dimanche 20 juin 2010

Une reliure signée Trautz-Bauzonnet

En 1829, le libraire E. Prudhomme avait fait paraître un recueil :
Poésies en langage patois du Dauphiné, Grenoble, Prudhomme, 1829, qui contenait trois pièces majeurs en "patois" de Grenoble :

- Grenoblo malhérou, de Blanc La Goutte.
- Dialoguo de le quatro commare, de Blanc la Goutte.
- Monologue de Janin, de Jean Millet.

En 1840, Paul Colomb de Batines publie les trois textes de l'édition de 1829, avec une préface, dans une nouvelle édition : Poésies en patois du Dauphiné. Edition publiée par Colomb de Batines, Grenoble, Prudhomme, 1840.

En 1859, le libraire Alphonse Merle reprend les 3 textes des éditions de 1829 et 1840, en les complétant de quelques textes supplémentaires en "patois" du Dauphiné et une relation, en français, des inondations de l'Isère le 2 novembre 1859 :
Poésies en patois du Dauphiné. Deuxième édition revue et augmentée.
(voir une notice détaillée en cliquant-ici).


L'attribution fréquente de cette seconde édition à P. Colomb de Batines est une erreur car, à cette date, il était décédé, erreur due à la reprise dans cette édition de la préface de Paul Colomb de Batines de l'édition de 1840.

C'est un exemplaire relié par Trautz-Bauzonnet qui vient de rejoindre ma bibliothèque :


Dilemme

Je possédais déjà un exemplaire broché de cet ouvrage. En toute logique, il devrait être relégué au second rayon, voire revendu, tant un exemplaire relié par Trautz-Bauzonnet ne peut que prendre le pas sur un exemplaire broché. Malheureusement, les couvertures n'ont pas été conservées. Et pourtant, elles sont belles, représentatives de l'art typographique de l'époque. Je vous laisse admirer la belle composition des deux couvertures, le bel encadrement du titre, lui même décliné selon une grande variété de polices de caractères. J'ai un prédilection particulière pour ces travaux typographiques :



Autre attrait de cet exemplaire broché, il contient encore le catalogue de la librairie Alphonse Merle de Grenoble ajouté en fin de volume.

En définitive, il n'y a pas de dilemme, je garde les deux !


Billet d'humeur

J'ai acheté cet exemplaire dans une vente aux enchères récente. La description du lot par l'expert était : "Demi maroquin saumon, dos à nerfs orné, tête dorée. Superbe exemplaire, finement relié par Trautz". On peut discuter la couleur, qui me semble plus havane que saumon. On peut discuter la qualification de "superbe exemplaire", alors que je l'aurai plutôt qualifié de "bel exemplaire". En revanche, on ne peut que constater que le dos n'est absolument par orné, sauf à dire que le titre doré est un ornement. Ou alors, il faudrait dire que le dos et les nerfs sont ornés ... d'épidermures ! (voir le détail sur la photo ci-dessous).


Sur Bauzonnet, je vous renvoie à ce message : Une reliure de Bauzonnet ?
Sur l'édition de 1829 des Poésies en langage patois du Dauphiné, voir ce message en cliquant-ici.

dimanche 6 juin 2010

Une collection de livres sur le concile d'Embrun (1727)

Un achat récent lors d'une vente aux enchères m'a inspiré ce billet. Année après année, je rassemble tous les ouvrages que je trouve sur le concile d'Embrun. Quel rapport avec le Dauphiné ? Comme chacun sait, Embrun est une ville des Hautes-Alpes (un des 3 départements constituant l'ancien Dauphiné), qui a été jusqu'en 1789 un archevêché dont le périmètre couvrait les Hautes-Alpes et une bonne partie des Alpes du Sud.

Un petit aperçu de ma collection d'ouvrages sur le concile d'Embrun :


En 1726, Jean Soanen est évêque de Senez (Alpes-de-Hautes-Provence), dépendant de l'archevêque d'Embrun, Pierre de Tencin. Depuis longtemps favorable aux thèses jansénistes, il publie une
Instruction pastorale ouvertement janséniste. L'ambitieux archevêque d'Embrun prend prétexte de cette Instruction pour convoquer un concile à Embrun afin de juger l'évêque dissident.

Le concile a lieu à l'été 1727 et se termine en septembre 1727 par la condamnation de l'évêque de Senez à l'exil. Il est assigné à résidence à La Chaise-Dieu, où il est mort le 25 décembre 1740, âgé de 93 ans.

Ce concile a souvent été considéré comme une opération plus politique que religieuse. Jean Soanen avait alors 80 ans et son
Instruction ne méritait probablement pas un tel déploiement de force. Mais l'archevêque Pierre de Tencin était ambitieux. Il espérait le cardinalat et un archevêché de plus d'ampleur qu'Embrun. Il souhaitait obtenir les bonnes grâces de Fleury. Il était secondé dans ses entreprises, d'aucuns diraient ses intrigues, par sa sœur Mme de Tencin. Tout cela fait que ce concile est parfois appelé le brigandage d'Embrun.

Les actes du concile ont été publiés dès 1728 chez Pierre Faure à Grenoble, avec un beau titre en noir et rouge :
Concilium Provinciale Ebreduni Habitum.


Après cette condamnation, tout ce que la France comptait de jansénistes a pris la plume pour défendre l'évêque Jean Soanen et donner sa propre version du concile d'Embrun. François de Montauzan a donné un
Journal historique du Concile, sous forme d'un recueil anonyme de lettres envoyées pendant le concile.


Jean-Baptiste Cadry a publié anonymement une
Histoire de la condamnation de M. l'Evêque de Senez, par les Prelats assemblez à Ambrun.

Mais ce sont surtout de très nombreux libelles qui ont été publiés. Ce sont deux recueils de ces libelles, constitués aux XVIIIe siècle, qui ont rejoint ma bibliothèque. Le premier débute par une
Consultation de Messieurs les Avocats du Parlement de Paris, au sujet du jugement rendu à Ambrun, contre Mr. l'Evêque de Senez. Il contient ensuite une succession de factums pour faire suite à cette Consultation.

Le deuxième recueil, que je viens d'acquérir dans une vente qui comprenait de nombreux ouvrages sur le jansénisme, débute par l'
Instruction pastorale qui a servi de déclenchement à toute cette affaire.


Ce Concile est, malgré tout, assez anecdotique dans l'histoire du jansénisme en France, probablement parce qu'il est plus le fruit d'une ambition personnelle que d'un vrai conflit idéologique. A notre connaissance, il n'y a eu qu'une seule étude sur le sujet, par l'abbé Jean Carreyre en 1929.


Jean Sareil, dans son étude sur les Tencin, consacre un chapitre à ce concile.


En définitive, est-ce que ce concile a été au moins favorable à Pierre de Tencin ? Visiblement non. Il doit attendre 1739 pour être nommé Cardinal et 1740 pour être mis sur le siège de l'archevêché de Lyon. Il devient primat des Gaules. Ses éventuelles ambitions politiques n'ont pas abouties. Il meurt à Lyon en 1758.

Quant à Jean Soanen, il a continué à intéresser le petit monde des jansénistes. En 1750, Jean Baptiste Gaultier fait paraître
La vie de Messire Jean Soanen, évêque de Senez. C'est plus une hagiographie qu'une biographie. L'auteur ne cache pas ses sentiments jansénistes. Il attaque très durement le "brigandage" d'Embrun et met en valeur la résistance de certaines des ouailles de Mgr Soanen après sa condamnation. L'ouvrage se termine par deux importants chapitres contenant la description des différents miracles dont il est l'auteur. Selon Quérard : "On trouve dans cette vie une histoire très-curieuse sur le secret de la transmutation des métaux." Le frontispice est un beau portrait gravé de Jean Soanen.

Pour aller plus loin, quelques liens Wikipédia :
Jean Soanen
Pierre de Tencin

dimanche 30 mai 2010

Le libraire Carilian-Gœury. Rangement de bibliothèque.

Les amateurs d'ouvrage techniques, en particulier sur les routes, les ouvrages d'art ou les chemins de fer, connaissent le libraire Carilian-Gœury qui fut actif à Paris de 1821 à 1854. A partir de 1839, son nom est associé à Victor Dalmont. Ce même libraire a aussi publié les premiers ouvrages d'Auguste Comte et de Frédéric Le Play ou la Théorie mathématique des effets du jeu de billard du célèbre mathématicien Coriolis.

Pourquoi s'intéresser aujourd'hui au libraire Carilian-Gœury ? Parce qu'il appartient à cette importante corporation de libraires briançonnais qui a essaimé à travers toute l'Europe. J'ai eu l'occasion de parler des libraires briançonnais qui ont dominé la librairie portugais, et plus précisément lisboète, à partir du XVIIIe siècle (cliquez-ici). Autre personnalité de la libraire parisienne tout droit venue du Briançonnais, Louis Fantin (voir la page que je lui consacre : cliquez-ici). C'est ce même Louis Fantin qui reçoit dans sa librairie parisienne un jeune apprenti de 14 ans et demi, Michel Antoine Carilian, né à Bousson, un hameau de la commune de Cézanne (Cesana Torinese, dans la province de Turin), sur le revers italien du col de Montgénèvre. Jusqu'au traité d'Utrecht en 1713, ces vallées appartenaient au Briançonnais, et donc à la France. C'est pour cela qu'elles sont parfois appelées les vallées cédées. Les populations ont longtemps maintenu le lien avec la France, en particulier en usant de la langue française, plutôt que l'italien.

Après avoir épousé la fille du libraire Jean-Louis Gœury, il prend sa suite et édite de nombreux ouvrages sous la marque Carilian-Gœury. Après le décès de sa femme, il s'adjoint les services de Victor Dalmont, dont le nom est désormais associé dans la marque : Carilian-Gœury et V. Dalmont. Pour plus de détails, je renvoie à la page que je consacre à ce libraire (cliquez-ici). Pour illustrer, 3 pages de titres d'ouvrages qu'il a édités, directement en lien avec le Dauphiné.

Etude sur les torrents des Hautes-Alpes, A. Surell, 1841


Exposé d'un nouveau système de défense contre les cours d'eau torrentiels des Alpes, S. Gras, 1850


Etudes sur les torrents des Alpes, S. Gras, 1857


Sans transition, j'ai fini de ranger ma bibliothèque. Ce qui explique probablement la baisse de rythme de mes publications.


Une vue avant :

Une vue après :


Cela paraît peut-être seulement un peu mieux rangé, mais le travail effectué est beaucoup plus important. Tous les livres que l'on voit ici concerne les Hautes-Alpes, le Dauphiné et la montagne. Pour le rangement, j'ai opté pour un classement par condition du livre. J'ai regroupé les livres reliés, en distinguant les belles reliures des reliures plus communes. Ensuite, c'est le format qui m'a guidé. Pour les autres livres, j'ai fait un mélange très personnel entre style du livre (histoire, documentation, bibliographie, montagne), condition du livre (broché, reliure modeste), etc. Enfin, j'en ai profité pour référencer l'emplacement de tous les livres, en numérotant les étagères et en reportant ce numéro en face du titre dans un fichier répertoire sous Word. Ainsi, je pourrais circonscrire mes recherches. Cela m'évitera quelques énervements, lorsque je ne retrouve pas un livre. Au bout du compte, ce sont près de 1500 ouvrages que j'ai dû répertorier. En plus, cela a été l'occasion de faire la poussière dans les recoins. C'est inimaginable la quantité de poussière qui se niche dans les livres.

dimanche 9 mai 2010

Considerations sur le dépeçage des livres

Je viens d'acquérir une petite plaquette chez un libraire parisien bien connu :
Lettre à M. Gautier, conseiller de préfecture des Hautes-Alpes, sur les antiquités de Gap, de 1837, par Pierquin de Gembloux, un célèbre polygraphe : "Sa bibliographie forme à elle seule un magnifique poème où se mêlent, s’affrontent et se complètent l’histoire, l’archéologie, la numismatique, la philologie, la pédagogie, la médecine, l’hygiène, la poésie."


Elle n'a pas de couverture. Elle est protégée par un papier de reliure moderne comme une chemise. En l'étudiant attentivement, on voit qu'elle est rognée et, malgré sa minceur (32 pages !), on distingue une marbrure de qualité sur les 3 tranches. Très clairement, elle est extraite d'un ouvrage relié, autrement dit, c'est le résultat du dépeçage d'un exemplaire dont on peut penser, à la seule vue de la marbrure des tranches, que la reliure était un travail soigné.

Lors de mes recherches sur cet ouvrage, je suis tombé sur le catalogue d'une vente aux enchères de 2006 dans laquelle été proposé un lot ainsi décrit : Pierquin de Gembloux. Recueil de 29 ouvrages reliés en 1 volume in-8, demi-veau rouge, dos orné de filets dorés et de fleurons à froid. (Laurenchet).

A ce moment-là, un doute s'est insinué en moi. Est-ce que ma petite acquisition ne serait pas le résultat du dépeçage de cet ouvrage ?

Je n'ai évidemment aucune preuve et je n'incrimine évidemment pas le libraire qui me l'a vendu. Je ne peux néanmoins pas m'empêcher de penser que, par simple appât du gain, un ouvrage a été dépecé. S'il s'agit de l'exemplaire de la vente ci-dessus, on imagine bien qu'il est beaucoup plus difficile de vendre une réunion de 29 ouvrages dont les sujets très variés sont susceptibles d'intéresser beaucoup de personnes, mais dont la réunion, à un prix probablement élevé (je n'ai pas trouvé le résultat de la vente), le rendait difficilement vendable. Débité en "petits morceaux", chacun peut y trouver son compte, comme moi-même qui recherchait cette plaquette depuis des années. Je suis d'ailleurs un peu complice de ce crime bibliophilique (à ma décharge, je l'ai acheté par correspondance et malheureusement, aucun libraire n'indique ce type de condition).

Ma dernière pensée va à l'amateur qui avait patiemment rassemblé ces 29 ouvrages, avant de les faire relier par un grand relieur. Son travail patient est maintenant dispersé de la façon la plus triste.

Pour ceux que cela intéresse, la liste des 29 titres, qui donnent un bon aperçu du talent polygraphe de Pierquin de Gembloux :

1 – Histoire littéraire philologique et bibliographique des patois. Paris, Techner et Berlin, Brockaus et Avenarus, 1841. 2 ff., XL pp., 339 pp., (1 p.)

2 – Lettre au général Bory de Saint-Vincent sur l’unité de l’espèce humaine. Bourges, Imprimerie de P-A. Manceron, 1840. 2 ff., 51 pp.

3 – Lettre à Monsieur Auguste Le Prévost sur l’Y. Bourges, Imprimerie de P-A. Manceron, 1841. 23 pp.

4 – Lettre à Mgr l’Evêque de Nevers sur un Musée catholique du Nivernais. Nevers, Duclos, s.d. 34 pp.

5 – Histoire de La Châtre. Bourges, P-A. Manceron, 1840. 1 f., 47 pp.

6 – Lettre à M. de la Tremblais, sur l’histoire de La Motte-Feuilly. Nevers, Duclos, 1839. 1 f., 13 pp.

7 – Réflexions sur le sommeil des plantes. Paris, Bechet, 1839. 16 pp.

8 – Poêmes et poésies. Bruxelles, H. Tarlier, 1829. 1 f., pp. 47 à 78. Contient Le livre des Saints, poème didactique, la Bible, l’Evangile et Le Château du Diable.

9 – Lettre à Monsieur Cournot sur les différents noms donnés à la rivière Isère. s.l.n.d. 8 pp.

10 – Lettre à Monsieur Raynal sur une inscription grecque inédite trouvée à Marseille. s.l.n.d. 8pp.

11 – Lettre à Monsieur Raoul-Rochette sur les aivalines. Bourges, Imprimerie P-A. Manceron, 1842. 12 pp.

12 – Lettre à Monsieur J-B. Bouillet sur une inscription chrétienne, regardée comme un monogramme du Christ. Bourges, Imprimerie P-A. Manceron, 1840. 11 pp.

13 – Lettre à M. Dupin sur l’histoire de Nevers avant la domination romaine. Nevers, Duclos, 1839. 1 f., 34 pp.

14 – Lettre à M. Laureau de Thory sur le mont Beuvraich. Nevers, Duclos, 1838. 23 pp.

15 – Lettre à M. de Varannes sur les antiquités d’Autun. Bourges, P-A. Manceron, 1840. 1 f., 23 pp.

16 –Lettre à M. Matter sur les antiquités de Grenoble. Grenoble, Chez Baratier Frères et Fils, 1836. 32 pp.

17 – Lettre à Monsieur Gautier sur les antiquités de Gap. Grenoble, Barnel, 1837. 32 pp.

18 – Lettre à M. Viguier sur le poisson Dieu des premiers chrétiens à propos d’une inscription grecque inédite trouvée près d’Autun. Bourges, Manceron, 1840. 1 f. 22 pp.

19 – Lettre sur un monument de Théologie Arithmétique. Grenoble, Baratier, 1837. 12 pp.

20 – Lettre à M. de Freulleville sur le tombeau de Déols. Châteauroux, Bayvet, 1839. 35 pp.

21 – Londres et Grenoble. Henri VIII et les Chartreux. Mignard et les supplices. Grenoble, Baratier, 1838. 22 pp.

22 – Le Bonnet de la Liberté et le coq gaulois, fruits de l’ignorance. 15 pp.

23 – Lettre sur l’histoire de la guimbarde. 1 f., 8 pp.

24 – Mémoire sur une médaille de COS. 1 f., 21 p., 1 planche h.-t.

25 – De la religion des anciens habitants de l’Isère. 5 ff. paginés 121 à 130.

26 – Notice sur deux inscriptions inédites trouvées à Carthage et à Marseille. 4 pp., 1 pl. h.-t.

27 – Réflexions sur le sommeil des plantes. Paris, Bechet, 1839. 11 pp.

28 – Discours prononcé sur la tombe de Mme de Genlis. 6 pp.

29 – Notice nécrologique sur J-P. Laborie. 15 pp.


Notice Wikipédia, particulièrement bien faite, sur Claude-Charles Pierquin de Gembloux(1798-1863)

samedi 1 mai 2010

Le rossignol de M. Donnette ou Un peu de généalogie textuelle

Le Dévoluy est une petite région montagneuse des Hautes-Alpes, enclavée et donc à l'écart des axes de circulation. Longtemps, il a pâti d'une réputation de pauvreté, voire de misère, au point que même Victor Hugo en parle dans Les Misérables. Nous allons voir par quel cheminement le rossignol de l'abbé Donnette a inspiré Victor Hugo, ce que j'ai appelé de la généalogie textuelle.

L'abbé Donnette a été curé-prieur de Saint-Etienne-en-Dévoluy de 1772 jusqu'à la Révolution. Comme beaucoup de ses confères, il ne reprit pas le sacerdoce lors du rétablissement du culte. Fortement implanté à Saint-Etienne-en-Dévoluy, il en devient le juge de paix jusqu'à sa mort en 1812.

Le successeur de l'abbé Donnette au poste de juge de paix est P.-J. Collin, ancien chef de la comptabilité de la préfecture des Hautes-Alpes. Emu par la misère du canton, il écrit un petit ouvrage où il présente la situation désespérée du pays pour mieux en défendre les intérêts. Il plaide en particulier pour une baisse significative de l'assiette des impôts, qu'il juge trop élevée par rapport à la richesse réelle du pays. Le titre de cet ouvrage paru à Paris en 1818 illustre de façon éloquente l'image du Dévoluy qu'il souhaite donner :
Notice sur la décadence du canton de Saint-Etienne-en-Dévolui, arrondissement de Gap, département des Hautes-Alpes.


Parmi les faits propres à appuyer son propos, il rapporte ces dires de l'abbé Donnette :
"M. Donnette ancien prieur de St-Etienne m'a assuré, deux ans avant sa mort, n'avoir entendu sur le territoire de cette commune, le rossignol qu'une seule fois depuis 43 ans qu'il habitait le Dévolui. Cet intéressant oiseau se fait quelque fois entendre sur la fin du printems dans quelques bosquets de St-Didier; mais son chant n'a pas cette harmonie qu'on remarque partout ailleurs; il a plutôt l'air de partager le deuil de la nature que célébrer son réveil !".

Il rapporte aussi ce trait de générosité :
"Les enfans mâles principalement vont chercher ailleurs des moyens d'existence; et lorsque ceux-ci ne laissent qu'une sœur unique, ils ont presque toujours la générosité de lui abandonner la plus grande partie et quelques fois la totalité de la succession, pour lui procurer un établissement plus avantageux".

Le baron Ladoucette a été préfet des Hautes-Alpes de 1802 à 1809. Il avait gardé de son passage un vif intérêt pour le département. Retiré de la vie publique après l'Empire, il consacre ses loisirs à l'écriture. Dans la grande tradition des statistiques départementales, il fait paraître en 1820 une
Histoire, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes, précédés d'un essai sur la topographie de ce département, et suivis d'une notice sur M. Villars.



Pour tout ce qui concerne le Dévoluy, il utilise abondamment l'ouvrage de P.-J. Collin, qu'il connaît bien car il l'a côtoyé à la préfecture des Hautes-Alpes. Dans la troisième partie de son ouvrage :
Caractères, mœurs, usages, costumes, etc., des habitans des Hautes-Alpes (p. 121), il condense les deux extraits que nous avons reproduits :
"Dans le Dévoluy, canton si sauvage, que l'ancien juge-de-paix, durant quarante-trois ans, n'y avait entendu qu'une seule fois le chant du rossignol, parmi les orphelins, les fils laissent à leurs sœurs le patrimoine, afin qu'elles puissent trouver un mari, et ils vont ailleurs chercher fortune".

Quelques années plus tard, en 1835, Abel Hugo fait paraître une description des départements français :
France pittoresque, ou description pittoresque, topographique et statistique des départements et colonies de la France., Paris, Delloye, 1835, 3 volumes. Dans le chapitre sur les Hautes-Alpes, il recopie presque textuellement le baron Ladoucette :
"Dans le Dévoluy, canton si sauvage, que le juge de paix a dit à M. de Ladoucette, n'y avoir entendu le rossignol qu'une seule fois en 43 ans, quand les familles se composent d'orphelins, les garçons laissent à leurs sœurs le patrimoine paternel afin qu'elles puissent trouver un mari et vont ailleurs chercher fortune". (tome I, p. 154)

Nous voilà maintenant presque 30 ans plus tard, en 1862. Au début des
Misérables, Victor Hugo a peint le portrait du bon évêque de Digne, Mgr Myriel. Pour créer ce personnage, un des plus marquants de l'œuvre, il s'est largement inspiré de Mgr Miollis , évêque de Digne de 1805 à 1838. Le Concordat de 1801 avait réuni en un seul diocèse les deux départements des Hautes et Basses-Alpes, avec siège épiscopal à Digne. Mgr Miollis était donc aussi évêque de Gap. Lorsque Hugo veut évoquer ce diocèse, il s'inspire donc des descriptions des deux départements. Il utilise alors l'ouvrage de son frère Abel. Dans le chapitre A bon évêque dur évêché (3ème chapitre du livre premier Un juste de la première partie Fantine, p. 23 de l'édition originale), il rapporte la phrase de son frère, en la transformant :
"Aux familles divisées par des questions d'argent et d'héritage, il disait : - Voyez les montagnards de Devoluy, pays si sauvage qu'on n'y entend pas le rossignol une fois en cinquante ans. Eh bien, quand le père meurt dans une famille, les garçons s'en vont chercher fortune, et laissent le bien aux filles afin qu'elles puissent trouver des maris."

Voilà comment le rossignol de l'abbé Donnette se retrouve dans
Les Misérables. En disant cela, le bon abbé ne s'imaginait sûrement pas que son propos aurait une telle audience et une telle postérité.

Pour conclure sur une image plus riante, une vue de Saint-Etienne-en-Dévoluy glanée sur le web.


dimanche 18 avril 2010

Le Salon du Livre ancien du Grand Palais, et autres.

L'événement bibliophilique du week-end était évidemment le Salon du Livre ancien du Grand Palais. On y voit de belles choses. J'ai retenu deux ouvrages, hors de ma portée, mais qu'il est tout de même agréable d'avoir pu voir et toucher.

Le premier est un très bel exemplaire de l'édition original des Statuts du Dauphiné, de 1508, avec la belle page de titre au blason de la Province :


Le deuxième est un ouvrage d'Oronce Fine, célèbre mathématicien briançonnais du XVIe siècle (1494-1555). Je joins la notice du catalogue du libraire.


L'exemplaire est d'autant plus attirant qu'il provient d'un des très rares belles bibliothèques constituées dans les Haute-Alpes, celle de Clément Amat (1816-1895), maire de Gap (cliquez-ici).

Il y avait tout de même des "petites" choses bien plus accessibles, qui sont venues rejoindre ma bibliothèque.

La première est l'édition originale des
Scrambles amongst the Alps in the years 1860-69, d'Edward Whymper, publiée à Londres en 1871. C'est un texte fondateur de la littérature alpine, inaugurant une très longue série de récits d'ascensions et de courses en montagne. Pour le Haut-Dauphiné, ou massif des Ecrins, il est d'autant plus intéressant qu'il décrit un des premiers voyages de découverte dans ce massif. Rappelons que Whymper est le premier a avoir gravi le point culminant du massif, la Barre des Ecrins (4102 m), le 25 juin 1864.


Cet ouvrage a été traduit par Adolphe Joanne. Quelques extraits ont paru en pré-publication dans la revue
Le Tour du Monde, en 1872. La traduction complète a paru en 1873 chez Hachette sous le titre français de Escalades dans les Alpes (pour plus de renseignements, cliquez-ici).

Je vous laisse admirer la belle reliure en percaline verte, de style très anglais.


Autre acquisition, un petit in-12 de 1724 :
La vie et les avantures de Zizime, fils de Mahomet II, empereur des Turcs. Avec un discours préliminaire, pour servir à l'histoire des Turcs., ouvrage anonyme de Claude La Bottière, sur le triste destin de ce prince ottoman exilé en France, puis en Italie où il meurt (empoisonné ?) en 1498.


Pour les fidèles du blog, ils savent mon attachement à une petit ouvrage de Guy Allard, publié à Grenoble en 1673 :
Zizimi prince ottoman, amoureux de Philipine-Helene de Sassenage. Histoire dauphinoise.


Cet ouvrage traite du même personnage, avec un intérêt plus grand pour toute sa vie et ses malheurs au royaume ottoman. La deuxième partie de l'ouvrage, qui traite de son séjour en France, est essentiellement consacrée à ses amours nombreuses. Il n'est pourtant fait aucune allusion à la belle Philippine-Hélène de Sassenage.

Il est illustré de 3 gravures :





Au passage, signalons que certains bibliographes comme Barbier ont dit, à tort, qu'il s'agissait d'une nouvelle édition de l'ouvrage de Guy Allard. Preuve que notre bibliographe n'a pas eu entre les mains un des deux ouvrages, sinon il aurait été vite détrompé. Sur le Zizimi de Guy Allard, cliquez-ici.


Il n'est pourtant pas de Bon Bec que Paris. La lecture attentive des catalogues de ventes aux enchères offre souvent des bonnes surprises. Dans une belle vente en 4 vacations de la bibliothèque d'un érudit mosellan, à Nancy, essentiellement consacrée au régionalisme lorrain, il y avait pourtant une petite section "Montagne" dans la 4e vente. J'y ai trouvé un très bel exemplaire d'un ouvrage d'Henri Ferrand,
Le Mont-Blanc d'aujourd'hui, un des 50 exemplaires du tirage de tête, dans une très belle reliure de Stroobants.






Cet ouvrage appartient à une série publiée dans les années 1899-1914 par Alexandre Gratier et Jules Rey à Grenoble, dont je possède déjà
L'Oisans, Le Pays Briançonnais et Grenoble, capitale des Alpes françaises (pour plus de renseignements, cliquez-ici).

Il est contient un beau portrait d'Henri Ferrand en alpiniste, devant un paysage peint représentant le Mont-Blanc.



Pour finir, on m'a livré et installé un complément de bibliothèque, qui doit me permettre de ranger tout ce qui s'entassait de façon un peu désordonnée dans ma bibliothèque :


J'ai du travail de rangement ! D'autant plus que je voudrai en profiter pour rationaliser le classement et répertorier l'emplacement des livres. En effet, il m'arrive de plus en plus souvent de chercher longtemps, parfois en vain, un ouvrage que je sais avoir (peut-être est-ce aussi l'âge !).

Je crains qu'à peine elles seront pleines que je retrouverai mon problème de place et de rangement. Ce qui me rassure, c'est que c'est le lot commun de beaucoup de bibliophiles un peu bibliomanes.

lundi 12 avril 2010

"Le guide du botaniste en Dauphiné", de l'abbé Ravaud

Le bon abbé Ravaud, curé de Villard-de-Lans, a parcouru le Dauphiné à la recherche de plantes. Il a exploré essentiellement les environs de Grenoble et les massifs de la région : Belledonne, Chartreuse, Oisans, etc. Il a publié le résultat de ses herborisations dans 13 brochures, parues entre 1881 et 1894 dans la Bibliothèque du Touriste en Dauphiné, sous le titre générique de Guide du botaniste en Dauphiné, chacune étant la description d'une excursion.



Ce sont deux de ces excursions que je viens d'acquérir :

- 11e excursion. Isère et Hautes-Alpes.


-13e excursion, comprenant le Briançonnais, le Queyras et le Mont-Viso.

Pour en savoir plus, cliquez-ici.

Ce sont deux rares petites plaquettes. En 15 ans de chine dauphinoise, c'est la première fois que je les rencontre.

Dans les principaux lieux où il s'arrête, l'abbé Ravaud décrit les plantes qu'il rencontre. Il s'agit essentiellement d'ouvrages descriptifs , contenant de longues listes de plantes.


La 13e excursion est entièrement consacré aux Hautes-Alpes, surtout le Queyras qu'il explore en tous sens. C'est sa dernière excursion. Il conclut : "Voilà nos excursions terminées : l'âge et nos forces amoindries ne nous permettront plus, sauf quelques rares exceptions, de renouveler les herborisations que nous avons eu le plaisir de faire, et comme en la plupart des choses de ce monde, c'est par un adieu qu'il faut finir". Il a alors 72 ans. Il termine par un chaleureux souvenir et un rappel de tous les plaisirs que lui a amenés la botanique, répondant à ceux qui n'y voit "qu'une science de noms, aussi vaine que frivole" : "ils ne savent ni voir, ni réfléchir, ni comprendre". (on pourrait aussi appliquer cela à la bibliophilie !).

Une des deux brochures a servi d'exemplaire de travail. La 13e excursion contient de nombreuses annotations manuscrites, certainement par un botaniste qui a fait lui-même l'excursion à la recherches des plantes décrites. La couverture est abîmée et a été réparé avec un adhésif. Faut-il acheter un exemplaire en si piteux état ? Même si ce n'est pas un exemplaire de bibliophile, il respire la vie que doivent vivre certains livres. De plus, rare comme il est, il est fort peu probable de le trouver en très bon état, encore moins dans une belle reliure.

Pour finir, un beau livre de récits de courses en montagne, par un des pionniers de l'exploration des voies difficiles du massif des Ecrins dans les années 20, Jean Vernet : Nos amies les cimes, publié en 1948 chez J. Susse.



J'en recommande la lecture, en particulier pour la qualité du style.

Malgré la piètre qualité de ces reproductions, j'aime particulièrement ces photographies en noir et blanc du massif des Ecrins.

La face sud des Ecrins et le Glacier Noir


Ailefroide depuis le Plan du Carrelet


Une vue inhabituelle de la barre des Ecrins, point culminant du massif (4103 m.)

Les photos ont été prises par Georges Vernet, mort à Dachau en 1945. Son frère Jean lui dédie ce livre dans un texte liminaire d'une grande tendresses retenue.