vendredi 10 juin 2016

Hommage à Maurice Pons

Le décès de Maurice Pons dans la nuit du 7 au 8 juin dernier est pour moi l'occasion de rendre hommage à un livre envoutant, Les Saisons, paru en 1965. J'ai eu la chance de pouvoir trouver un exemplaire de l'édition originale, qui a ainsi rejoint à double titre ma bibliothèque, d'abord comme œuvre littéraire, car c'est comme cela qu'il faut l'aborder, mais aussi comme un évocation, très personnelle, de la vallée de Névache dans les Hautes-Alpes.


Ma façon de lui rendre hommage est d'avoir tenté de reconstituer un peu de son histoire familiale, de celle qui le rattache à Névache et aux Hautes-Alpes.

D'abord l'œuvre. Pour la présenter, je reproduis le 4e de couverture de l'édition originale :

Dix-huit mois de pluie ininterrompue, et soudain les oiseaux s'abattent sur le sol, saisis par le gel en plein vol. L'hiver commence, avec ses quarante mois de glace bleue, ses quarante mois de neige. Dans la vallée sans printemps, les villageois s'efforcent de survivre, gorgés d'alcool de lentille, attaqués par la pourriture qui règne sur le pays et qui leur rogne à qui les pieds, à qui les mains, les yeux ou les oreilles ; ils «s'accommodent», ils inventent même des distractions et des fêtes, des règlements, des cérémonies, des religions et des sciences. Et les douaniers veillent.
Pourquoi faut-il que vienne échouer parmi eux Siméon, le poète, rescapé d'un monde plus terrible encore ? Avec ses voyelles et ses consonnes, sans doute espère-t-il inventer d'autres saisons et purifier le monde, découvrir l'amour et la fraternité des hommes. Hélas, il ne réussit qu'à faire éclore une folie d'images, plus nocives en fin de compte que la rigueur des climats.
Maurice Pons a poussé jusqu'aux limites du supportable les sortilèges d'un réalisme fantastique. Mais par la beauté de sa vision et de sa langue, par l'humour extravagant qui baigne son livre, il réussit à communiquer à son lecteur, presque malgré lui, une sorte de malaise émerveillé.
La "vallée sans printemps", c'est la vallée de Névache, telle que transfigurée par Maurice Pons. Il a raconté lui-même dans ses Souvenirs littéraires, parus en 1993, tout ce qui le rattachait à Névache. D'abord son père : 
Mon père, Émile Pons, était par sa mère originaire de Névache, petite commune des Hautes-Alpes, perdue au fond d'une vallée glaciaire. C'est à l'école de Ville-Haute, à la fin du siècle dernier, qu'il apprit à lire et à écrire, passa son certificat d'études, obtint une bourse pour le lycée de Gap.
Au lycée de Gap, il remporta le premier prix de discours latin au Concours général et son baccalauréat avec mention « Très bien ». C'était quelque chose à l'époque ! Mon père nous racontait quelquefois son retour triomphal dans la haute vallée de Névache, qui accueillait son premier bachelier, et il nous parlait avec ferveur du beau roman d'Albert Marchon, Le Bachelier sans vergogne, publié en 1925, qu'il avait lu à l'époque et qu'il a toujours gardé.
Ensuite ses souvenirs de vacances à Névache :
Des chemins de fer, je ne connaissais alors que les wagons en bois du réseau Alsace-Lorraine et les troisièmes classes du P.L.M., qui chaque année nous emmenait pour les grandes vacances familiales, de Strasbourg à Briançon et de Briançon à Strasbourg. Ce voyage durait deux jours et une nuit ou un jour et deux nuits. Il fallait changer trois fois, avec armes et bagages, au milieu de la nuit, à Mulhouse, à Lyon, à Valence. Nous dormions sur les banquettes, les plus petits dans les filets à bagages.
Maintenant, rassemblons ce que nous avons trouvé sur sa famille (sauf erreur de ma part, ce sont des informations inédites) :

Son père, Émile Pons, est né le 25 mai 1885 à Saint-Martin-de-Queyrières, fils de Pierre Pons et Marie Faure, tous les deux instituteurs à Saint-Martin-de-Queyrières. Ils appartenaient à cette tradition très vivace des instituteurs briançonnais. Pierre Pons était lui-même fils d'un instituteur originaire de Saint-Véran, Jacques Pons (1824-1902). Né aux Crottes (Les Crots) en octobre 1850, il d'abord été instituteur à Briançon, à partir de 1871. C'est là qu'il se marie avec Marie Faure, née à Névache en janvier 1850, alors institutrice à Prelles (mariage à Briançon le 9 juin 1875). A travers les actes d'état-civil (naissances et décès de leurs enfants) et les recensements, on suit leur présence à Saint-Martin-de-Queyrières de 1876 à 1910, de façon continue, comme instituteurs de la commune. Ils prennent tous les deux leurs retraites en 1910 après respectivement 39 ans et 6 mois et 38 ans et 9 mois de services. En 1911, ils s'installent à Sainte-Catherine (Briançon). Le 13 juillet 1912, Pierre Pons est nommé  officier de l'instruction publique, au titre des "récompenses aux personnes qui ont contribué au développement de l'histoire et géographie locale" (je n'ai pas trouvé à quel titre il avait contribué).
Le couple s'installe ensuite à Névache où Pierre Pons est décédé en 1926 et Marie Faure en 1935.

Ils ont eu 3 enfants, l'aînée, Maria (1876-1960), institutrice, épouse Claude Rostolland, instituteur de Névache. Un de leur fils, René Rostolland, sera professeur de mathématiques et inspecteur d'académie. Le second, Émile (1885-1964), élève de l’École Normale Supérieur (admission en 1906) deviendra professeur à l'Université de Strasbourg, puis à la Sorbonne, spécialisé en littérature anglaise (sa thèse portait sur Swift). Le cadet, Léon, né en 1888, était aussi instituteur (à Arvieux en 1909, à Vallouise en 1911, puis à Gap, jusqu'à la guerre). Parti combattre avec le 159e régiment d'infanterie, de Briançon, il est tué à l'ennemi en juin 1915, à Souchez. Son nom est porté sur le monument aux morts de Névache.


D'après des références trouvées sur Internet, la famille Pons (Jacques et son fils Pierre) est citée par l'abbé Berge dans sa monographie de Saint-Véran, à propos des instituteurs issus de ce village. N'ayant pas cet ouvrage sous la main, je n'ai pas pu vérifier. Notons que les prénoms complets de Pierre Pons étaient Pierre Jean Louis Antoine Pons. Certains l'appellent simplement Antoine, alors que dans les recensements, il n'est toujours connu que sous le prénom de Pierre. A défaut d'autres précisions, c'est celui que j'ai retenu.

Dans ces souvenirs, que j'ai repris ci-dessus, Maurice Pons dit que la première scolarité de son père s'est déroulée à Névache, ce qui ne cadre pas avec la présence continue de ses parents  à Saint-Martin-de-Queyrières. On le trouve d'ailleurs recensé avec eux en 1891 et 1896, alors qu'il a respectivement 6 et 11 ans. Est-ce une confusion de la part de Maurice Pons ? A creuser. En revanche, il a ensuite été boursier au Lycée de Gap, comme en atteste cette mention dans le Journal officiel du 24 janvier 1899 : "Pons (Emile-Albert), né le 26 mai 1885. Le père instituteur; 3 enfants, 28 ans de services. — Demi-bourse, Gap."

Enfin, pour terminer, lorsque les parents d'Emile Pons ont quitté Saint-Martin-de-Queyrières pour partir à la retraite, ils ont été remplacés par un autre couple d'instituteurs, Claude Lagier-Bruno (de Vallouise) et sa femme Julie Rostollan (de Vars). J'en ai déjà parlé car l'une de leurs filles, Elise Bruno-Lagier (1898-1983) a épousé Célestin Freinet (voir ici et ).

En 1930, Henri Rostolland fait paraître une monographie sur Névache et sa vallée :


Parmi les souscripteurs, on trouve Émile Pons, le père de Maurice Pons, et sa grand-mère :

J'ai souvent parlé sur ce blog des instituteurs des Hautes-Alpes. Suivez ces liens :

Généalogie de la famille Pons : cliquez-ici.

2 commentaires:

Léo Mabmacien a dit…

Merci pour cet article sur Maurice Pons, peu connu des lecteurs... La lecture de son livre m'a mis mal à l'aise, surtout après l'avoir fini, c'est une lecture intense dans tous les sens du terme... Bien cordialement
Léo

Jean-Marc Barféty a dit…

Hasard du calendrier, j'ai vu vendredi un film d'une heure : "Une saison pour Maurice Pons", qui se veut une mise en image de l’œuvre de Maurice Pons. On y voit Maurice Pons lui-même, qui donne une image très éloignée de celle que l'on pourrait en avoir à la seule lecture des "Saisons". Un homme malicieux, qui semble joyeux de vivre. C'est le même sentiment que j'ai retiré de la lecture de ses souvenirs littéraires. Comme quoi, on peut écrire une œuvre forte, traversée de fulgurances noires, et savoir être aussi quelqu'un qui semble heureux de vivre.
Jean-Marc