en-Oisans qui servait de base de départ pour toutes ces courses de montagne.
Chaque fois que je vois un des tableaux de ce peintre, je suis admiratif devant la qualité du rendu de la lumière.
Le lecteur qui m’a envoyé cette carte postale fait vivre un blog de photos de ses excursions autour de Grenoble. Je vous le laisse découvrir : zacdanslesbois.canalblog.com. Pour ceux qui, comme moi, vivent à Paris, cela fait envie de pouvoir ainsi s’échapper le week-end dans les montagnes.
Pour mieux connaître le monde des guides de l'Oisans, en particulier de la vallée du Vénéon, ces quatre ouvrages sont indispensables :
Plus spécialement consacré à Pierre Gaspard, il donne quelques éléments sur sa famille :
Plus spécialement consacré à Pierre Gaspard, il donne quelques éléments sur sa famille :
Plus fouillé, avec une mise en perspective par rapport à un contexte de transformation d'une société agricole en une société du loisir, c'est aussi le plus complet sur l'histoire de la famille Gaspard, ainsi sur celles des autres familles de guides de la vallée :
Saint-Christophe-en-Oisans, les derniers guides paysans, René Glénat
Un ouvrage plus général, car, au delà des parcours individuels, il aborde la découverte du massif et l'organisation des sociétés de guides :
Une mémoire alpine dauphinoise. Alpinistes et guides. 1875-1925, Philippe Bourdeau
Enfin, une histoire générale des guides des Alpes françaises, mais où la part consacrée aux Alpes dauphinoises est particulièrement importante, par l'origine même de son auteur. La couverture reproduit une photo de Pierre Gaspard :
Mémoires d'En-haut. Histoire des Guides de Montagne des Alpes françaises.
Paul-Louis Rousset, Jacques de Leymarie
Belle image des frères Gaspard à La Grave en 1901 :
2 commentaires:
Bonjour, j'aime bien le fait qu'à partir d'une simple carte postale signée, à coté de laquelle nous serions passés sans nous arrêter, vous nous racontiez toute une histoire passionnante, cette carte prend d'un seul coup une valeur historique indéniable.
Daniel B.
Merci pour ce sympathique commentaire. J'aime faire "parler" les documents, les petites plaquettes, etc.
Je crois que je vais bientôt exercer mes talents sur une petite gravure avec envoi...
Jean-Marc
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