dimanche 2 août 2020

Carte topographique du massif du Mont Pelvoux, par Paul Guillemin, 1879

Dans le cadre d'une recherche dont je vous ferai part en son temps, j’ai été amené à me rendre au département iconographique du Service historique de la Défense. Comme cela arrive parfois, j'ai non seulement trouvé ce que je cherchais, mais j’ai aussi trouvé ce que je ne cherchais pas… J’ai ainsi pu voir et obtenir une reproduction de la Carte topographique du massif du Mont Pelvoux par Paul Guillemin, parue en 1879, que je cite dans le chapitre correspondant de : Le Massif des Écrins. Histoire d'une cartographie de l'antiquité à l'aube du XXe siècle. Au moment de l’élaboration du livre, je l’avais vainement cherchée. Sous réserve de recherches plus approfondies, elle n’existe pas aux Archives départementales dans le fonds Guillemin. Elle n’existe pas non plus dans le fonds cartographique de la Bibliothèque Nationale de France.

Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000, par Paul Guillemin, 1879
Source : Service historique de la Défense, Vincennes
La feuille de Briançon de la carte d’État-major (n° 189), parue en 1866, contient pour la première fois une topographie précise du massif des Écrins. En revanche, la toponymie s’avère particulièrement pauvre. Pour reprendre l’exemple cité dans l’ouvrage, la carte d’État-Major de 1866 ne comporte que neuf toponymes pour tout le massif de la Meije. Tous les sommets bien distincts : Grand Pic, Meije centrale, Meije orientale, etc. sont regroupés sous le seul nom de Meije. Autre exemple, les deux glaciers qui descendent de la face nord : glaciers de La Meije et du Tabuchet se retrouvent englobés sous le seul nom de glacier de la Meije. Très vite, il est apparu nécessaire d’enrichir la toponymie, pour, entre autres, rendre plus précises les descriptions des courses et ascensions. En l’état, la carte d’État-Major n’était pas suffisante pour une bonne appréciation des différents sommets que l’on pouvait conquérir.

Deux acteurs majeurs de l’exploration du massif se sont attachés à ce travail d’identification et de désignation, voire de baptême, des points remarquables du massif : sommets, cols, glaciers, brèches, etc. Henry Duhamel, de Grenoble, et Paul Guillemin, de Briançon, se sont tous les deux attelés à ce travail, qui devait naturellement déboucher sur une carte améliorée de ce point de vue. Une concurrence s’est établie entre eux. C’est Paul Guillemin qui publie dès février 1879 cette Carte topographique du massif du Mont Pelvoux au 1/80.000. Il a utilisé comme base de travail la carte de Prudent, publiée en 1874 à l'instigation du CAF, qui était une mise en couleurs et un essai de mise en évidence du relief par des courbes de niveaux fictives. Cette très belle carte a fait l’objet de ma part d’une longue description que vous pouvez lire sur mon site : cliquez-ici.


Carte topographique du Massif du Mont Pelvoux, par le capitaine Prudent, 1874.
Sur cette base, Paul Guillemin a ajouté des noms et des altitudes. Pour rendre l’ensemble plus lisible, ce qui était le défaut de la carte d’État-Major, il a écrit les légendes sur des petites étiquettes, ce qui fait bien ressortir le texte sur la carte. Il a aussi réduit l'échelle, de 1/40.000e à 1/80.000e, de telle sorte que les dimensions sont approximativement de 30 cm (hauteur) sur 50 cm (largeur). Le moyen de reproduction choisie a été de photographier le résultat obtenu et d’en faire une centaine de tirages pour diffusion. Ce procédé était moins couteux et surtout plus rapide que de s’engager dans un travail de gravure. C’est le photographe Jacques Garcin qui s’est chargé de cette publication. Installé à Lyon, celui-ci était originaire du Queyras. Il a souvent collaboré avec Paul Guillemin. Il est en particulier l’auteur d’une des photographies les plus célèbres de l’alpiniste, probablement contemporaine de l’édition de cette carte :

Paul Guillemin, par Jacques Garcin
Ils ont aussi collaboré pour une des plus grandes raretés haut-alpines, à la frontière entre le livre et la photographie : Club Alpin français. Album du Queyras (cent-dix photographies stéréoscopiques), dressé en 1879 par les soins et aux frais de la Section de Briançon du Club Alpin Français. Photographies par Jacques Garcin. Légende par Paul Guillemin, Lyon, imprimerie générale du Rhône, P. Goyard, 1880, in-8°, 8 pp. + 110 vues stéréoscopiques.


Cette carte de Paul Guillemin a été un des motifs de discorde entre lui et Henry Duhamel. En août 1879, ce dernier publie un Coup d'œil sur l'orographie des massifs de la Meije et de la Grande-Ruine, avec une carte dépliante :




Il s’agit d’un travail similaire dans son principe à celui de Paul Guillemin. Dans ce cas, le travail sur la toponymie ne concerne que le massif de la Meije et de la Grande-Ruine. Pour faire croire à une antériorité de sa publication, Henry Duhamel l'a datée de 1878. Lors du conflit qui les opposera, Paul Guillemin sera amené à préciser les conditions de publication des deux cartes :
II est bien vrai qu'en 1890, j'ai fait de larges emprunts à M. Duhamel, mais ce qui n'a pas été dit, ce qu'il fallait dire tout d'abord pour être juste, ce qu'ignorent les membres du bureau de la section de l'Isère et ce que n'ignore pas M. Pierre Lory, c'est que M. Duhamel m'a copié le premier et c'est le moment de révéler la supercherie de M. Duhamel.
Ma propre carte du Pelvoux, la première parue en France, fut mise en vente en février 1879. Aussitôt, M. Duhamel me rejoignit à Lyon, me reprochant d'avoir donné mon travail sur le moment, qu'il m'avait fourni des documents. En attendant, il fit ce qui lui convenait et publia en août 1879 sa carte du massif de la Meije datée de 1878. Je savais qu'il comptait usurper ainsi une sorte de priorité; néanmoins je ne dis rien et ce n'est qu'en 1886, dans l'annuaire du CAF, que je relevais dans une note la supercherie de M. Duhamel. M. Duhamel ne souffla pas mot et dans la Revue Alpine de juillet 1896, il s'est vendu en donnant lui-même, dix-huit ans plus tard, la véritable date de sa première carte : août 1879 et non pas 1878. (source : Les pionniers des Alpes dauphinoises, Pierre Lestas, pp. 33-34).
Certes, il s’agit de la parole de Paul Guillemin. Il est cependant avéré que l’on peut lui faire une plus grande confiance qu’à Duhamel lorsqu’il s’agit de savoir qui dit vrai, les deux hommes n’ayant pas le même rapport à la vérité et à l’honnêteté intellectuelle.

Au-delà de ce conflit de préséance, l’histoire donnera raison à Henry Duhamel, qui avait plus de temps et de moyens pour poursuivre son œuvre de topographe. Le résultat de ses travaux est la publication en 1887, avec le Guide du Haut-Dauphiné, d’une carte en 5 feuilles du massif qui apporte une foule d’informations.

 
Carte du Haute-Dauphiné, Partie NO., par Henry Duhamel, 1887.
Cette carte, par sa large diffusion, lui a donné une influence déterminante sur les mises à jour de la carte d’État-Major. En regard, la carte de Paul Guillemin de 1879 n’a été tirée qu’à 100 exemplaires, au prix unitaire de 3,50 francs.  La diffusion en a donc été très restreinte. De plus, son format et l’impossibilité de la plier facilement, à cause du papier photographique utilisé pour la reproduire, la rendaient peu maniables. Sa rareté dans les collections publiques est la preuve de cette faible diffusion.


Malgré ses activités professionnelles, ce qui était la différence notable avec le rentier Henry Duhamel, Paul Guillemin a travaillé à une nouvelle version de sa carte. Les minutes manuscrites de ce travail se trouvent dans le fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes (un extrait est reproduit dans notre livre).
Une nouvelle carte a été publiée d'abord en 1890 : Carte topographique du Haut-Dauphiné, au 50.000e, en collaboration avec M. Laëderich, tout aussi rare et introuvable que celle de 1879 (tirage à 200 exemplaires, dont un aux Archives départementales des Hautes-Alpes), puis en 1896, jointe au livre de Saint-Romme : Le Pelvoux. Voyage en zig-zag dans les Hautes-Alpes. Une légende précise qu'elle "est augmentée de 300 noms qui paraissent pour la première fois dans une carte".

Carte du Massif du Pelvoux, par Paul Guillemin, en collaboration avec M. Laëderich, 1896.
P.S : Je pense que cette carte est inédite et qu'elle n'a jamais été reproduite depuis sa parution. Néanmoins, n'ayant pas sous la main toute ma documentation, je n'ai pas pu le vérifier.
P.S. 2 : Après vérification, et sauf erreur de ma part, cette carte est bien inédite. Dans Les Pionniers du Dauphiné, Pierre Lestas reproduit une carte manuscrite, datée et signée de Paul Guillemin à Lyon, en 1875 (fig. 55), qui doit être un brouillon de ses travaux de cartographie. Elle provient aussi du fonds Guillemin des Archives départementales des Hautes-Alpes.