A l'occasion d'une acquisition récente, mon intérêt s'est de nouveau porté sur une pièce majeure de la littérature patoise, le premier poème en patois de Grenoble publié par Blanc la Goutte en 1729. Ils'agit de l'Epitre en vers, au langage vulgaire de Grenoble, sur les réjoüissances
qu'on y a faites pour la Naissance de Monseigneur le Dauphin. A
Mademoiselle ***, publiée par André Faure, à Grenoble, en 1729.
Cette petite plaquette de 22 pages, qui est « fort rare et manque à la plupart des collections dauphinoises » selon A. Ravanat, contient le récit, sous forme de poème, des festivités données en la ville de Grenoble en l'honneur de la
naissance de Louis, Dauphin de France, fils de Louis XV, né le 4
septembre 1729 au château de Versailles. Le poème est dédié à une
demoiselle qui est l'amoureuse du poète. Alors qu'ils devaient se
retrouver pour ces fêtes, elle ne vient pas : « Je t'atendy long-temp
». Il entreprend alors de lui conter ces « réjoüissances » en patois.
La suite du poème est le récit de ces journées qui débutèrent le samedi
soir 24 septembre 1729 pour se terminer le mardi 27 septembre. Elles se
prolongèrent par une soirée de théâtre gratuit le jeudi 29 septembre et
un bal le dimanche 2 octobre. Dans les quelques mots adressés à son
amoureuse à la fin du poème, il exprime ce vœu : « Dieu volie que din
pou, je te veïeso epousa » [Que Dieu veuille que sous peu je te voie mon
épouse].
Pour ceux qui veulent se familiariser avec le patois grenoblois, du franco-provençal, cet extrait du début du texte qui contient l'évocation de ce rendez-vous raté entre le poète et son amoureuse, qui l'a laissé« Cretin ».
Te m'aya ben promey de quitta tou zafare,
Quan te sauria lo jour qu'on farit le fanfare.
Je t'envoyi Piarrot t'u dire de ma part.
Je t'ally v devan divendre su lo tart,
Je t'atendy long-temp. N'y faliet pa songié,
Je me couchy cretin, san beyre ny migié.
Te vin de me manda que te n'u pa leizy,
Que si je t'écrivin, je te farin pléizy,
Te vodria lo detalde touta cela fêta.
Pe te lo fare bien, faudrit un autra têta.
Faziet biau vey, ma Pouta, et pe te contenta,
Du mieu que je sourey, je tu voy raconta,
En patoy, san façon, te m'ordone d'écrire,
D'acord; mais su ma fey t'ourez pena du lire.
Traduction (G. Tuaillon) :
Tu m'avais bien promis de quitter tes occupations,
Quand tu saurais le jour où l'on ferait la fête.
Je t'ai envoyé Pierrot te le dire de ma part;
Je suis allé à ta rencontre, vendredi sur le tard,
Je t'ai attendue longtemps. Mais il n'aurait pas fallu y songer,
Je me suis couché tout bête, sans boire et sans manger.
Tu viens de me faire savoir que tu n'as pas eu le temps,
Que, si je t'écrivais, je te ferais plaisir
Et que tu voudrais le détail de toute cette fête.
Pour te faire un bon récit, il faudrait une autre tête.
Que c'était beau à voir, nia Petite ! Et pour te contenter,
Du mieux que je pourrai, je vais te le raconter.
En patois, tout simplement, tu m'ordonnes d'écrire.
D'accord; mais tu auras, ma foi! de la peine à le lire!
J'ai étudié l'histoire du texte et de ses publications. Je vous renvoie à la page que je lui consacre (cliquez-ici).
Pour couronner le tout, la plaquette est bien reliée, en plein vélin. Elle porte sur les plats un monogramme (AL) que je n'ai pas identifié (avis aux savants bibliophiles !). C'est probablement l'amateur qui a fait relier cette plaquette au XIXe pour lui donner un écrin à la hauteur de la rareté et de l'intérêt du texte.
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