Quels sont donc ces deux malheureux enfants perdus dans le froid et la neige ?
Qu'allaient donc faire Albert et Mathilde de Meylan à la Grande-Chartreuse, seuls ? Pour le savoir, il faut lire le roman pour la jeunesse de Jules Taulier :
Les deux petits Robinsons de la Grande-Chartreuse
L'ouvrage que je présente aujourd'hui est la 3e édition, parue dans la célèbre "Bibliothèque Rose" de Louis Hachette.
En deux mots, l'histoire :
A la fin du siège de Lyon, en octobre 1793, la famille de Meylan est obligée de se séparer. Le père s'enfuit, pour échapper aux persécutions. La mère, avec ses deux enfants Albert, 12 ans, et Mathilde, 10 ans, rejoint Grenoble. Elle y meurt, laissant ses deux enfants seuls. Avant de mourir, elle leur avait demandé de rejoindre leur oncle, supérieur des Chartreux, au couvent de la Grande-Chartreuse. Après un nouveau voyage éprouvant, ils arrivent au couvent et constatent qu'il a été déserté, suite aux persécutions religieuses révolutionnaires. Coincés par le neige, ils passent l'hiver seuls dans ce couvent désert, apprenant peu à peu à survivre avec les réserves laissées par les religieux. Au printemps, ils sont obligés de fuir devant l'arrivée de l'administrateur du couvent. Errant dans la nature, ils sont recueillis par un bûcheron qui les amène au village de la Ruchère où ils sont hébergés par le curé du lieu. Vite adoptés par les villageois, ils se font aimer par le bien qu'ils répandant autour d'eux. Les épreuves ont épuisé la jeune Mathilde qui s'affaiblit peu à peu. Juste avant de mourir, elle a la joie de revoir son père qui vient de retrouver les deux enfants au village. Après le décès Mathilde dans les bras de son père, ils quittent le village. La Révolution terminée, ils retournent s'installer à Lyon.
L'ouvrage est l'occasion d'évoquer quelques pages historiques : la siège de Lyon, l'histoire de la Grand-Chartreuse, la Révolution dans le Dauphiné. Jules Taulier relève plusieurs fois la modération des Dauphinois, même au moment de la plus grande violence de la Révolution. C'est la raison pour laquelle il fait fuir la mère et ses enfants vers Grenoble : "La Révolution n'a pas étendu ses fureurs dans ces montagnes." (p. 8). L'accueil au village de la Ruchère est une autre illustration de cette modération : "La Révolution a passé dans cette heureuse, contrée sans y laisser de traces sanglantes. Les féroces proconsuls, que Paris envoyait dans les principales villes de France, et qui s'y sont signalés par tant d'horribles massacres, n'ont pas osé se hasarder en Dauphiné. Ils savaient que les habitants ne se soumettraient pas facilement à leurs caprices sanguinaires et qu'ils ne courberaient pas la tête devant la tyrannie républicaine, cent fois pire que toutes les autres. Les Dauphinois ont toujours été amis d'une sage liberté. Indépendants par. caractère, ils se sont jadis laissé donner à la France, mais à la condition d'être traités en hommes libres. Ils n'ont jamais souffert de bourreaux chez eux. "
Comme on le voit, ces lignes sont empreintes d'un patriotisme dauphinois, un des éléments d'une identité dauphinoise qui s'est créée, un peu artificiellement, au cours du XIXe siècle, au moment même où le Dauphiné, comme entité administrative, n'existait plus. On y trouve l'image du Dauphinois libre et indépendant, ne se soumettant que raisonnablement à l'autorité, modéré dans ses passions et dans ses écarts. Jules Taulier avait tracé le portrait, tout de modération et de prudence, d'un autre Dauphinois dans une biographie publiée en 1859 : Notice historique sur Bertrand-Raymbaud Simiane, baron de Gordes.
Tout le monde ne partageait pas les réserves de Taulier à l'égard de la Révolution. Antonin Macé, un autre érudit dauphinois, regrette "cette sorte de parti pris de jeter de l'odieux sur la révolution française, à laquelle, en dernier résultat, nous devons tout ce que nous sommes, et dont les grands principes sont le fondement des sociétés modernes."
Les passages les plus intéressants de cet ouvrage sont le voyage des deux jeunes enfants de Grenoble à la Grande-Chartreuse, puis leur séjour forcé dans ce grand couvent désert, où, au début, ils souffrent de froid et de faim, avant de trouver les riches réserves qu'ont abandonnées les religieux. Ce sont les pages les plus fortes de l'ouvrage, loin de celles consacrées au séjour à la Ruchère où l'on retrouve une littérature d'édification morale, pleine de clichés et de présupposés idéologiques sur la supériorité aristocratique et catholique. Dans les quelques pages du voyage et de l'arrivée au couvent, on retrouve l'esprit d'abandon et d'aventure de tous ces ouvrages où des êtres se retrouvent soudainement seuls dans un monde hostile, comme le premier Robinson ou l'Ile mystérieuse de Jules Verne. Malheureusement, la faiblesse du style de Jules Taulier n'a pas sur tiré le meilleur parti de la situation. Quelle puissance aurait pu atteindre l'évocation de ces deux enfants, perdus dans la nuit et le froid, dans ce couvent aux proportions gigantesques pour eux, en même temps démunis et si proches d'une abondance qui, au début, leur est inaccessible !
Ce bel exemplaire, sur papier de chine, met particulièrement en valeur les gravures d'Emile Bayard et Hubert Clerget. Il est dans une reliure soignée, demi veau havane à coins, signée Stroobants :
Hubert Clerget a dessiné tous les paysages. J'ai sélectionné une vue de Grenoble et de la Grande Chartreuse.
Emile Bayard a dessiné les scènes de genre qui illustrent les épisodes du roman :
Emile Bayard (La Ferté-sous-Jouarre 2/11/1837 – Le Caire 12/1891) est un peintre, décorateur, dessinateur et illustrateur français. L'éditeur Louis Hachette a souvent fait appel à lui pour illustrer ses ouvrages, notamment ceux de la "Bibliothèque rose". Il illustre ainsi les Les Misérables de Victor Hugo, La Case de l'oncle Tom de Harriet Beecher Stowe, De la Terre à la Lune et Autour de la Lune de Jules Verne.
Il est l'auteur de cette célèbre représentation de Cosette, qui a fait le tour du monde à l'occasion d'une comédie musicale planétaire.
Qu'allaient donc faire Albert et Mathilde de Meylan à la Grande-Chartreuse, seuls ? Pour le savoir, il faut lire le roman pour la jeunesse de Jules Taulier :
Les deux petits Robinsons de la Grande-Chartreuse
L'ouvrage que je présente aujourd'hui est la 3e édition, parue dans la célèbre "Bibliothèque Rose" de Louis Hachette.
En deux mots, l'histoire :
A la fin du siège de Lyon, en octobre 1793, la famille de Meylan est obligée de se séparer. Le père s'enfuit, pour échapper aux persécutions. La mère, avec ses deux enfants Albert, 12 ans, et Mathilde, 10 ans, rejoint Grenoble. Elle y meurt, laissant ses deux enfants seuls. Avant de mourir, elle leur avait demandé de rejoindre leur oncle, supérieur des Chartreux, au couvent de la Grande-Chartreuse. Après un nouveau voyage éprouvant, ils arrivent au couvent et constatent qu'il a été déserté, suite aux persécutions religieuses révolutionnaires. Coincés par le neige, ils passent l'hiver seuls dans ce couvent désert, apprenant peu à peu à survivre avec les réserves laissées par les religieux. Au printemps, ils sont obligés de fuir devant l'arrivée de l'administrateur du couvent. Errant dans la nature, ils sont recueillis par un bûcheron qui les amène au village de la Ruchère où ils sont hébergés par le curé du lieu. Vite adoptés par les villageois, ils se font aimer par le bien qu'ils répandant autour d'eux. Les épreuves ont épuisé la jeune Mathilde qui s'affaiblit peu à peu. Juste avant de mourir, elle a la joie de revoir son père qui vient de retrouver les deux enfants au village. Après le décès Mathilde dans les bras de son père, ils quittent le village. La Révolution terminée, ils retournent s'installer à Lyon.
L'ouvrage est l'occasion d'évoquer quelques pages historiques : la siège de Lyon, l'histoire de la Grand-Chartreuse, la Révolution dans le Dauphiné. Jules Taulier relève plusieurs fois la modération des Dauphinois, même au moment de la plus grande violence de la Révolution. C'est la raison pour laquelle il fait fuir la mère et ses enfants vers Grenoble : "La Révolution n'a pas étendu ses fureurs dans ces montagnes." (p. 8). L'accueil au village de la Ruchère est une autre illustration de cette modération : "La Révolution a passé dans cette heureuse, contrée sans y laisser de traces sanglantes. Les féroces proconsuls, que Paris envoyait dans les principales villes de France, et qui s'y sont signalés par tant d'horribles massacres, n'ont pas osé se hasarder en Dauphiné. Ils savaient que les habitants ne se soumettraient pas facilement à leurs caprices sanguinaires et qu'ils ne courberaient pas la tête devant la tyrannie républicaine, cent fois pire que toutes les autres. Les Dauphinois ont toujours été amis d'une sage liberté. Indépendants par. caractère, ils se sont jadis laissé donner à la France, mais à la condition d'être traités en hommes libres. Ils n'ont jamais souffert de bourreaux chez eux. "
Comme on le voit, ces lignes sont empreintes d'un patriotisme dauphinois, un des éléments d'une identité dauphinoise qui s'est créée, un peu artificiellement, au cours du XIXe siècle, au moment même où le Dauphiné, comme entité administrative, n'existait plus. On y trouve l'image du Dauphinois libre et indépendant, ne se soumettant que raisonnablement à l'autorité, modéré dans ses passions et dans ses écarts. Jules Taulier avait tracé le portrait, tout de modération et de prudence, d'un autre Dauphinois dans une biographie publiée en 1859 : Notice historique sur Bertrand-Raymbaud Simiane, baron de Gordes.
Tout le monde ne partageait pas les réserves de Taulier à l'égard de la Révolution. Antonin Macé, un autre érudit dauphinois, regrette "cette sorte de parti pris de jeter de l'odieux sur la révolution française, à laquelle, en dernier résultat, nous devons tout ce que nous sommes, et dont les grands principes sont le fondement des sociétés modernes."
Les passages les plus intéressants de cet ouvrage sont le voyage des deux jeunes enfants de Grenoble à la Grande-Chartreuse, puis leur séjour forcé dans ce grand couvent désert, où, au début, ils souffrent de froid et de faim, avant de trouver les riches réserves qu'ont abandonnées les religieux. Ce sont les pages les plus fortes de l'ouvrage, loin de celles consacrées au séjour à la Ruchère où l'on retrouve une littérature d'édification morale, pleine de clichés et de présupposés idéologiques sur la supériorité aristocratique et catholique. Dans les quelques pages du voyage et de l'arrivée au couvent, on retrouve l'esprit d'abandon et d'aventure de tous ces ouvrages où des êtres se retrouvent soudainement seuls dans un monde hostile, comme le premier Robinson ou l'Ile mystérieuse de Jules Verne. Malheureusement, la faiblesse du style de Jules Taulier n'a pas sur tiré le meilleur parti de la situation. Quelle puissance aurait pu atteindre l'évocation de ces deux enfants, perdus dans la nuit et le froid, dans ce couvent aux proportions gigantesques pour eux, en même temps démunis et si proches d'une abondance qui, au début, leur est inaccessible !
Ce bel exemplaire, sur papier de chine, met particulièrement en valeur les gravures d'Emile Bayard et Hubert Clerget. Il est dans une reliure soignée, demi veau havane à coins, signée Stroobants :
Hubert Clerget a dessiné tous les paysages. J'ai sélectionné une vue de Grenoble et de la Grande Chartreuse.
Emile Bayard a dessiné les scènes de genre qui illustrent les épisodes du roman :
Emile Bayard (La Ferté-sous-Jouarre 2/11/1837 – Le Caire 12/1891) est un peintre, décorateur, dessinateur et illustrateur français. L'éditeur Louis Hachette a souvent fait appel à lui pour illustrer ses ouvrages, notamment ceux de la "Bibliothèque rose". Il illustre ainsi les Les Misérables de Victor Hugo, La Case de l'oncle Tom de Harriet Beecher Stowe, De la Terre à la Lune et Autour de la Lune de Jules Verne.
Il est l'auteur de cette célèbre représentation de Cosette, qui a fait le tour du monde à l'occasion d'une comédie musicale planétaire.
2 commentaires:
Merci Jean Marc pour cette jolie évocation.
Je n'avais jamais lu ce livre qui est pourtant dans ma bibliothèque, un in-12 au cartonnage rouge, publié dans la collection « Anthologie des écrivains régionaux » par F Dardelet à Grenoble, 1926 ; livre de prix offert à ma mère en 1935, sans valeur autre que sentimentale.
L’éditeur nous donne en note préliminaire une biographie de Jules Taulier, né à Grenoble en 1808, professeur de rhétorique à Thoissey dans l’Ain puis à St Martin de Vinoux, il était membre de l’Académie Delphinale et écrivit une Histoire du Dauphiné ( 1855). « Les Petits Robinsons » fut publié pour la première fois à Grenoble en 1860 chez Ferrary, in-16 allongé de 224 pages, sous cartonnage romantique. Cette édition ornée de 4 lithographies non signées représentant des paysages est devenue si rare que nous n’en connaissons qu’un seul exemplaire. L’auteur passa ensuite son livre à la maison Hachette qui l’introduisit dans sa collection La Bibliothèque Rose. C’est cette édition que nous reprenons aujourd’hui avec les gravures qui l’illustraient, et que cette maison a bien voulu nous cèder. »
Bonne soirée
T
Merci pour ces informations. Je vais mettre à jour ma notice.
La précision sur la rareté de l'édition originale me donne encore plus envie de la trouver ! On est bibliophile ou on ne l'est pas !
Dans les bibliothèques publiques, il en existe un exemplaire à la BNF et un à la Bibliothèque Municipale de Grenoble (fonds dauphinois).
Jean-Marc
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