dimanche 4 décembre 2011

Jean-Jacques Rousseau à Grenoble

La lecture d'un article dans le dernier numéro de la revue L'Alpe m'a remis en mémoire une plaquette que j'avais dans mes piles, sur le séjour de Jean-Jacques Rousseau à Grenoble en juillet et août 1768, sous le nom de Renou. J'ai extrait cette plaquette de sa cachette pour la décrire.


Le titre complet de cet ouvrage d'Auguste Ducoin (1814-1894) est :
Particularités inconnues sur quelques personnages des XVIIIe et XIXe siècles. I. Trois mois de la vie de Jean-Jacques Rousseau. Juillet – Septembre 1768. Episode postérieur aux Confessions; publié pour la première fois et accompagné de lettres et de notes inédites de J.-J. Rousseau. Elle a paru chez les libraires Dentu et France à Paris en 1852. (pour une description complète, cliquez-ici)

Cette étude est basée sur un manuscrit de Gaspard Bovier, dont la famille accueillit Jean-Jacques Rousseau lors de son passage à Grenoble. Ce manuscrit, qui contient le récit jour par jour du séjour de Rousseau, avait aussi pour objectif de répondre au portrait malveillant que celui-ci donne de Bovier dans la 7e promenade des Rêveries du promeneur solitaire. Il lui reproche d'abord de ne pas l'avoir quitté ni le jour, ni la nuit. Surtout, il raconte une anecdote malveillante où G. Bovier, par « humilité dauphinoise », n'avait pas osé l'arrêter alors qu'il mangeait des baies empoisonnées lors d'une excursion sur les bords du Drac.



L'ouvrage d'Auguste Ducoin est un récit circonstancié du séjour de Rousseau à Grenoble, depuis son arrivée en provenance de Lyon, son passage à la Grande-Chartreuse pour herboriser jusqu'à son arrivée à Grenoble le 12 juillet 1768. Le récit au jour le jour de ce mois grenoblois est aussi une tentative de réhabiliter l'honneur de la famille Bovier, en rappelant toute la bonne volonté qu'ils ont mis à accueillir Jean-Jacques Rousseau, malgré son caractère irritable et changeant. Le portrait qu'Auguste Ducoin donne du philosophe met bien en valeur sa misanthropie, ses craintes de persécution, son caractère suspicieux et susceptible. Au-delà, c'est aussi l'occasion de découvrir comment la bourgeoisie cultivée et libérale de la ville pouvait recevoir un philosophe qui était déjà extrêmement populaire. Le séjour se termine par une obscure affaire de tentative d'escroquerie de Jean-Jacques Rousseau par un certain Thévenin. Il fuit Grenoble en août, pour n'y revenir que quelques jours en septembre 1768 alors qu'il est à Bourgoin. Auguste Ducoin raconte que le départ précipité de Rousseau est la conséquence d'une maladresse du président du Parlement, Berulle, qui avoua avec franchise : "ce n'est pas que je connaisse vos ouvrages; je n'en ai jamais lu aucun". 

La rue Jean-Jacques Rousseau où logea
le philosophe lors de son passage à Grenoble.


Nota : depuis la rédaction de ce message, une nouvelle édition du manuscrit de Gaspard Bovier a été donnée par les Presses Universitaires de Grenoble. Voir le message que je lui ai consacré : cliquez-ici. On verra que l'ouvrage d'Auguste Ducoin mérite quelques réserves, car il s'agit plus d'une paraphrase enjolivée, que la publication rigoureuse d'un manuscrit inédit. Dans l'exemple choisi pour illustrer cela, on verra qu'après avoir été ridiculisé par J.-J. Rousseau, Gaspard Bovier se voit mal servi par son compatriote Auguste Ducoin.

Pour revenir à l'Alpe, ce numéro 55, hiver 2012, qui vient de paraître, est entièrement consacré à Grenoble.



Il contient Quand Rousseau herborisait à Grenoble, par Eliane Baracetti, pp. 48-53, avec une bibliographie qui annonce une nouvelle édition du journal de Gaspard Bovier.

Pour finir, quelques mots sur Auguste Ducoin, l'auteur. C'est un de ces érudits, qui a eu une renommée locale en son temps. C'était visiblement un homme estimé, que le temps a fait disparaître dans un profond anonymat. J'ai tout de même réussi à glaner et mettre en ordre quelques informations (pour plus de détails : cliquez-ici). Né à Grenoble en 1814, neveu du conservateur de la bibliothèque municipale de Grenoble Amédée Ducoin (conservateur de 1818 à 1848), il est d'abord avocat à Grenoble et à Lyon, puis travaille dans l'industrie. Il passe la plus grande partie de sa vie à Lyon. Sa fréquentation du salon de Mme Yemeniz, la femme du célèbre bibliophile lyonnais, nous a permis de le faire un peu sortir de l'anonymat. Il est l'auteur de 3 livres : une étude sur la conspiration de Paul Didier à Grenoble (1844), une biographie de Philippe d'Orléans-Egalité et cet ouvrage sur Rousseau. Ensuite son activité professionnelle l'a empêché de poursuivre dans cette voie. C'est dommage car il annonçait un ouvrage sur Charles Fourier. Un de ces ouvrage a été entièrement plagié par le biographe Michaud, qui a été condamné pour cela (je comprend mieux maintenant comme Michaud a pu produire autant : en recopiant sans les citer les ouvrages d'auteurs moins connus). Pour finir, la collection d'estampes d'Auguste Ducoin a été vendue à Drouot en 1896 :


3 commentaires:

Textor a dit…

Merci pour cet article fort intéressant. Néanmoins, je m'insurge contre cette récupération de Jean-Jacques Rousseau par les Dauphinois! Tout le monde sait que Rousseau herborisait à Chambéry bien plus qu'à Grenoble, sur la colline éternelle des Charmettes, favorisées des Dieux !! :)

Textor

Jean-Marc Barféty a dit…

N'ayant pas l'esprit d'un Bibliomane moderne, je ne vois pas de quel type d'herborisation on parle ici ! Que se passait-il donc aux Charmettes !

Jean-Marc

Textor a dit…

D’accord, je vois ! Les hostilités sont ravivées entre nos deux pays, elle est belle l’Europe ! Le château des Marches va pouvoir reprendre du service ! Nous’ot pouvons démontrer qu’il est quasi impossible d’herboriser au centre de Grenoble. D’ailleurs, il n’y a pas besoin de franchir la frontière pour admirer la Meije, on la voit très bien depuis Chambéry ! Et toc !
T