jeudi 26 mars 2020

Le journal et les lettres de F. F. Tuckett

La publication des journaux et lettres de Francis Fox Tuckett en 1920 est un ouvrage curieusement mal connu et jamais cité. Il est pourtant très intéressant pour l'histoire de la découverte du massif des Écrins. Relativement courant dans les bibliothèques anglaises et américaines, je n'en ai localisé qu'un seul exemplaire dans les bibliothèques en France (source CCFr), à la médiathèque de Chambéry. Il n'existe pas de version numérisée sur Internet, même sur des sites riches comme archive.org ou HathiTrust.  J'en connaissais l'existence grâce à la bibliographie de Jacques Perret, mais c'est suite à l'achat d'un exemplaire à un libraire anglais que j'ai pu le découvrir.


Francis Fox Tuckett a exploré le massif des Écrins en juillet 1862. Il a publié le récit de son exploration et de ses observations dans un article paru dans la 2e série de la revue de l'Alpine Club Peaks, Passes and Glaciers en 1863. Ce texte est bien connu et facilement accessible. Lors de ce séjour dans le massif, il a tenu un journal de voyage et écrits des lettres, comme il l'a fait pour toutes ses explorations dans les Alpes entre 1854 et 1876. C'est le Reverend W.-A.-B. Coolidge qui a assuré la transcription et la publication de ces documents dans cet ouvrage paru en 1920 : A Pioneer in the High Alps. Alpine diaries and letters of F. F. Tuckett, 1856-1874.


Un seul chapitre concerne le Dauphiné : V - Eastern Graian Alps, Monte Viso, Dauphiné Alps (pp. 119-146).  Certes, il ne nous apprend rien de nouveau. Pourtant, ce journal et ces lettres présentent un double intérêt. D'abord, ils donnent des renseignements sur le quotidien de ce voyage, qui n'apparaissent pas dans l'article qui le relate : les horaires, les lieux où ils ont dormi, les personnes qu'ils ont rencontrées, le temps qu'il à fait, les tracas du quotidien des voyageurs, etc. Tout cela, F. F. Tuckett le restitue avec une pointe d'humour anglais. Tous ces aspects ont été éliminés ou atténués dans l'article paru. Ensuite, l'autre intérêt est qu'ils ont été écrits sur le vif et permettent ainsi de mesurer l'incertitude sur la topographie interne du massif. Pourtant, F. F. Tuckett disposait d'une reproduction des minutes de la carte d’État-major que lui avait fournie le dépôt de la guerre (l'ancêtre de l'I.G.N.). Malgré cela, il a parfois beaucoup de mal à clairement identifier les sommets. Il confond la Meije et le Goléon, ce qu'il corrige lui-même dans le journal. Il se trompe sur les altitudes relatives des sommets. Ils clarifient des points pourtant déjà bien connus des ingénieurs de la carte : la distinction entre le sommet du Pelvoux, la crête du Pelvoux et Ailefroide, ainsi que l'existence d'un sommet plus haut que le Pelvoux.

Un autre intérêt de cette publication est de voir comment l'histoire est écrite par Coolidge qui n'hésite pas à attribuer à F. F. Tuckett le mérite de ces clarifications : « Tuckett cleared up two very important topographical points : (1) that the Ailefroide and the Crête du Pelvoux are distinct peaks, and (2) that the Ecrins is distinct from both the Pelvoux and the Ailefroide, and is the culminating summit of the entire region. » [Ailefroide et la Crête du Pelvoux sont des sommets distincts et Les Écrins sont distincts du Pelvoux et d'Ailefroide, et c'est le point culminant de la région.]

W.-A.-B. Coolidge est un érudit plutôt consciencieux et fiable, mais il a été victime d'un biais qui lui a fait attribuer à tous les grimpeurs et les explorateurs anglais ou américains des mérites supérieurs aux autres, en particulier aux Français. Rappelons qu'il a traité le guide Gaspard de chasseur de chamois, pour dévaloriser l'exploit de la première de la Meije dont il pensait que les Anglais devaient naturellement être les auteurs. Ce biais lui a aussi fait écrire des choses comme cela, à la suite du récit de Tuckett de la première visite au Glacier Blanc et du passage du col des Écrins : « Hence 12 July is a very important date in the history of the exploration of the High Alps of Dauphiné. » [« Le 12 juillet est donc une date très importante dans l'histoire de l'exploration des hautes alpes du Dauphiné. »] Dans le même ordre d'idée, il ne se fait pas faute de noter toutes les premières qui ont pu être réalisées par F. F. Tuckett, mêmes les plus modestes, comme le passage du col du Sélé.

Pour rendre justice à F. F. Tucket, rappelons que c'est Coolidge qui attribue ces mérites à Tuckett, alors que lui-même se montre beaucoup plus modeste dans ses articles. Jamais il ne s'attribue un quelconque mérite. En général, il garde un ton neutre, en ne faisant que rapporter ses propres observations et ses questionnements. Il ne les présente pas comme des « découvertes ».

L'extrait des minutes de la carte d'Etat-Major au 40.000e (accessible sur le site Geoportail),  montre que ces points de clarification étaient bien l’œuvre des ingénieurs de la carte. A la décharge de F. F. Tuckett, il est probable que la copie dont il disposait était petite et difficilement lisible. Si c'est celle qui se trouve dans l'album Tuckett conservé aux Archives départementales des Hautes-Alpes dans le fonds Guillemin, il est compréhensible que, vu sa petite taille, il ait eu du mal à en tirer toutes les informations qui apparaissent clairement sur les minutes originales.


Je développe plus longuement ces différents points dans la page je lui consacre : cliquez-ici.

J'ai transcrit les passages du chapitre V intéressant le Dauphiné : cliquez-ici.



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