Le message du jour débute plutôt sur la dimension bibliophilique de l'ouvrage. Il s'agit effectivement d'un velin doré souple, orné d'un beau fleuron doré sur les plats.
Il recouvre une ouvrage anonyme de 1600 :
Plaidoyez pour le Tiers Estat du Dauphiné. Au Procez qu'il a pardevant le Roy, & Nosseigneurs de son Conseil privé. Contre les deux premiers Ordres dudit Pays.
Publié chez Jean le Blanc à Paris en 1600 (pour voir la notice complète : cliquez-ici).
C'est un exemplaire entièrement réglé.
Il s'agit d'un plaidoyer d'Antoine Rambaud, de Die, dans le procès des Tailles qui agita le Dauphiné pendant presque un siècle, de la moitié du XVIe siècle jusqu'en 1639, date du dernier arrêt.
L'enjeu de ce procès était l'assiette de la taille, le principal impôt royal. Elle pouvait dépendre du statut de la terre sur laquelle elle était assise. C'était la taille réelle, dont étaient exemptées les terres nobles. Elle pouvait dépendre du statut de la personne. C'était alors la taille personnelle, dont étaient exemptés les nobles. Le Dauphiné était sous le statut de la taille personnelle. On comprend donc qu'à partir du moment où un noble achetait une terre assujettie à la taille, elle s'en trouvée exemptée et le poids de l'impôt portait sur les autres terres. A ces époques où les nobles consolidaient leur fortune par la rente foncière en achetant des terres roturières, le poids de la taille devenait progressivement intolérable pour les roturiers (le Tiers-Etat). Tout l'enjeu du procès est de passer de la taille personnelle à la taille réelle. On voit l'enjeu financier, mais aussi l'enjeu de pouvoir d'un tel procès.
Le conflit entre le Tiers-Etat et les ordres privilégiés était latent depuis la moitié du siècle. Les révoltes populaires de l'année 1580 marquèrent encore plus l'urgence de la situation. Le véritable point de départ du procès des Tailles fut l'audience accordée par Henri IV le 19 septembre 1595 aux représentants du Tiers-Etat du Dauphiné. Ils obtinrent de faire trancher le procès par le Conseil privé du Roi et non par les Etats de la Province. A partir de ce moment-là, le Tiers-Etat s'organisa et, lors de l'Assemblée de Saint-Marcellin, en octobre 1597, il se choisit trois représentants : Claude de Lagrange, de Saint-Marcellin, Jean Vincent, de Crest, et Antoine Rambaud, de Die, tous trois hommes de loi. Chacun publia des plaidoyers en faveur de la cause du Tiers-Etat :
- Claude de Lagrange : La juste Plainte et remonstrance faite au roi et à nosseigneurs de son Conseil d'estat par le pauvre peuple de Dauphiné, Lyon, 1597.
- Jean Vincent : Discours en forme de plaidoyé pour le tiers estat de Dauphiné, Paris, 1598.
- Antoine Rambaud : Plaidoyé pour le tiers estat du Dauphiné, Paris, 1598 (pour la première édition).
Ils obtinrent un premier arrêt du Conseil d'Etat le 15 avril 1602 qui révoquait les anoblissements antérieurs à 1598 et restreignait les exemptions fiscales, mais maintenait l'exemption de la taille pour les deux premiers ordres. Demi-victoire, qui amena le Tiers-Etat à maintenir sa pression, sous la direction de Claude Brosse. Véritable meneur du combat qui conduisit enfin à obtenir gain de cause, Claude Brosse fut même incarcéré quelques mois en 1631. La victoire finale fut obtenue par deux arrêts des 31 mai 1634 et 24 octobre 1639, qui déclarèrent la taille réelle en Dauphiné et prescrivirent l'établissement d'un cadastre.
Ce procès, que seul le pouvoir royal a su dénouer, marque une étape fondamentale dans le renforcement de l'emprise du pouvoir royal et centralisé sur le Dauphiné. C'est une des deux ruptures majeures dans le lent processus d'intégration du Dauphiné au royaume de France. D'un statut préservé et garanti par le Statut Delphinal lors du transport du Dauphiné à la France en 1349, le premier empiètement fut l'ordonnance d'Abbeville, en 1540, qui étendait au Dauphiné l'application des ordonnances émises par le pouvoir royal (voir l'ouvrage Ordonnances d'Abeville).
Ce procès des Tailles fut le deuxième empiètement. Le coup de grâce du Statut delphinal fut la Révolution française qui fit disparaître totalement les quelques libertés provinciales difficilement préservées. Dans ce contexte de menaces pesant sur le Satut Delphinal, une nouvelle édition largement diffusée en a été publiée à Grenoble en 1619, en plein procès des tailles (voir l'ouvrage Statuta Delphinalia, édition de 1619).
La première édition du plaidoyer d'Antoine Rambaud a paru à Paris en 1598. Cette édition est la troisième. Elle est complétée de lettres et d'un second plaidoyer.
D. Hickey apporte quelques éléments sur les lettres et le second plaidoyer (pp. 110-110) : "Selon ses biographes, Rambaud avait acquis une réputation de polémiste toujours prompt à croiser le fer, opinion que confirment aisément ses écrits sur la question de la taille. Dans son Plaidoyé pour le tiers estat du Dauphiné rédigé en 1599 (sic), il dénonçait les autorités judiciaires dauphinoises comme des "hypocrites", "comme des enfleures en un corps malade vivant comme des demis-dieux, comme des Lucullus : bastissant comme des Crassus et parlant comme des Catons"; n'ayant "autre objet que leur utilité particulière, ni d'autre but que de s'enrichir, le plus souvent au préjudice du public", ils avaient selon lui "des gages excessifs" et " ne sont équitables en leurs jugements"; il ajoute encore que, "sans eux le monde serait plus heureux...". Les ordres privilégiés exploitèrent rapidement ces débordements verbaux et accusèrent Rambaud d'agir comme "un boutefeu", attaquant l'intégrité de la justice royale et tentant de fomenter une révolte afin d'établir un "état populaire" dans la province. Dans une série de lettres ouvertes et dans son Second plaidoyé, Rambaud fut forcé de se rétracter sur ce point ainsi que sur d'autres accusations.
L'ouvrage de référence sur le procès des Tailles est cette étude de l'historien canadien David Hickey, d'abord parue en anglais :
Le Dauphiné devant la monarchie absolue : le procès des tailles et la perte des libertés provinciales, 1540-1640. Presses Universitaires de Grenoble, 1993.
Il recouvre une ouvrage anonyme de 1600 :
Plaidoyez pour le Tiers Estat du Dauphiné. Au Procez qu'il a pardevant le Roy, & Nosseigneurs de son Conseil privé. Contre les deux premiers Ordres dudit Pays.
Publié chez Jean le Blanc à Paris en 1600 (pour voir la notice complète : cliquez-ici).
C'est un exemplaire entièrement réglé.
Il s'agit d'un plaidoyer d'Antoine Rambaud, de Die, dans le procès des Tailles qui agita le Dauphiné pendant presque un siècle, de la moitié du XVIe siècle jusqu'en 1639, date du dernier arrêt.
L'enjeu de ce procès était l'assiette de la taille, le principal impôt royal. Elle pouvait dépendre du statut de la terre sur laquelle elle était assise. C'était la taille réelle, dont étaient exemptées les terres nobles. Elle pouvait dépendre du statut de la personne. C'était alors la taille personnelle, dont étaient exemptés les nobles. Le Dauphiné était sous le statut de la taille personnelle. On comprend donc qu'à partir du moment où un noble achetait une terre assujettie à la taille, elle s'en trouvée exemptée et le poids de l'impôt portait sur les autres terres. A ces époques où les nobles consolidaient leur fortune par la rente foncière en achetant des terres roturières, le poids de la taille devenait progressivement intolérable pour les roturiers (le Tiers-Etat). Tout l'enjeu du procès est de passer de la taille personnelle à la taille réelle. On voit l'enjeu financier, mais aussi l'enjeu de pouvoir d'un tel procès.
Le conflit entre le Tiers-Etat et les ordres privilégiés était latent depuis la moitié du siècle. Les révoltes populaires de l'année 1580 marquèrent encore plus l'urgence de la situation. Le véritable point de départ du procès des Tailles fut l'audience accordée par Henri IV le 19 septembre 1595 aux représentants du Tiers-Etat du Dauphiné. Ils obtinrent de faire trancher le procès par le Conseil privé du Roi et non par les Etats de la Province. A partir de ce moment-là, le Tiers-Etat s'organisa et, lors de l'Assemblée de Saint-Marcellin, en octobre 1597, il se choisit trois représentants : Claude de Lagrange, de Saint-Marcellin, Jean Vincent, de Crest, et Antoine Rambaud, de Die, tous trois hommes de loi. Chacun publia des plaidoyers en faveur de la cause du Tiers-Etat :
- Claude de Lagrange : La juste Plainte et remonstrance faite au roi et à nosseigneurs de son Conseil d'estat par le pauvre peuple de Dauphiné, Lyon, 1597.
- Jean Vincent : Discours en forme de plaidoyé pour le tiers estat de Dauphiné, Paris, 1598.
- Antoine Rambaud : Plaidoyé pour le tiers estat du Dauphiné, Paris, 1598 (pour la première édition).
Ils obtinrent un premier arrêt du Conseil d'Etat le 15 avril 1602 qui révoquait les anoblissements antérieurs à 1598 et restreignait les exemptions fiscales, mais maintenait l'exemption de la taille pour les deux premiers ordres. Demi-victoire, qui amena le Tiers-Etat à maintenir sa pression, sous la direction de Claude Brosse. Véritable meneur du combat qui conduisit enfin à obtenir gain de cause, Claude Brosse fut même incarcéré quelques mois en 1631. La victoire finale fut obtenue par deux arrêts des 31 mai 1634 et 24 octobre 1639, qui déclarèrent la taille réelle en Dauphiné et prescrivirent l'établissement d'un cadastre.
Ce procès, que seul le pouvoir royal a su dénouer, marque une étape fondamentale dans le renforcement de l'emprise du pouvoir royal et centralisé sur le Dauphiné. C'est une des deux ruptures majeures dans le lent processus d'intégration du Dauphiné au royaume de France. D'un statut préservé et garanti par le Statut Delphinal lors du transport du Dauphiné à la France en 1349, le premier empiètement fut l'ordonnance d'Abbeville, en 1540, qui étendait au Dauphiné l'application des ordonnances émises par le pouvoir royal (voir l'ouvrage Ordonnances d'Abeville).
Ce procès des Tailles fut le deuxième empiètement. Le coup de grâce du Statut delphinal fut la Révolution française qui fit disparaître totalement les quelques libertés provinciales difficilement préservées. Dans ce contexte de menaces pesant sur le Satut Delphinal, une nouvelle édition largement diffusée en a été publiée à Grenoble en 1619, en plein procès des tailles (voir l'ouvrage Statuta Delphinalia, édition de 1619).
La première édition du plaidoyer d'Antoine Rambaud a paru à Paris en 1598. Cette édition est la troisième. Elle est complétée de lettres et d'un second plaidoyer.
D. Hickey apporte quelques éléments sur les lettres et le second plaidoyer (pp. 110-110) : "Selon ses biographes, Rambaud avait acquis une réputation de polémiste toujours prompt à croiser le fer, opinion que confirment aisément ses écrits sur la question de la taille. Dans son Plaidoyé pour le tiers estat du Dauphiné rédigé en 1599 (sic), il dénonçait les autorités judiciaires dauphinoises comme des "hypocrites", "comme des enfleures en un corps malade vivant comme des demis-dieux, comme des Lucullus : bastissant comme des Crassus et parlant comme des Catons"; n'ayant "autre objet que leur utilité particulière, ni d'autre but que de s'enrichir, le plus souvent au préjudice du public", ils avaient selon lui "des gages excessifs" et " ne sont équitables en leurs jugements"; il ajoute encore que, "sans eux le monde serait plus heureux...". Les ordres privilégiés exploitèrent rapidement ces débordements verbaux et accusèrent Rambaud d'agir comme "un boutefeu", attaquant l'intégrité de la justice royale et tentant de fomenter une révolte afin d'établir un "état populaire" dans la province. Dans une série de lettres ouvertes et dans son Second plaidoyé, Rambaud fut forcé de se rétracter sur ce point ainsi que sur d'autres accusations.
L'ouvrage de référence sur le procès des Tailles est cette étude de l'historien canadien David Hickey, d'abord parue en anglais :
Le Dauphiné devant la monarchie absolue : le procès des tailles et la perte des libertés provinciales, 1540-1640. Presses Universitaires de Grenoble, 1993.
4 commentaires:
Très jolie reliure (la première), comme je les aime, et avec un bon texte, un tout bien bibliophilique.
Bravo.
B.
Merci Jean Marc, très instructif ( moi qui croyais que les Etats du Dauphiné étaient exemptés d'impôt en tant que fief du fils ainé du Roi !)Et cette reliure est effectivement très séduisante.
T
Bonjour,
Aviez-vous vu qu'hier à une vente Kahn était proposé un N. Chorier, Hist. Gén du Dauphiné, Lyon 1672. Etiez-vous sur le coup ? A moins que vous ne l'ayiez déjà.
T
L'Histoire Générale de Dauphiné, de Nicolas Chorier a paru en 2 tomes, respectivement à Grenoble en 1661 et Lyon 1672, dans des formats un peu différents. Comme ils ont paru avec 11 ans de différence, il est souvent difficile de les trouver réunis.
Pourtant, pour le bibliophile dauphinois, l'objectif est de trouver l'ouvrage complet de ces deux tomes, si possible dans un reliure uniforme. J'ai cette chance, même si mon exemplaire est en état moyen et que la reliure est des années 1820. Je ne désespère pas de trouver un exemplaire complet, en reliure d'époque et en bon état.
Jean-Marc
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