Le message de ce dimanche soir pourra sembler disparate par les thèmes abordés. Ce sont pourtant mes lectures et mes achats de ces dernières semaines (Salon du Régionalisme alpin, de Grenoble et Salon du livre ancien, de Saint-Germain-en-Laye). S'il y a une cohérence, elle est là, dans ce que j'aime lire et acheter, certes toujours en rapport avec mon thème régionaliste, mais avec toute l'ouverture que permet ce fil rouge, cette exploration d'un champ presque infini. C'est aussi ma façon de ne pas m'enfermer dans mon univers.
Ce dimanche soir, je vais vous présenter trois livres. Ne sachant dans quel ordre les aborder, je vais aller du plus "neutre" au plus fort.
Le premier est un livre sympathique, dans lequel on sent le goût du labeur patient. Daniel Mourral (1864-1938), inspecteur des Eaux et Forêts, a passé des années à collecter et ordonner tous les termes utilisés dans les Alpes pour décrire les rivières, les montagnes, les caractéristiques et les accidents du terrain et du relief, les natures du sol, etc. Il a probablement mis à profit de son activité professionnelle en Savoie et Dauphiné pour moissonner tous ces termes. Un premier Essai d'un glossaire des noms topographiques les plus fréquemment usités dans la région des Alpes françaises avait paru en 1894. En 1907, il ne s'agit plus d'un essai, mais d'un travail abouti : Glossaire des noms topographiques les plus usités dans le Sud-Est de la France et les Alpes occidentales. J'ai trouvé un bel exemplaire de ce travail rare avec sa belle couverture orange.
Ce n'est pas un travail scientifique, l'étymologie des termes est briévement abordée. En revanche, quel plaisir de lecture ! En le parcourant, on y trouve tous ces mots que ceux qui parcourent les Alpes connaissent bien. Un exemple avec le mot "Clapier" :
J'ai déjà eu l'occasion de parler de Madeleine Rivière-Sestier (1894-1977), auteur dauphinois (cliquez-ici). J'apprécie son œuvre littéraire, mélange de fantastique et de réalisme, toujours ancré dans ce monde de la montagne, monde sauvage et âpre. Le drame du maquis du Vercors lui a inspiré des belles pages, dans ce récit historique qu'elle fit paraître sous le nom de Jean Puech, quelques mois après la chute du maquis en juillet 1944 : La montagne des Sept Douleurs. Vercors 1944, publié en 1946 chez Calmann Lévy. Avec un lyrisme contenu, elle sait rendre le poids de l'occupation dans un Grenoble sous la coupe des Allemands, elle sait raconter le drame de l'attaque du maquis par les troupes allemandes en juin et juillet 1944, elle sait rendre la douleur des mères qui voient leurs fils mourir. Elle sait aussi dire la trahison, l'impréparation, le manque de moyens, mais aussi l'enthousiasme, l'héroïsme de ces combattants, souvent des jeunes hommes qui voulaient échapper au Travail Obligatoire.
Cet exemplaire contient bel envoi au lieutenant Rey, complété d'une lettre au même Rey à propos de la publication d'un premier roman chez Arthaud. Malgré mes recherches, je n'ai identifié ni de lieutenant Rey, ni ce roman.
En 1965, Maurice Pons fait paraître une roman envoutant, Les saisons, récit halluciné de la vie dans une vallée reculée, où Siméon, poète fuyant on ne sait quelle horreur, trouve refuge. Dans ce village du bout du monde, la saison des pluies dure 18 mois, suivie d'une saison de gel de 40 mois. Dans ce monde sans espoir, ce sont des voyageurs qui viennent apporter un rêve d'autre chose, d'une autre vie. L'issue sera fatale.
Pourquoi parler ici de ce roman ? Emile Pons, le père de Maurice Pons, spécialiste de Jonathan Swift, est originaire de Névache. La famille s'y rendra souvent et c'est peut-être ce souvenir, transformé, fantasmé, d village que Maurice Pons fera revivre dans ce roman. Son attachement à Névache devait être suffisamment fort pour qu'il entretienne la confusion, qui fait que certaines biographies le font naître à Névache, alors qui a vu le jour à Strasbourg. Même son année de naissance est incertaine puisque on trouve aussi bien 1925 que 1927.
En lisant ce roman, n'espérez pas trouver une évocation de la Névachie dans ce tableau d'un monde de désolation. Seule l'image du village au fond de la vallée, dans le froid et la tourmente peut se retrouver dans ce livre. Maurice Pons lui-même, dans une interview, reconnaît que la vallée de Névache est presque un paradis, surtout en mai-juin, lorsque l'hiver laisse la place au printemps
Au-delà de tout cela, découvrez ce livre. Il le mérite. Ne vous laissez pas arrêter par le qualificatif de livre-culte. Ce n'est qu'une façon conventionnelle de suggérer que la lecture de ce livre est envoutante et inoubliable pour ceux qui se laissent porter par cette prose.
Je parle de ce livre aujourd'hui car j'ai acheté un exemplaire de l'édition originale :
Je profite de l'occasion pour présenter un livre indispensable sur la littérature et les Alpes du Sud. Dans cet ouvrage de François Billy, L'air des Cimes. Promenades littéraires dans les Alpes du Sud, édité par Jeanne Laffite en 1996, on trouve un panorama complet de la littérature dans les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence, aussi bien à propos des auteurs régionaux (Jean Giono, Jean Proal, etc.) que des évocations de ces pays par des auteurs comme Simone de Beauvoir, Yves Navarre, Victor Hugo et d'autres. Le chapitre 27 est consacré à Maurice Pons (pp.148-151) : Maurice Pons ou Naître à Nevache ou n'être pas.
Courte biographie de Maurice Pons sur Wikipédia.
Ce dimanche soir, je vais vous présenter trois livres. Ne sachant dans quel ordre les aborder, je vais aller du plus "neutre" au plus fort.
Le premier est un livre sympathique, dans lequel on sent le goût du labeur patient. Daniel Mourral (1864-1938), inspecteur des Eaux et Forêts, a passé des années à collecter et ordonner tous les termes utilisés dans les Alpes pour décrire les rivières, les montagnes, les caractéristiques et les accidents du terrain et du relief, les natures du sol, etc. Il a probablement mis à profit de son activité professionnelle en Savoie et Dauphiné pour moissonner tous ces termes. Un premier Essai d'un glossaire des noms topographiques les plus fréquemment usités dans la région des Alpes françaises avait paru en 1894. En 1907, il ne s'agit plus d'un essai, mais d'un travail abouti : Glossaire des noms topographiques les plus usités dans le Sud-Est de la France et les Alpes occidentales. J'ai trouvé un bel exemplaire de ce travail rare avec sa belle couverture orange.
Ce n'est pas un travail scientifique, l'étymologie des termes est briévement abordée. En revanche, quel plaisir de lecture ! En le parcourant, on y trouve tous ces mots que ceux qui parcourent les Alpes connaissent bien. Un exemple avec le mot "Clapier" :
J'ai déjà eu l'occasion de parler de Madeleine Rivière-Sestier (1894-1977), auteur dauphinois (cliquez-ici). J'apprécie son œuvre littéraire, mélange de fantastique et de réalisme, toujours ancré dans ce monde de la montagne, monde sauvage et âpre. Le drame du maquis du Vercors lui a inspiré des belles pages, dans ce récit historique qu'elle fit paraître sous le nom de Jean Puech, quelques mois après la chute du maquis en juillet 1944 : La montagne des Sept Douleurs. Vercors 1944, publié en 1946 chez Calmann Lévy. Avec un lyrisme contenu, elle sait rendre le poids de l'occupation dans un Grenoble sous la coupe des Allemands, elle sait raconter le drame de l'attaque du maquis par les troupes allemandes en juin et juillet 1944, elle sait rendre la douleur des mères qui voient leurs fils mourir. Elle sait aussi dire la trahison, l'impréparation, le manque de moyens, mais aussi l'enthousiasme, l'héroïsme de ces combattants, souvent des jeunes hommes qui voulaient échapper au Travail Obligatoire.
Cet exemplaire contient bel envoi au lieutenant Rey, complété d'une lettre au même Rey à propos de la publication d'un premier roman chez Arthaud. Malgré mes recherches, je n'ai identifié ni de lieutenant Rey, ni ce roman.
En 1965, Maurice Pons fait paraître une roman envoutant, Les saisons, récit halluciné de la vie dans une vallée reculée, où Siméon, poète fuyant on ne sait quelle horreur, trouve refuge. Dans ce village du bout du monde, la saison des pluies dure 18 mois, suivie d'une saison de gel de 40 mois. Dans ce monde sans espoir, ce sont des voyageurs qui viennent apporter un rêve d'autre chose, d'une autre vie. L'issue sera fatale.
Pourquoi parler ici de ce roman ? Emile Pons, le père de Maurice Pons, spécialiste de Jonathan Swift, est originaire de Névache. La famille s'y rendra souvent et c'est peut-être ce souvenir, transformé, fantasmé, d village que Maurice Pons fera revivre dans ce roman. Son attachement à Névache devait être suffisamment fort pour qu'il entretienne la confusion, qui fait que certaines biographies le font naître à Névache, alors qui a vu le jour à Strasbourg. Même son année de naissance est incertaine puisque on trouve aussi bien 1925 que 1927.
En lisant ce roman, n'espérez pas trouver une évocation de la Névachie dans ce tableau d'un monde de désolation. Seule l'image du village au fond de la vallée, dans le froid et la tourmente peut se retrouver dans ce livre. Maurice Pons lui-même, dans une interview, reconnaît que la vallée de Névache est presque un paradis, surtout en mai-juin, lorsque l'hiver laisse la place au printemps
Au-delà de tout cela, découvrez ce livre. Il le mérite. Ne vous laissez pas arrêter par le qualificatif de livre-culte. Ce n'est qu'une façon conventionnelle de suggérer que la lecture de ce livre est envoutante et inoubliable pour ceux qui se laissent porter par cette prose.
Je parle de ce livre aujourd'hui car j'ai acheté un exemplaire de l'édition originale :
Je profite de l'occasion pour présenter un livre indispensable sur la littérature et les Alpes du Sud. Dans cet ouvrage de François Billy, L'air des Cimes. Promenades littéraires dans les Alpes du Sud, édité par Jeanne Laffite en 1996, on trouve un panorama complet de la littérature dans les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence, aussi bien à propos des auteurs régionaux (Jean Giono, Jean Proal, etc.) que des évocations de ces pays par des auteurs comme Simone de Beauvoir, Yves Navarre, Victor Hugo et d'autres. Le chapitre 27 est consacré à Maurice Pons (pp.148-151) : Maurice Pons ou Naître à Nevache ou n'être pas.
Courte biographie de Maurice Pons sur Wikipédia.
6 commentaires:
Jean Giono n'est pas un écrivain régional. Voilà d'ailleurs ce qu'il disait lui-même à ce sujet :
La Provence que je décris est une Provence inventée et c'est mon droit. C'est une Provence inventée, c'est un Sud inventé comme a été inventé le Sud de Faulkner. J'ai inventé un pays, je l'ai peuplé de personnages inventés, et j'ai donné à ces personnages inventés des drames inventés, et le pays lui-même est inventé. Tout est inventé. Rien n'est fonction du pays qui est sous mes yeux, et il participe du pays qui est sous mes yeux mais en passant à travers moi.
Effectivement, dire que Jean Giono est un écrivain régional est un raccourci. Je souhaitais seulement distinguer les auteurs "du cru" (du coup, je ne sais quelle expression employer)de ceux que les hasards de l'existence ont conduit dans les Alpes du Sud. On ne s'attend pas à voir Albert Camus dans une telle bibliographie !
D'ailleurs, si Jean Giono apparait dans cet ouvrage, c'est pour ses séjours briançonnais aux Queyrelles, plus que pour ses évocations de la Provence.
Jean-Marc
Bonsoir Jean Marc, merci pour ces évocations, j’aurais aimé tomber sur le petit ouvrage de D Mourral…
Si je puis me permettre une question, quelle est la définition donnée à l’entrée « Chavanarie » dont il est question en haut de la page 38 de l’ouvrage. ?
Ce mot m’intrigue car nous utilisions en Savoie ; « chavanerie », pour fête bruyante, ou un tohu bohu, et je l’ai traduit par charivari dans un article récent sur les Statuta Sabaudiae, sur le blog de Bertrand. Mais je ne trouve aucune référence à ce mot très local semble-t-il.
Le renvoi à "Chavanarie" ne renvoie à rien...
En revanche, on trouve :
CHANAVARIE, CHEVANARIE, CHENEVARIE, s.f. Maison rustique; ferme; domaine rural. Etym : b. lat. Cabanaria
Jean-Marc
Décidemment ce mot reste un mystère ! Merci pour la réponse.
T
On trouve quelques entrées relatives à "Chavanarie" dans Google books, je vous laisse regarder ce qu'il en est.
B.
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