vendredi 6 mars 2020

Quelques développements sur un ephemera

Dans ma collection, je ne néglige pas ce que l'on appelle les ephemera (Déf : « Collection d’écrits et d’imprimés à une utilisation courte, sans souci d’être conservé au moment de leur fabrication, comme affiches et billets. »).

J'ai acheté ainsi une petite affichette (21 cm x 30,5 cm) que je vous laisse découvrir :


Elle est imprimée sur un papier très fin (papier chandelle). Le contenu est le suivant :
GRAND HOTEL DU PROMONTOIRE
Maison de haut ordre, fondée par M. de CASTELNAU, en 1877
OUVERT TOUTE L'ANNÉE
Particulièrement recommandé aux personnes aimant la tranquillité

Station climatérique incomparable, à plus de 3,000 mètres d'altitude. — Vue splendide sur les montagnes et les glaciers du massif du Pelvoux. — Centre d’excursions célèbres. —Ascenseur système Gaspard, desservant tous les étages. — Logement et éclairage gratuits. — Table d'hôte (midi et 7 h.), à la Bérarde, au Lautaret et à La Grave. — Fumoir. — Nombreux petits jardins alpins, balcons et terrasses.
ON PARLE TOUTES LES LANGUES
N.-B. — Il est inutile d’avertir d'avance ; une chambre bien aérée est assurée à tous les Alpinistes, dans les dépendances de l'Hôtel.
Au premier abord, on pourrait penser qu'il s'agit d'une simple publicité pour un hôtel de tourisme. Il ne faut pas longtemps pour comprendre le double sens de cette affichette. Il n'existe pas de Grand Hôtel du Promontoire et c'est tout simplement une annonce fictive pour une des étapes de l'ascension de la Meije. Cette impression reprend les codes des annonces publicitaires de l'époque, jusque dans l'utilisation de mots devenus désuets comme « climatérique » (on dirait aujourd'hui climatique).

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la Meije, ces deux phrases sont une clef de décryptage : « Maison de haut ordre, fondée par M. de CASTELNAU, en 1877 » : la première ascension de la Meije a été réalisée par M. Boileau de Catelneau le 16 août 1877 avec le guide Gaspard, dont le nom est cité dans cette annonce « Ascenseur système Gaspard, desservant tous les étages. »

Pourquoi cette affiche a-t-elle été imprimée ? Je pense qu'il s'agit d'une impression pour assurer la promotion  de cette plaquette de Félix Perrin, parue en 1896 : Le grand Hôtel du Promontoire, Lyon, 1896. Il s'agit du tiré à part d'un article de la Revue Alpine, dans lequel Félix Perrin donne le récit d'une ascension de la Meije, en août 1893, traité sur un mode humoristique. Il raconte une traversée des arêtes de la Meije faite en compagnie de MM. Pocat et Lizambert, et du guide Gaspard, en sens inverse de l'ascension habituelle, puisque le point de départ fut Villar-d'Arène. A la descente, surpris par la nuit, ils durent attendre le jour sur une des corniches du Promontoire, d'où le titre de l'article. Le style humoristique du texte est bien en accord avec l'humour, un peu « potache », de cette affichette. La plaquette contient aussi un texte sur l'abbé Guétal.

Si l'on en croit Mathilde Maige-Lefournier, dans ses Itinéraires commentées de la Meije, publiés dans La Montagne, volume V, 1909, pp. 569-614, ce « Grand Hôtel du Promontoire » est le point qui est appelée aujourd'hui le « Campement des Demoiselles », avec cette précision :
Ce nom de campement des Demoiselles vient de la halte de deux heures que Miss Richardson, arrivée trop tôt pour aborder le rocher, fit en ce lieu en 1888. C'était la première ascension féminine.
Le père Gaspard appelle ce lieu : « Chambres des Demoiselles anglaises », alors que Félix Perrin le nomme « Grand Hôtel du Promontoire ». Escudié parle du « Campement Pic » en le situant sans doute au même endroit que le campement des Demoiselles.
Là, plusieurs caravanes célèbres passèrent la nuit, entre autres celle de M. et Mme Maquet.

Cette photo extraite d'une description de l'itinéraire de la Meije permet de situer ce campement, un peu au-dessus du refuge du Promontoire.

Source : camptocamp.org
Et pour ceux qui veulent mieux visualiser la « Station climatérique incomparable, à plus de 3,000 mètres d'altitude. », cette photo permet de voir tout le confort qui est offert « aux personnes aimant la tranquillité. »

Photo de Benoît Landeche, du 9 juillet 2016 publiée sur le site camptocamp.org
Le seule point qui reste inexpliqué est le collage postérieur d'un papier blanc portant « Grand Hôtel du Promontoire » en lieu et place du même texte que l'on peut lire par transparence. Ce collage est postérieur car le style graphique est sensiblement différent du style initial de l'affichette. La typographie, le jeu sur les polices de caractères et surtout le style de l’encadrement du texte permet bien de dater l’affichette de la fin des années 1890. Le collage me semble sensiblement postérieur de plusieurs décennies (années 1920 ?).

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